[Compétition Officielle]
De quoi ça parle?
De l’histoire d’amour entre deux jeunes paumés, Maren (Taylor Russell McKenzie) et Lee (Thimotée Chalamet), qui se rencontrent sur les routes de l’Amérique profonde et essaient de surmonter leur condition et de trouver leur place dans la société.
Voilà pour la version soft et sans spoiler du résumé… La suite de cette critique va révéler le sujet du film.
Pourquoi le film n’est pas la boucherie attendue?
Le début du film semble évoluer dans le sillage de Call me by your name. Maren, jeune lycéenne fraîchement arrivée dans une petite ville du Midwest, semble nouer des liens particuliers avec l’une de ses camarades de classe. Aussi, quand cette dernière l’invite à passer la nuit chez elle, elle n’hésite pas vraiment à défier la vigilance paternelle et à faire le mur pour la retrouver. Au cours de la soirée, les deux jeunes filles continuent à se rapprocher et au bout d’un moment, Maren finit par craquer…
Ou plutôt par croquer… le doigt de sa camarade, qu’elle dévore goulument. Evidemment, l’intéressée, et les deux autres amies présentes dans la pièce se mettent à hurler et à appeler au secours.
Maren et son père n’ont pas le choix. Ils doivent prendre la fuite avant que la police ne vienne les arrêter. Cela signifie changer d’état, une fois de plus et tenter de tout reconstruire. Car ce n’est pas la première fois que Maren laisse libre cours à ses pulsions cannibales. Elles sont même de plus en plus fréquentes maintenant qu’elle arrive à l’âge adulte. Pour le père de la jeune fille, le fardeau est devenu trop lourd à porter. Il l’abandonne en lui donnant quelques éléments permettant de retrouver trace de sa mère, qui saura peut-être l’aider à appréhender le mal dont elle souffre.
A partir de là, on s’attend à ce que le film prenne un tour inquiétant, évolue plus sur le registre de l’horreur que de la chronique sentimentale. Mais en chemin, Maren rencontre Lee, un jeune cannibale avec qui elle sympathise et qui accepte de l’aider à retrouver sa mère. Au fur et à mesure qu’ils parcourent les routes de l’Amérique profonde, elle apprend à le découvrir et en tombe amoureuse. Ce virage narratif permet à Luca Guadagnino de développer ses thèmes de prédilection, l’éveil du désir, la passion amoureuse et ses conséquences. Mais on connaît la chanson : les histoires d’amour finissent mal en général, surtout si elles impliquent un ou deux cannibales. Maren et Lee pourraient finir par s’entredévorer, tomber sur un os (au sens figuré) en cherchant une proie pour le dîner ou finir par être rattrapés par les autorités, sans parler des appétits de leurs congénères. Car comme eux, d’autres marginaux parcourent le pays en quête de chair fraîche. Le vieux Sully (Mark Rylance), paraît inoffensif, puisqu’il affirme ne dévorer que des personnes mourantes et jamais les autres cannibales, mais ces deux cowboys croisés un soir, qui revendiquent le fait de dévorer leurs victimes “bones and all” (“jusqu’à l’os”) semblent avoir moins de scrupules. Maren et Lee ne veulent pas finir comme eux, ni en eux, et cherchent à construire ensemble une vie normale, où ils pourront satisfaire leur besoin de chair fraîche en causant le moins de mal possible.
Si on mettait de côté le thème du cannibalisme, le film de Luca Guadagnino pourrait être vu comme un entrelac de road-movie, de film noir et de romance, une variation moderne du Badlands de Terrence Malick ou du Gun Crazy de Joseph Lewis. Ce mélange de genres colle plutôt bien à la filmographie du cinéaste italien, qui a signé aussi bien des histoires d’amour torturées et tragiques que des films lorgnant sur le genre horrifique et la série B. Il lui permet surtout de dresser une fois de plus le portrait de personnages qui évoluent dans la marge, hors des sentiers battus. Maren et Lee sont contraints d’évoluer dans la clandestinité, parce que la société rejette leur nature profonde, qu’ils n’ont pas choisie, comme les deux amants de Call me by your name et ils essaient, par leur amour, de s’extirper de leur milieu oppressant, comme Tilda Swinton dans Amore.
L’ajout d’un contexte plus horrifique apporte une pointe d’originalité et un peu de mordant, mais tend aussi, hélas, à réduire la portée du récit. Guadagnino se concenFlorent Boutet tre sur sa trame horrifique et les figures imposées par le scénario et n’ajoute que trop peu d’éléments annexes pouvant renforcer cette thématique autour des exclus de la société, des marginaux et des invisibles. Dommage, car, passée la surprise initiale, le scénario accumule les péripéties convenues. Le film connaît une grosse baisse de régime à mi-parcours, quand Maren retrouve sa mère, et ne retrouve de la vivacité que dans le grand final, prévisible mais spectaculaire et sombre à souhait.
On reste aussi un peu sur notre faim au niveau des performances d’acteurs. Si la jeune Taylor Russell McKenzie se sort très bien de son rôle compliqué, avec un subtil alliage de candeur et de sauvagerie, ses partenaires nous semble évoluer, sur ce film, un cran en-dessous. Thimotée Chalamet possède une certaine présence à l’écran, mais ne parvient pas à donner à son personnage la dimension nécessaire. Quant à Mark Rylance, il en fait un peu trop pour convaincre. Son jeu est très appuyé et les accessoires qu’il accumule pour camper son personnage de cannibale paumé, un brin dépressif, flirtent avec la caricature. Il manque aussi à l’appel Armie Hammer, qui aurait pourtant été très crédible en cannibale (1). Quand on a des bons outils sous la main, autant les utiliser…
Ceci n’empêche pas de suivre l’intrigue d’un bout à l’autre, et le résultat final est tout à fait regardable, à condition d’avoir l’estomac solide.
Pour autant, on doute que le film laisse une trace impérissable dans la mémoire des cinéphiles. A la Mostra de Venise, il n’a même pas provoqué de scandale ou déclenché de réaction de rejet chez nos confrères transalpins, qui goûtent généralement assez peu les histoires transgressives et provocatrices.
(1) : L’acteur a été récemment accusé d’agressions et de cannibalisme. Le scandale a fait grand bruit à Hollywood.
Pronostics pour le palmarès
L’Os-car de la meilleure scène de dégustation “avec les doigts”?
Plus sérieusement, on ne voit pas le film au palmarès, à moins de récompenser Taylor Russell-McKenzie du Prix Marcello Mastroianni du meilleur jeune interprète.
Contrepoints critiques
”The ending may disappoint, but it also ensures the film will have a life as an imperfect masterpiece, the best kind of cult film, after all.”
(Damon Wise – Deadline)
”Bones And All, c’est une grosse déception pour moi. Une histoire d’amour sans relief, entrecoupée de scènes de violence tout aussi banales. Ça se laisse quand même regarder, surtout grâce au charisme de Timothée Chalamet (et son petit gilet de mamie avec boutons de perle)”
(@AnaisBordages, sur Twitter)
”L’alchimie entre Timothée Chalamet et Taylor Russell McKenzie paraît bien laborieuse (…) Ce choix de mise en scène d’avoir voulu les regarder presque exclusivement, au détriment par exemple du personnage de Sully (…) *est sans doute le plus grand échec du film qui peine à exister uniquement sur cet axe bancal, qui aurait mérité plus de chair autour de lui.”
(Florent Boutet – Le Bleu du miroir)
Crédits photos : Yannis Drakoulidis, Metro Goldwyn Mayer Pictures – Images fournies par La Biennale Cinema