De quoi ça parle?
Si vous vous attendez à une visite guidée de la ville d’Athènes et un survol des paysages de la cité hellène, vous pouvez passer votre chemin.
Dans le film de Romain Gavras, les seuls grecs que vous croiserez sont les sandwiches éponymes, fournis par les vendeurs de kebabs qui pullulent dans les villes de banlieue parisienne. Et encore, la plupart risquent d’être fermés pour cause d’émeutes.
Athena, c’est le nom d’une cité HLM d’une ville de l’Essonne, en proie à de violentes émeutes suite à la mort d’un gamin du quartier, après ce qui est supposé être une bavure policière.
Dès la première scène, dans le hall du commissariat du quartier, la tension est palpable. L’un des frères de la victime, Abdel (Dali Benssalah), militaire de carrière, tente d’appeler la population au calme tout en demandant à ce que la justice fasse le nécessaire pour identifier et condamner les responsables de la bavure. Mais son frère cadet, Karim (Sami Slimane), lui, ne l’entend pas de cette oreille. Il incite les autres jeunes du quartier à “déclarer la guerre” à la police et cela commence par l’assaut du commissariat, afin d’y dérober des armes à feu.
La police décide de faire revenir le calme par la force, et se lance dans le siège de la cité. Et contrairement au récit mythique de la Guerre de Troie, impossible d’infiltrer des policiers dans un cheval géant. Les CRS envoyés sur le terrain comme Jérôme (Anthony Bajon), doivent évoluer à découvert, au péril de leur vie. Car à l’hostilité du groupe d’habitants en colère s’ajoute celle des trafiquants de drogue comme Moktar (Ouassini Embarek), le frère aîné d’Abdel et Karim, peu enclin à voir les policiers intervenir aussi près de leurs planques.
Chacun des trois frères a sa propre philosophie de vie, sa propre vision des choses. Dans ce contexte électrique, les tensions sont inévitables, et avec un blase pareil, “Athena”, il est évident que l’on se dirige tout droit vers un drame digne des tragédies grecques…
Pourquoi on envoie le film se faire voir chez les grecs?
C’est vrai ça, pourquoi? Parce que techniquement parlant, c’est absolument superbe. Le film est entièrement architecturé autour de très longs plans-séquences, parfaitement minutés et chorégraphiés. La caméra virevolte, passe d’un personnage à l’autre, d’un véhicule à l’autre, slalome dans les allées de la cité, survole les tours HLM, passe entre les projectiles balancés des toits des bâtiments ou les feux d’artifices, transformés en armes offensives. Le spectateur se retrouve littéralement plongé au coeur de l’action, entraîné dans le rythme haletant de l’intrigue, avec une maestria assez semblable à celle dont avait pu faire preuve Ladj Ly dans Les Misérables (Le cinéaste est ici coproducteur et coscénariste du film) ou Cedric Jimenez dans BAC Nord. La différence, c’est que les films précités s’appuyaient sur des personnages forts, loin des stéréotypes, et sur une intrigue tenant la route. C’est loin d’être le cas ici.
Sur le papier, l’idée de rapprocher l’intrigue, contemporaine et ancrée dans le quotidien des cités de banlieue parisienne, à une tragédie antique grecque était pourtant alléchante. Pas fondamentalement originale puisque Spike Lee avait utilisé le même procédé et un point de départ assez similaire, en utilisant la trame de “Lysistrata” pour réaliser Chi-raq, en 2015, mais l’échec du film laissait la place pour se lancer dans une nouvelle tentative. Hélas, cela ne fonctionne pas du tout, faute d’acteurs suffisamment solides pour porter de tels personnages, pour le coup très stéréotypés, et les circonvolutions de l’intrigue, qui tombent à plat. Le dernier tiers du film, notamment, est assez grotesque, puisqu’il voit la plupart des personnages adopter un comportement échappant à toute logique scénaristique.
