[CRITIQUE] : Trois mille ans à t'attendre

[CRITIQUE] : Trois mille ans à t'attendreRéalisateur : George Miller
Avec : Tilda Swinton, Idris Elba, Aamito Lagum, Nicolas Mouawad,...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : -
Genre : Romance, Fantastique, Drame
Nationalité : Australien, Américain
Durée : 1h48min
Synopsis :
Alithea Binnie, bien que satisfaite par sa vie, porte un regard sceptique sur le monde. Un jour, elle rencontre un génie qui lui propose d’exaucer trois vœux en échange de sa liberté. Mais Alithea est bien trop érudite pour ignorer que, dans les contes, les histoires de vœux se terminent mal. Il plaide alors sa cause en lui racontant son passé extraordinaire. Séduite par ses récits, elle finit par formuler un vœu des plus surprenants.

Critique :

#TroisMilleAnsÀTAttendre se faufile dans l'interstice de la grandeur et de l’intime et donne de la valeur aussi bien aux conteurs et conteuses qu'aux objets qui nous entourent tout en dévoilant, avec ironie, la fine subtilité entre la réalité et l’immatériel. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/7auv3seoKA

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) August 6, 2022

George Miller à la barre d’une romance kitsch et légèrement ringarde ? Ce serait mal le connaître. Entre deux films de la saga Mad Max (Fury Road en 2015 et Furiosa prévu pour mai 2024), le réalisateur australien s’offre une parenthèse féerique, entre l’univers oriental et magique des Mille et Une nuits et une réflexion contemporaine du principe narratif comme vecteur d’émotion. Trois mille ans à t’attendre dépasse largement son postulat de départ pour nous offrir une romance, kitsch oui, mais loin d’être ringarde. Au contraire, le long métrage semble nous ouvrir de nouveaux horizons, sous ses airs de fable classique.

[CRITIQUE] : Trois mille ans à t'attendre

Copyright Metropolitan FilmExport



À l’intérieur de la chambre 333 dans un hôtel d'Istanbul — la même chambre où Agatha Christie a écrit Le Crime de l’Orient-Express comme le précise fièrement le valet — se joue l’avenir de Alithea (Tilda Swinton). Brillante narratologue, elle tombe (heureux hasard de conte) sur une bouteille où est enfermé un djinn (Idris Elba). Il lui donne, selon la coutume, trois vœux. Mais Alithea n’est pas faite du même bois que les héroïnes de conte. Elle connaît les vices de l’humanité (jamais satisfaite, qu’importe ses souhaits comblés) et perçoit tous les pièges que pourraient comporter pareille offre. S’entame alors un dialogue dans lequel se joue une dualité latente, qui imprègne tout le film : rester à l’extérieur ou rentrer dans le cœur du récit, corps et âme, jusqu’à ce qu’il comble tous les désirs de Alithea.
Ce n’est évidemment pas anodin de placer la moitié du film à l’intérieur d’une chambre qui a déjà été témoin de la création narrative. Dans le roman policier de la reine du crime, c’est en décortiquant chaque mots des personnages, chaque non-dits que le mystère s’éclaircit et que se dévoile le désir commun des passagers du train maudit. C’est la mission du génie, trouver ce que désire Alithea pour obtenir sa liberté tant espérée. Celui-ci fera plus que de lui ouvrir les portes de ses souhaits, il lui ouvre les portes de l’imaginaire, endroit bien plus fertile pour le personnage que des caprices éphémères. Pour vivre intensément, il faut percevoir. Et pour percevoir, il faut s’ouvrir à l’invisible (aux fantasmes, à l’irréel, à la féerie). George Miller ne se refuse aucune limite visuelle, et se sert d’une profusion d’univers (parfois à la limite du bon goût) afin de créer une réaction. La mise en scène semble s’étirer car elle lie les différents récits, dans un espace donné (la chambre) et dans le temps du film (le montage permet de superposer les plans afin de fusionner les histoires). Tout s’écoule et se fluidifie, à la manière du djinn lui-même, dont le corps, protéiforme et poreux, se meut facilement dans l’espace-temps du film. Le temps a d’ailleurs une importance primordiale (mise en avant par le titre lui-même), il est le moteur de chaque histoire, qui impitoyablement, comporte une fin.

[CRITIQUE] : Trois mille ans à t'attendre

Copyright Metropolitan FilmExport


Trois mille ans à t’attendre se faufile dans l'interstice de la grandeur et de l’intime et donne de la valeur non seulement aux conteurs et conteuses, mais aussi aux objets qui nous entourent. Les histoires donnent du sens à notre existence, nous disent les personnages du film (et donc George Miller) et certains objets peuvent recevoir l’immense responsabilité de détenir un souvenir, une émotion ou un pouvoir. C’est ainsi que des bouteilles en verre (dont plusieurs protagonistes du film font collection) revêtent une importance au-delà de leur première utilité : des bouteilles de parfum contiennent un savoir plus grand qu’une vie entière ; une salière en cristal porte l’espoir d’un nouvel amour. C’est par la force de l’imaginaire que ces simples objets se transforment en un autre récit. Avec ironie, le cinéaste nous dévoile la fine subtilité entre la réalité et l’immatériel, dans une scène aéroportuaire presque comique si le sous-ton tragique ne prenait pas le dessus.
Il y a bien une certaine naïveté dans Trois mille ans à t’attendre, inhérente à l’enjeu principal du film : nous plonger dans les possibilités infinies de la narration, tout en étant conscient qu’il existe une limite. C’est un cycle, la fin d’une histoire en appelle une autre, et ainsi de suite. Peut-on voir dans ce long métrage une ode aux images numériques, prises non pas comme un trompe-l’œil mais comme un nouvel outil pour combler les besoins de notre imagination ? Quoi qu’il en soit, George Miller signe ici une œuvre magnifique, qui nous rend, le temps d’un film, notre capacité à s’émerveiller.
Laura Enjolvy
[CRITIQUE] : Trois mille ans à t'attendre