De quoi ça parle ?
D’une famille italienne, dans les années 1970.
Une famille qui semble baigner en plein bonheur, si l’on en croit la séquence précédent le générique où la Mamma, Clara (Penelope Cruz) et ses trois bambini mettent la table en chantant et dansant sur un titre de Raffaella Carrà. Seulement voilà, quand le père, Felice (Vincenzo Amato), entre dans la pièce, le spectacle est terminé. L’homme rafraîchit immédiatement l’ambiance. On comprend qu’il n’est pas du genre à rigoler et peut même se montrer autoritaire et violent, surtout avec son épouse.
Clara aimerait probablement le quitter, d’autant qu’il l’a trompe sans vergogne, au vu et au su de tout le monde. Mais dans les années 1970, divorcer n’est pas si évident que cela. Surtout en Italie où les liens matrimoniaux sont sacrés. Felice rejette catégoriquement l’idée d’une séparation. Alors, Clara encaisse, la situation comme les coups de son mari, avec l’espoir de pouvoir préserver leurs trois enfants et les maintenir dans une certaine insouciance. Pour autant, les gamins ne sont pas dupes. Surtout l’aînée, Adri (Luana Giuliani), qui assiste, impuissante à la dégradation des liens du couple et ne peut s’empêcher de se demander si elle n’est pas responsable de la situation.
Pourquoi on a une immense affection pour le film ?
De prime abord, on se dit que le film d’Emanuele Crialese a tout du banal mélodrame familial, vu et revu, sur le thème éculé de la déliquescence d’un couple.
Mais plusieurs éléments viennent lui apporter un petit supplément d’âme ou un intérêt supplémentaire. Déjà, l’utilisation de chansons de variété italienne des années 1970 pour accompagner les émotions des personnages ou contraster avec leur état d’esprit plutôt sombre et grave. Le procédé donne lieu à d’étonnants numéros et apporte au film un grain de folie et de fantaisie bienvenue.
Ensuite, le cinéaste fait le choix de centrer le récit non pas autour de Clara et Felice, mais d’Adri, adolescente de douze ans qui cherche des réponses aux nombreuses questions qu’elle se pose sur son identité, sa nature profonde et sa sexualité. En tant que catholique, elle en appelle à Dieu. D’abord par la voie moderne, c’est-à-dire les antennes hertziennes du toit de son immeuble, qu’elle relie toutes avec l’aide d’une corde. Puis par la voie classique, en ingurgitant toute une boîte d’hosties piquées à l’église. Manifestement le corps du Christ n’est pas si digeste que cela, puisqu’elle finit chez le médecin sans trouver le réconfort recherché, ni les réponses à ses questions. Mais quelles questions, d’ailleurs? L’adolescente formalise la plus cruciale lors d’un cours de biologie, alors que son professeur donne un cours sur le fonctionnement d’une cellule : ”Qu’est-ce qui est le plus important? C’est qui est dehors ou ce qui est dedans?”.
Tout son problème est là : De l’extérieur, malgré un profil androgyne, Adriana est bien une fille. Mais à l’intérieur, elle se sent garçon. Elle le revendique avec sa coupe de cheveux courte, ses vêtements plutôt masculins et en se présentant généralement sous le prénom “Andrea”.
Ce comportement agace son petit frère, qui ne comprend pas la situation, et suscite bien des commentaires lors des réunions de famille, sans parler du courroux ce son père, qui est incapable de concevoir que sa fille puisse être homosexuelle et encore moins qu’elle ait envie de changer de sexe. Clara, elle, a compris tout cela. Elle tolère que la gamine s’habille et se coiffe comme elle le souhaite. Elle ne discute pas du sujet avec elle mais lui accorde son affection inconditionnelle. Elle ne pose une seule barrière, physique : ne pas s’aventurer au-delà du champ au pied de leur immeuble, qui sépare la famille d’une sorte de bidonville, au pied des immeubles en construction. C’est là qu’habite l’adolescente qui fait battre le coeur d’Adri. La jeune fille se retrouve tiraillée entre sa famille et son amour de jeunesse, son besoin de s’affirmer, d’explorer ses désirs et ses sentiments, et la pression de la norme sociale. Mais l’éloignement imposé par Clara est une façon de protéger l’adolescente du chaos que créerait la révélation de sa sexualité “contre nature”. Car Clara sait que le prix à payer peut être lourd en cas de tentative d’afficher sa singularité.
Le film d’Emanuele Crialese fait bien ressentir le poids de cette société patriarcale et des dogmes moraux imposés par l’Eglise catholique. En ces années-là, une femme n’avait pas voix au chapitre. Tout comportement jugé “anormal”, “indécent” ou “déviant” pouvait s’apparenter à un trouble mental, nécessitant un traitement de choc. Il fallait se résigner, se sacrifier ou vivre dans la clandestinité. Il montre, à travers ce drame ordinaire, combien les femmes ont pu souffrir de cette domination patriarcale les emprisonnant dans des ménages insatisfaisants, des fonctions sociales réductrices, des modèles de vie inadaptés. Et il devient, en réaction, un vibrant plaidoyer pour la liberté des individus à disposer d’eux-mêmes, à faire leurs choix loin de la pression sociale.
Pronostics pour le palmarès ?
On apprécie le film, mais, au vu de la concurrence, on ne le voit pas au palmarès, sauf, peut-être la jeune Luana Giuliani, qui affiche une maturité de jeu déjà impressionnante.
Penelope Cruz, sublime comme toujours, aurait pu faire partie des prétendantes de la Coupe Volpi si elle ne l’avait pas déjà remportée l’an passé.
Contrepoints critiques
”Emanuele Crialese’s flamboyant film features strong performances by Penélope Cruz and newcomer Luana Giuliani, but its kitschy exuberance and feel-good simplicity will leave many viewers disappointed.”
(Jonathan Romney – BFI)
”Malgré quelques bonnes idées, L’Immensità ne trouve jamais sa respiration et son liant. La faute, une fois de plus, à un regard des plus communs.”
(@LeMagCinema sur Twitter)
Crédits photos : Angelo Turetta – Images fournies par La Biennale Cinema 2022