Le Baiser du Tueur (1955) de Stanley Kubrick

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Après son premier long métrage "Fear and Desire" (1953), le réalisateur Stanley Kubrick se cherche encore et n'a toujours pas les moyens de ses ambitions. Il trouve donc un budget de 40000 dollars en majorité financé par un oncle pharmacien qui devient ainsi le co-producteur de Kubrick qui en profite pour faire des économies en cumulant plusieurs casquettes en tant que producteur-réalisateur-scénariste-monteur-Directeur photo. Pour ce second long métrage le cinéaste prend comme trame originelle son court métrage "Day of the Fight" (1951) et pourtant, plus tard Kubrick dira de son film : "L'intrigue de ce second long métrage était stupide, mais ce qui m'intéressait était d'acquérir de l'expérience et de travailler dans ce milieu - alors, le contenu, l'histoire me paraissaient secondaires. De toutes les histoires qui me tombaient sous la main, je choisissais simplement celle qui présentait le moins de complications. Et puis je n'avais pas d'argent pour vivre à l'époque, encore moins pour acheter les droits de bonnes histoires, et pas le temps d'adapter correctement. Mais comme je ne voulais pas travailler à côté et perdre le fil, il fallait que j'avance, que je continue. Je dois dire que par chance aucune proposition de travail ne m'a été faite à l'époque. Peut-être que si on m'avait proposé un boulot moyen à la télé, je n'aurais pas eu la présence d'esprit de le refuser et j'aurai perdu le fil, je me serais éloigné de ce que je voulais vraiment faire. Mais ce n'est pas arrivé. En tous cas, j'ai fait Le Baiser du Tueur, et United Artist l'a vu et l'a acheté." En effet, la société de production UA acquis les droits du film pour 75000 dollars, Kubrick pouvait continué à suivre le fil... Alors qu'il vient de perdre un match de boxe, Davey Gordon court défendre sa voisine Gloria malmenée par ce qui s'avère être son patron dans un dancing mal famé. Les deux voisins finissent par être amants mais le patron, Vincent Rappalo ne compte pas perdre sa belle aussi facilement...

Le casting est plutôt inédit dans le sens où il n'y a aucune star, et même certains sont et resteront inconnus après ce film. Le boxeur est interprété par Jamie Smith dont la petite carrière (une douzaine d'années) se résument à quelques apparitions dans des séries TV avant et après son unique et premier rôle au cinéma. La danseuse de night-club est jouée par Irene Kane dont c'est le premier rôle après avoir été remarquée par Kubrick lui-même, qui ne transformera pas franchement l'essai outre la série TV "Naked City" (1958-1963) et un petit rôle dans "Que la Fête Commence" (1979) de Bob Fosse tandis qu'elle deviendra surtout journaliste et auteure de biographie notamment de Rosalind Russell et Joséphine Baker. La patron du Nigh Club est incarné par Frank Silvera, seul acteur d'ampleur qui retrouve Kubrick après "Fear and Desire" (1953) et qu'on verra dans "La Diablesse en Collant Rose" (1960) de George Cukor, "Hombre" (1967) de Martin Ritt ou "L'Homme Sauvage" (1968) de Robert Mulligan. Citons ensuite Mike Dana qui rejouera essentiellement des rôles de gangster comme dans "Au Bout de la Nuit" (1961) de Jack Garfein ou "Vu du Pont" (1962) de Sidney Lumet, surtout Felice Orlandi dont la gueule écumera de nombreux succès de "Plus Dure sera la Chute" (1956) de Mark Robson à "48 Heures de Plus" (1990) de Walter Hill en passant par "Bullitt" (1968) de Peter Yates ou "Un Homme est Mort" (1972) de Jacques Deray, plus étonnant avec l'actrice Barbara Brand spécialité danseuse  qu'on reverra surtout en France chez Georges Lautner dans "La Môme aux Boutons" (1958), "L'Oeil du Monocle" (1962), "Le Septième Juré" (1962) et "Des Pissenlits par la Racine" (1964). Puis n'oublions par la ballerine interprétée par Ruth Sobotka dans son unique rôle au cinéma et qui épousera dans la foulée le réalisateur avant de divorcer et d'épouser ensuite Christiane qui jouera elle-même une danseuse dans le film suivant, "Les Sentiers de la Gloire" (1957)...  Après le film de guerre d'un point de vue psychologique, le réalisateur s'attaque à un genre en vogue dans les années 40-50 mais déjà en perte de vitesse, le Film Noir dont il reprend les bases, à savoir les bas-fonds, un anti-héros looser, la pègre et surtout la femme fatale. La plupart des films du genre sont tournés en studio, Kubrick préfère les décors réels et tournent donc dans les rues de New-York sans autorisation. Une légende dit que Kubrick aurait acheté l'indulgence de deux policiers pour un billet de 20 dollars chacun.

Dans un premier temps, le plus décevant est qu'il a recours une fois de plus après "Fear and Desire" à une voix Off  qui reste un raccourci narratif un peu facile et qu'au fond n'apporte pas grand chose à part peut-être une atmosphère particulière, d'autant que la durée de 01 heure est similaire également au premier film. Par contre on constate encore la qualité de la photographie (spécialité originelle du cinéaste rappelons-le) et le travail sur les ombres, sur plusieurs plans on peut penser à Hitchcock et Fritz Lang. Mais on remarque surtout que Kubrick reste avare de dialogues inutiles (un paradoxe vis à vis de la voix Off !), et surtout il ose plus sur les mouvements de caméra ce qui offre deux séquences marquantes voire cultes, la course poursuite sur les toits de la ville et le duel final à la hâche (!) dans l'entrepôt de mannequins. Il est certain qu'avec ce genre de scènes Kubrick prend de l'assurance et impose déjà un style comme le confirme le photographe de plateau Alex Singer : "Tourné pour une somme ridicule, le film fut réalisé avec la même minutie et le même soin que Kubrick apporte à tout ce qu'il fait. C'est un perfectionniste, un perfectionniste absolu." Imparfait mais prenant et semé de coups de génie, ce second long métrage est le dernier essai (mais un coup de maître !) avant son premier chef d'oeuvre, mais c'est une autre histoire...  

Note :      

16/20