[CRITIQUE/RESSORTIE] : Un jour sans fin

Par Fuckcinephiles

Réalisateur : Harold Ramis
Acteurs : Bill Murray, Andie MacDowell, Stephen Tobolowsky, Chris Elliott,...
Distributeur : Les Acacias
Budget : -
Genre : Comédie, Fantastique, Romance.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h41min.
Date de sortie : 28 juillet 1993
Date de ressortie : 10 août 2022
Synopsis :
Phil Connors, journaliste à la télévision et responsable de la météo part faire son reportage annuel dans la bourgade de Punxsutawney où l'on fête le "Groundhog Day" : "Jour de la marmotte". Dans l'impossibilité de rentrer chez lui ensuite à Pittsburgh pour cause d'intempéries il se voit forcé de passer une nuit de plus dans cette ville perdue. Réveillé très tôt le lendemain il constate que tout se produit exactement comme la veille et réalise qu'il est condamné à revivre indéfiniment la même journée, celle du 2 février...


Critique :

En faisant d'un quotidien morose une boucle temporelle pleine d'aventures, de possibilités et de découvertes, feu Harold Ramis prouvait avec #UnJourSansFin que derrière chaque lendemain il y avait un nouvel aujourd'hui et offrait, sans doute, au grand Bill Murray son + beau rôle. pic.twitter.com/u0f9i290tP

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) August 13, 2022

Il est assez fou de se dire que bien qu'il fasse sensiblement parti des esprits comiques les plus hilarants et talentueux de sa génération (de l'histoire du cinéma américain, n'ayons pas peur des mots), on ne se souviendra finalement bien plus des compositions chorales où des seconds rôles de Bill Murray, que de ses premiers rôles, sans doute parce que la magie de son humour sardonique couplé plus tard avec un aspect merveilleusement Droopy-esque dans ses performances (entre ironie et douce mélancolie), impose un sentiment d'arrogance voire même de distance avec son auditoire, empêchant tout type d'empathie - même dans le drame - que peut susciter Jim Carrey, Will Ferrell où encore Adam Sandler.
Sans doute parce que tout comme la majorité de ses personnages, excepté chez Wes Anderson, Murray ne cherche absolument pas à gagner facilement la sympathie de son auditoire et aucun film ne semble mieux l'avoir compris que le merveilleux Un Jour sans fin de feu Harold Ramis, un ami qui le connaissait mieux que la plupart de ses camarades de jeu, et dont la relation s'est justement étiolé à la suite de ce long-métrage au tournage difficile - pour ne pas dire impossible.

Copyright 2022 Columbia Pictures Industries


Merveille de comédie aussi hilarante que racée et intelligente, qui décompose avec minutie toutes les facettes - même les plus sombres - du comédien, la narration impose à Murray, tout comme à son alter-ego étonnamment ressemblant Phil Connors - un météorologue tout aussi blasé et sarcastique que lui -, à essorer toute l'essence de son sarcasme et de sa personnalité pour mieux en exposer à l'écran autant ses limites que sa fragilité insoupçonnée.
Envoyé à Punxsutawney, en Pennsylvanie, pour couvrir les festivités annuelles du jour de la marmotte, Connors, coincé par un blizzard qui l'empêche de fuir la ville, voit son calvaire se répéter dès le lendemain matin alors qu'il se réveille dans une distorsion temporelle, vouée à le faire revivre ad vitam eternam ce maudit 2 février (et on ne saura jamais vraiment le nombre d'année dans laquelle il y restera enfermée).
Mais ce qui n'aurait pu se voir que comme une redondante variation des mêmes rebondissements, rencontres et autres situations, la narration du tandem Harold Ramis/Danny Rubin va en faire une odyssée comico-dramatique visant à nourrir la lente et progressive évolution de Connors (et Murray ?), passant du déni à la misanthropie, de la fantaisie à la dépression, du désespoir à la volonté louable de devenir - et d'être in fine - meilleur, sans pour autant que sa motivation (un love interest qu'il a appris à connaître en planifiant le " date parfait " à la seconde et au mouvement près) ne laisse pas poindre un léger manque de sincérité.

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Un détail loin d'être anodin, qui démontre la volonté du film de subvertir les codes de la comédie populaire Hollywoodienne à la Capra - autant que ceux de la comédie romantique conventionnelle -, en montrant un anti-héros imparfait, que même l'amour ne change pas totalement, et qui cherche même (non sans humour) à mettre plusieurs fois fin à ses jours.
Un personnage qui doit être exilé de la vie normale (une boucle temporelle dont il est le seul à avoir connaissance), pour mieux découvrir qu'il est tout autant en exil de lui-même et qu'il doit autant changer qu'agir différemment pour s'en sortir.
Il y a une douce ironie à voir que c'est finalement dans une sorte de jeu omniscient de la vie où rien n'a d'incidence (pas même la mort, ce qui en fait comme un Dieu de son propre espace-temps), qu'il va commencer à vivre la vie qu'il n'a jamais vécue auparavant, en prenant le contrôle sur son existence tout en diluant son égoïsme dans une forme certes singulière de générosité et d'ouverture aux autres, mais intimement salvatrice.
Ayant lui-même souffert, il est capable d'empathie par rapport à la souffrance des autres et il l'essaye de l'endiguer comme il le peut chaque jour, prouvant que s'isoler de sa réalité l'a fait lentement mais sûrement s'isoler de lui-même, acceptant dès lors les conditions de la vie et des plaisirs de la compagnie humaine.
Il accepte la vie comme elle est et, ironie du sort, en embrassant enfin les affres de l'amour, il finira par vivre dans le seul endroit où il avait désespérément hâte de s'échapper.

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Ce qu'il y a de puissant et profond finalement avec Un Jour sans Fin, au-delà de son ode à l'altruisme et à l'humanisme, c'est sa propension à susciter l'empathie non pas envers son personnage mais bien envers ce qu'il vit, pour mieux nous pousser à une propre introspection sur nos existences.
En montrant les aternoiements d'un homme arrogant, sarcastique, asocial et absorbé par ses propres intérêts, catapulté comme un jouet dans les caprices d'un destin inexplicable, le film lui offre le luxe de pouvoir changer, comme si même le pire exemple de l'humanité (il y a évidemment bien pire mais nous sommes dans le carcan de la comédie) avait le droit à une seconde chance : c'est en le piégeant de manière exceptionnelle - voire même tout simplement irréelle - qu'il peut faire ressortir le meilleur de lui-même, lui aussi piégé au quotidien par son comportement.
Férocement biblique et bouddhiste à la fois dans ses thèmes, tout en ne laissant jamais sa fantaisie dépasser les limites de son concept épuré - un jour qui se répète sans cesse -, le film répond à la question existentielle " et s'il n'y avait plus de lendemain ? ", avec une pureté essentielle : autant être la meilleure version de soi-même chaque jour - même s'il est sans fin.
Jonathan Chevrier