Un grand merci à Wild Side Video pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « L’extravagant Mr Deeds » de Frank Capra.
« Quand on est riche, il suffit de donner un petit coup de sonnette et tous les problèmes s’arrangent »
Martin W. Semple s’est tué dans un accident de voiture, léguant son immense fortune à un neveu qu’il n’a jamais vu. La haute société new-yorkaise est en émoi ! Qui est donc ce Longfellow Deeds, ce jeune homme naïf, un tantinet loufoque, qui joue du tuba et écrit des vers, pour la plus grande joie des habitants de sa bourgade, Mandrake Falls ? Comment ce célibataire ultra-convoité, sollicité par toutes sortes d’aigrefins, va-t-il s’acclimater à la ville qui ne dort jamais ? Les reporters traquent le scoop mais la malicieuse Babe Bennett a choisi la meilleure tactique pour approcher Deeds…
« Ce garçon est le plus idiot du monde. Ou le plus exceptionnel, je ne sais pas encore. »
Si le cinéma américain des années 30 est fortement marqué par la crise économique et sociale qui frappe durement le pays à la suite du krach boursier de 1929, aucun cinéaste ne peut se vanter de l’avoir traité au cinéma avec plus d’acuité et d’humanisme que Frank Capra. Il faut dire que ce fils de paysans siciliens pauvres et illettrés n’a jamais oublié d’où il venait ni les difficultés surmontées par sa famille pour arriver jusqu’en Amérique. C’est donc avec un regard particulièrement affuté qu’il rendra compte de la réalité de son époque à travers des films tels que « La ruée », « New-York Miami » ou encore « L’homme de la rue ». En la matière, l’une de ses plus grandes réussites demeure sans doute « L’extravagant Mr Deeds » (1937), pour lequel il obtint son deuxième Oscar du meilleur réalisateur (sur trois). A noter également que ce film fera l’objet soixante-cinq ans plus tard d’un improbable (et peu mémorable) remake – « Les aventures de Mr Deeds » (2002) – réalisé par Steven Brill et porté par Adam Sandler et Wynona Ryder.
« C’est parce que je veux faire bénéficier les pauvres de cet argent que l’on me considère comme fou ? »
Longfellow Deeds est ce que l'on pourrait appeler un original. Une sorte de poète. Un provincial naïf et jovial ne vivant que pour la poésie et pour la pratique du tuba à laquelle il s'adonne régulièrement au plus grand damne de son entourage. Mais Longfellow Deeds est aussi un homme chanceux qui, par un tour du destin, se retrouve seul héritier de l’immense fortune d’un oncle lointain dont il ignorait jusqu’à l’existence. De quoi faire de lui l'un des hommes les plus riches - et donc potentiellement des plus puissants - d'Amérique. Mais ce que d'aucun considérerait comme une sorte de privilège s'apparente pour Mr Deeds à une malédiction puisqu’il deviendra à cette occasion la proie des vautours de tout poil. Frank Capra élabore ici ce qui deviendra son canevas scénaristique préféré, consistant à opposer l'homme du peuple (par nature candide et foncièrement honnête) au cynisme des élites et des gouvernants. Ceux là même qui n'auront de cesse de chercher à manipuler le héros pour mieux l'escroquer. En lui faisant au passage comprendre qu'il n'est pas de leur monde (terrible scène du restaurant avec les poètes). Fable morale comme seul le cinéaste savait les faire, « L’extravagant Mr Deeds » est ainsi articulée autour de la confrontation de deux mondes antagonistes par laquelle le cinéaste dénonce pêle-mêle aussi bien le cynisme de la presse (prête à tout pour un scoop) que la corruption morale des puissants, rongés par une cupidité sans limite alors même que le peuple subit de plein fouet les effets dévastateurs de la Grande dépression. Une folie qui conduira ces derniers à assigner le pauvre Longfellow Deeds en justice, jouant de sa supposée folie (il ne s’intéresse pas à l’argent et veut partager sa fortune avec les pauvres !) pour mieux le spolier. Une nouvelle fois, l'humanisme de Capra rayonne dans cette comédie de mœurs mordante et douce-amère, qui sait aussi se faire touchante par le biais de la romance contrariée entre Deeds et la journaliste qui le suit. Si le cinéaste avait déjà évoqué par le passé la crise économique et sociale qui frappe alors les Etats-Unis (« La ruée », « New-York Miami »), il esquisse là sa première grande fable morale opposant l'individu à la cruauté du système américain. Un thème qu'il n’aura ensuite de cesse de développer et qui deviendra sa marque de fabrique. En cela, « L’extravagant Mr Deeds » marque les premiers jalons des grands films sociaux que Capra réalisera ensuite peu ou prou sur le même modèle : « Vous ne l’emporterez pas avec vous », « Mr. Smith au sénat », « L'homme de la rue », « La vie est belle » ou encore « L’enjeu ». Un film en tous points remarquable, comme (presque) Toujours avec Capra.
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Le blu-ray : Le film est présenté dans un Master restauré en 4k, et proposé en version originale américaine (2.0) ainsi qu’en version française (2.0). Des sous-titres français sont également disponibles.
Côté bonus, le film est accompagné d’un commentaire audio de Frank Capra Jr., d’une Interview de Frank Capra dans l’émission « Cinéma cinémas » (février 1983, 14 min.), de « Capra, une Amérique aux deux visages » : Frank Capra par Christian Viviani (exclusivité Blu-ray, 24 min.), de « Deeds ou le faux candide » : analyse du film par Christian Viviani (exclusivité Blu-ray, 30 min.) ainsi que d’une Bande-annonce.
Édité par Wild Side Vidéo, « L’extravagant Mr Deeds » est disponible en édition digibook collector, comprenant le blu-ray + le DVD + le livret « Sous le signe du Capracorn » écrit par Frédéric Albert Lévy, depuis le 16 mars 2022.
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