Un grand merci à ESC Éditions pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Le témoin » de Jean-Pierre Mocky.
« Madame, je vous paie : vous ne trouvez pas ça déjà assez humiliant ? »
Antonio Berti, restaurateur de tableaux, arrive d’Italie chez son ami Robert Maurisson, puissant industriel et banquier rémois qui l’a fait venir pour un travail à exécuter dans la cathédrale. Antonio prend la petite Cathy pour lui servir de modèle. A quelque temps de là, la fillette est retrouvée morte non loin d’une propriété inoccupée qui appartient à Robert. Or, le soir du crime, Antonio a cru apercevoir sa silhouette à proximité de la maison, alors qu’il revenait, lui, d’un rendez-vous manqué avec une jeune droguée…
« Notre famille n’a pas le droit de refuser de l’argent, c’est un devoir envers le pays ! »
Après avoir connu des débuts de cinéaste couronnés de succès grâce à ses comédies satiriques bon enfant (« Un drôle de paroissien », « La grande lessive », « L'étalon », « Les compagnons de la marguerite »), Jean-Pierre Mocky profite de la révolte de 68 pour amorcer un virage plus volontiers libertaire et subversif, qui donnera lieu à une série de films souvent assez sombres, centrés sur la dénonciation d'un système qu'il juge corrompu (« Solo », « L'albatros », « Chut! », « L'ombre d'une chance », « Un linceul n'a pas de poches », « Le piège à cons ») qui connaissent alors des fortunes diverses. Il faut alors attendre la fin de la décennie pour voir Mocky revenir à un cinéma formellement plus consensuel (mais pas moins mordant) avec son film « Le témoin » (1978) qui marque le début d'une décennie particulièrement faste pour le cinéaste qui dirige alors les acteurs les plus prestigieux du moment (Jacques Dutronc et Victor Lanoux dans « Y'a-t-il un français dans la salle? », Jeanne Moreau dans « Le miraculé », Catherine Deneuve et Richard Bohringer dans « Agent trouble », et même le vétéran Charles Vanel dans « Les saisons du plaisir ») et qui enchaine les succès critiques et publics. A noter que Jean-Pierre Mocky avait obtenu l’accord de Jean Gabin pour jouer dans ce film, mais décédé juste avant le tournage, il sera finalement remplacé par l’acteur italien Alberto Sordi.
« L’unique moyen d’échapper à la mort, c’est de devenir éternel. En laissant une œuvre derrière soi. »
Adaptation du roman « L'ombre d'un doute » de l'auteur américain Norman Daniels, « Le témoin » est ainsi un film hybride, entre polar et drame social, dans lequel un restaurateur de tableaux italien en mission à Reims se retrouve bien malgré lui piégé dans une sordide affaire de mœurs par un notable local. Son bienfaiteur lui faisant en effet porter la responsabilité du crime pédophile dont il est l’auteur. A l’évidence, Mocky vient ici empiéter sur le terrain de jeu fétiche de son ami Claude Chabrol en esquissant une satire des mœurs de la bourgeoisie provinciale qui, sous le vernis d’une apparente bienséance, cache ses pires turpitudes perverses et immorales. Mais au-delà même de son sujet brûlant – la pédophilie (appuyée par les plans dérangeants sur le corps dénudé de la fillette) – « Le témoin » est surtout le récit d’une terrible erreur judiciaire. Ce qui donne à son auteur l’occasion de livrer un vibrant réquisitoire contre la peine du mort – au fond le vrai sujet de ce film – alors même que le débat est prégnant au sein de la société française (affaire Ranucci notamment). Un film d’un redoutable cynisme et d’une terrible noirceur, porté à la perfection par deux monstres sacrés : Philippe Noiret et Alberto Sordi. Sans doute l’un des films les plus aboutis de la filmographie de Mocky.
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Le blu-ray : Le film est présenté dans un nouveau Master restauré 4k et proposé en version originale française (2.0) ainsi qu’en audiodescription.
Côté bonus, le film est accompagné d’un entretien avec Jean-Pierre Mocky ainsi que d’un entretien avec Jean-Pierre Leroy.
Édité par ESC Éditions, « Le témoin » est disponible en blu-ray depuis le 4 mai 2022.
Le site Internet d’ESC Éditions est ici. Sa page Facebook est ici.