Pour y croire, il aurait fallu préparer un peu le terrain, faire évoluer progressivement le récit, de façon suffisamment fine pour que l’on perçoive une évolution des personnages, inclure des moments de pause, de rupture. Ici, rien de tout cela. Pendant quasiment tout le film, le show est permanent. Du plan-séquence, de l’action chorégraphiée, des explosions spectaculaire, mais peu de moments intimistes permettant de comprendre les personnages. Sami Slimane essaie bien, le temps d’une ou deux séquences, de montrer comment la colère de Karim prend le pas sur sa raison, mais il surjoue un peu, à force de roulement des yeux et de serrage de dents, et retombe vite dans la caricature de jeune de banlieue “véner”. Ouassani Embarek, lui, passe son temps à crier pour montrer que son personnage de caïd n’est pas du genre à rigoler, mais là aussi, l’effet est contre-productif. Son personnage devient un guignol sans épaisseur, ou, au contraire, dessiné à gros traits. Des trois frères, le seul qui tire son épingle du jeu semble être Dali Benssalah, du moins pendant une bonne partie du récit. Mais si les deux autres sont trop expressifs, lui est un peu trop monolithique pour laisser entrevoir les failles de son personnage, ce qui nuit à la dernière partie du film.
Ils ne sont pas aidés non plus par des dialogues manquant souvent de subtilité, à l’instar de l’échange improbable entre les habitants de la cité, à la sortie de la mosquée, où tous s’expriment par métaphores. On aurait pu le comprendre si le texte était construit de manière théâtrale, comme dans les drames antiques – et en poussant le curseur, un texte intégralement déclamé en rap et en slam aurait d’ailleurs pu avoir un certain cachet –, mais là, c’est purement gratuit et incongru, au regard de la tonalité très premier degré du film.
Mais le pire, ce sont les trois placements de produits ridicules qui viennent s’intégrer dans le texte à la va-comme-je-te-pousse : Le méchant dealer grande gueule devient d’un coup une figure promotionnelle pour Twix et Yop et un rebelle des cités est soudain pris d’une soif de Tropico. C’est trop, coco!
Tout ceci donne au film un côté fauché qui tranche avec la démonstration (pyro)technique de Romain Gavras et détourne l’attention de l’essentiel, le fond du récit.
Quel est le message du film, d’ailleurs? Montrer que les habitants des cités sont des êtres humains, avec les mêmes peurs, les mêmes douleurs? Mouais… On voit surtout des jeunes incapables de canaliser leur colère et se comportant comme des crétins, en pillant, détruisant, attaquant gratuitement les forces de l’ordre ou les habitants ne pensant pas comme eux. Montrer que les flics ne sont pas forcément tous des pourris et que les conflits sont le plus souvent amorcés par des individus ayant intérêt à générer des troubles, pour asseoir des décisions politiques? D’accord, mais à ce moment-là, il aurait fallu aller au bout de l’idée, en construisant un récit autour de groupes de pouvoir aux intérêts contraires, bénéficiant, in fine des luttes fratricides agitant la cité.
Il ne reste de ce film que beaucoup de bruit et de fureur (la nôtre, surtout), de vaine agitation et de spectacle virtuose, qui plaira sûrement à un public Netflix moins exigeant que nous ne le sommes, et incitera la plateforme à confier à l’équipe du film d’autres projets.
Reste un problème épineux. Quelle note attribuer à un film où la mise en scène est souvent brillante, mais qui peut à ce point taper sur les nerfs? Combien d’étoiles? Deux, Trois? Non, la guerre Deux-Troie n’aura pas lieu. On lui met une étoile, en espérant que Romain Gavras saura la suivre et tenir, avec un scénario mieux construit, des acteurs plus solides et un vrai sujet, toutes les belles promesses que ses oeuvres laissent jusque-là entrevoir.
Pronostics pour le palmarès
On n’ose imaginer le film au palmarès. Si c’est le cas, on enverra Gerard Butler et ses guerriers spartiates envoyer des coups de tatane sur le tapis rouge. “This is Cinemaaaaaa!”.
Contrepoints critiques
”Athena est bien la brillante démonstration d’un cinéaste français en pleine maîtrise de son propos.”
(Mathieu Gayet – CloneWeb)
“Athena is a live grenade, beginning in full ignition mode and dialing up its intensity throughout with virtuoso technique”
(David Rooney – The Hollywood Reporter)
”D’une perfection formelle absolue, #Athena, tragédie grecque sur la dalle d’une cité, attrape le spectateur par le col pour le laisser exsangue 90 minutes plus tard. Une immense baffe dans la gueule. “
(@MarcGodin sur Twitter)
“Athena fait parti de ces quelques films qui donnent des envies aux critiques de se transformer en juré de patinage artistique, et de se contenter d’une évaluation plutôt que d’une analyse.”
(@LeMagCinema sur Twitter)