Après le succès de "Spartacus" (1960), superproduction dont il est sorti un peu amer malgré tout, Stanley Kubrick revient à un projet plus personnel, plus singulier, dans un genre inédit pour lui après trois premiers films plus proches du Film Noir. Il acquiert ainsi les droits du roman sulfureux "Lolita" (1955) de Vladimir Nabokov, livre qui a été un énorme succès littéraire non sans être précédé d'un parfum de scandale. Le cinéaste le sait d'ailleurs très bien à tel point qu'il envisage déjà de vieillir le rôle principal et d'atténuer ou même d'occulter quelques passages. D'autant plus vrai que le scénario est écrit directement par l'auteur mais le résultat est si dense et si important que Kubrick reprend le scénario avec James B. Harris qui était déjà à l'écriture sur "L'Ultime Razzia" (1956) et "Les Sentiers de la Gloire" (1957). Nabokov dira plus tard que Kubrick aurait gardé "seulement" 20% de son scénario d'origine, ce qui n'empêcha pas l'auteur de déclarer en 1964 : "J'ai trouvé que le film était de tout premier ordre." Ironie du sort, Nabokov sera nominé à l'Oscar du meilleur scénario adapté, une nomination parmi d'autres pour le film dont une statuette du Golden Globe du meilleur espoir pour la jeune actrice dans le rôle titre... Humbert Humbert, professeur de littérature française cherche à louer une chambre pour l'été ce qu'il trouve chez Charlotte Haze une veuve en mal d'amour. Cette dernière lui fait visiter sa demeure en tentant de charmer le professeur mais il accepte de louer la chambre surtout après être tomber en pâmoison devant la fille de son hôtesse, l'adolescente Dolorès dont il tombe amoureux. Il loue la chambre, puis pour rester encore auprès de Dolorès "Lolita" il décide finalement d'épouser Charlotte. Mais quand Charlotte apprend la passion de Humbert pour sa fille un premier drame frappe la famille...
Humbert Humbert est interprété par James Mason, grand acteur vu dans de nombreux chefs d'oeuvres comme "Pandora" (1951) de Albert Lewin, "La Mort aux Trousses" (1959) de Alfred Hitchcock, "Mandingo" (1975) de Richard Fleischer ou "Croix de Fer" (1977) de Sam Peckinpah. Son hôtesse puis épouse est jouée par la star Shelley Winters inoubliable dans "Une Place au Soleil" (1951) de George Stevens, "La Nuit du Chasseur" (1955) de Charles Laughton ou "L'Aventure du Poséidon" (1972) de Ronald Neame, tandis que le rôle titre est incarnée par Sue Lyon dans son premier film avant de confirmer dans "La Nuit de l'Iguane" (1964) de John Huston puis déjà tomber dans le déclin avec d'abord "Frontière Chinoise" (1966) de John Ford et "Tony Rome est dangereux" (1967) de Gordon Douglas. Dans un double rôle il y a l'inénarrable Peter Sellers remarqué entre autre dans "Tueurs de Dames" (1955) de Alexander Mackendrick ou "La Bataille des Sexes" (1960) de Charles Crichton, retrouvera Kubrick dans son prochain film "Docteur Folamour" (1964) mais surtout il deviendra une star avec la franchise de "La Panthère Rose" (1963-1982) de Blake Edwards. Citons encore Lois Maxwell qui va devenir la même année la fameuse Moneypenny dans la quinzaine de 007 de "James Bond contre Dr. No" (1962) de Terence Young jusqu'à "Dangereusement Votre" (1985) de John Glen retrouvant ainsi dans "Goldfinger" (1964) de Guy Hamilton son partenaire Cec Linder vu dans "Jet Storm" (1959) de Cy Enfield, "Cri d'Angoisse" (1960) de Muriel Box ou plus tard dans "Virus" (1980) de Finji Fukasaku, et enfin n'oublions pas Shirley Douglas surtout vue à la télévision citons néanmoins le film "Faux Semblants" (1988) de David Cronenberg, mais surtout future épouse et mère de Donald et Kiefer Sutherland... Bien qu'une oeuvre littéraire majeure de Vladimir Nabokov "Lolita" va pourtant connaître un "relooking" du roman en prenant des libertés avec le contenu mais en lui offrant le plus bel écrin et en n'y violant jamais l'esprit du roman. Impossible en effet d'être fidèle à un roman à 100% sur la durée d'un film (répétons-le !) mais la force de Kubrick est d'y déceler toute l'essence et l'âme du livre et de le retranscrire à l'écran.
Si tous les chapitres du roman n'existent pas dans le scénario, Kubrick se focalise (évidemment) sur la partie la plus taboue où comment Humbert Humbert est séduit par la jeune beauté Lolita. Cependant il va aussi éviter la censure en retirant les passages plus "crus" ou directs, le choix d'un actrice plus âgée est un autre paramètre ; Sue Lyon avait 15 ans mais faisait plus que son âge soit bien moins malsain qu'une Lolita "littéraire" de 12 ans. Pour l'anecdote, si elle a été remarquée par Kubrick, c'est bien Nabokov lui-même qui a choisi l'actrice dans un panel dans lequel le réalisateur avait glissé la photo de la jeune actrice. Son personnage rappelle d'ailleurs celui deCaroll Baker dans "Baby Doll" (1956) de Elia Kazan (qui a aussi certainement inspiré Kubrick). Kubrick signe un film d'abord psychologique, nous ne voyons rien de choquant, tout est simplement supposé et/ou laissé à l'imagination débordante du spectateur. A tel point que la frustration de Kubrick devient bien souvent la notre et, mine de rien, on se demande vraiment si Kubrick n'aurait pas pu aller un peu plus loin malgré tout. Ensuite la dernière partie est un peu trop découpée avec une ellipse un peu maladroite. Néanmoins Kubrick a su explorer les vices de Humbert Humbert comme personne, il réalise un film psychologiquement impeccable et qui évite l'écueil de la facilité (Kubrick s'est-il lui-même auto-censuré pour le challenge ?!) en nous focalisant sur les faiblesses de Humbert Humbert ; d'ailleurs James Mason trouve là sans doute sa meilleure performance. La direction d'acteur n'est pas pour rien non plus, entre un Humbert Humbert qui reste humain et une Lolita sur le fil ténu de "à l'insu de mon plein gré". Loin d'être un "film sur la dépravation" le film est un conte moderne et funeste, tragique car il ne peut en être autrement. Avec ce film Kubrick débute enfin sa carrière en solo, seul maître de ses oeuvres et de son destin.
Note :
17/20