La Conspiration du Caire (2022) de Tarik Saleh

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Nouveau film du réalisateur égyptien Tarik Saleh après son excellent "Le Caire Confidentiel" (2017), sans compter "The Contractor" (2022) qui n'a été diffusé qu'uniquement sur la plateforme Prime Video. Si l'histoire se déroule une fois de plus au Caire cette fois le réalisateur-scénariste s'inspire un peu de sa famille car son grand-père né dans un petit village a été admis dans l'université Al-Azhar dont il est question dans le film. et aborde une autre facette de son pays. Le cinéaste explique : "Il a été le premier dans son village à recevoir une véritable éducation. Al Azhar a été bâtie par les Fatimides au cours du Xème siècke et a représenté, dès le début, le lieu fondamental des études islamiques. Les Fatimides étaient musulmans chiites mais, quan Salah Ad-Din - chez vous Saladin - a pris le pouvoir au XIIème siècle, la première mesure fut de convertir Al-Azhar en institution sunnite. Depuis toujours, l'Egypte a été occupée par des étrangers. La plus longue période a été celle des Turcs, puis celle des Britanniques, suivie de près par les Français.. Malgré tout, Al-Azhar a toujours réussi à coexister avec le pouvoir politique en place. C'est compréhensible puisque l'université a toujours été respectée et considérée comme la plus importante source de savoir sur l'Islam au monde. Ma grand-mère a elle aussi reçu une éducation. Bien qu'elle n'ait pas pu aller à Al-Azhar, cela reste très impressionnant pour l'époque. Mes grands-parents venaient tous deux de villages reculés et en un seul voyage, ils ont fait ce saut énorme d'un lieu quasi-médiéval à la modernité de la ville. J'ai voulu montrer les enjeux que symbolise le départ d'un village pour suivre des études. Quel est le prix à payer ?" Mais outre ce lien familial, l'idée du film est venu au réalisateur avec la lecture du roman "Le Nom de la Rose" (1980) de Umberto Eco (adapté au cinéma en 1986 par Jean-Jacques Annaud) : "Et si je racontais une histoire de ce genre mais dans un contexte musulman ? Est-ce que ce serait possible ? Est-ce que j'en aurais le droit ? Est-ce que c'est dangereux ? La même sensation que cette de jouer avec le feu lorsqu'on est enfant. Une fois que j'ai eu commencé à suivre cette pensée, je n'ai pas pu m'arrêter. Non seulement je pouvais le faire, mais je devais le faire. J'ai donc commencé à imaginer une histoire qui se déroulerait à notre époque." Le sujet reste délicat en Egypte où il n'a pu tourner étant persona non grata dans son pays depuis 2015. Le tournage s'est donc déroulé en Turquie. Le film a été présenté au Festival de Cannes 2022 où il a obtenu le Prix du Scénario...

Simple fils de pêcheur, Adam réussit pourtant à intégrer la plus prestigieuse université de l'Islam sunnite : Al-Azhar. Le jour même de la rentrée scolaire, le Grand Imam à la tête de l'institution meurt soudainement. Adam va se retrouver bien malgré lui au centre d'une lutte de pouvoir entre les instances religieuses et les élites politiques... Le jeune étudiant est incarné par Tawfeek Barhom vu dans "Mon Fils" (2014) de Eran Riklis, "Le Chanteur de Gaza" (2015) de Hany Abu-Assad, "Marie-Madeleine" (2018) de Garth Davis et "Le Rythme de la Vengeance" (2020) de Reed Morano. Citons surtout l'acteur libano-suédois Farès Farès qui retrouve le réalisateur pour la 4ème fois, mais acteur surtout remarqué dans la franchise "Les Enquêtes du Département V" (2013-2019) et vu aussi notamment dans "Easy Money" (2010) et "Enfant 44" (2016) tous deux de Daniel Espinosa. Citons ensuite Mehdi Dehbi aperçu dans "Sweet Valentine" (2010) de Emma Luchini, "Mary Queen of Scots" (2013) de Thomas Imbach ou "Un Homme très Recherché" (2014) de Anton Corbijn, "La Chute de Londres" (2015) de Babak Najafi, Mohammad Bakri vu entre autre dans "Hanna K." (1983) de Costa Gravas, "Sous les Pieds des Femmes" (1995) de Rachida Krim ou "Wajid" (2017) de Annemarie Jacir et qui retrouve après "Le Tombeau" (2001) de Jonas McCord son partenaire Makram Khoury vu dans "Les Patriotes" (1994) de Eric Rochant, "La Fiancée Syrienne" (2004) et "Les Citronniers" (2008) tous deux de Eran Riklis, "Free Zone" (2005) de Amos Gitaï ou "Munich" (2005) de Steven Spielberg, puis n'oublions pas Sherwan Haji remarqué dans "De l'Autre Côté de l'Espoir" (2017) de Aki Kaurismaki, et Ramzi Choukair aperçu dans "La Fracture" (2021) de Catherine Corsini... Précisons que si Al-Azhar reste prestigieuse elle l'est encore surtout par son ancienneté et son histoire. L'université est désormais assez mal classée dans les divers classement sur le sujet, on peut aussi citer le recteur de la mosquée de Bordeaux : "Si vous voulez faire un petit tour au Moyen-Âge, allez vous baladez à Al-Azhar. Ce n'est plus la plus haute autorité sunnite du monde arabe, l'institution n'a plus de prestige. Al-Azhar ce n'est qu'en Occident qu'on en parle."

Le réalisateur s'attaque à un film d'espionnage singulier qui qui marque bien les luttes intestines entre pouvoir gouvernemental et élite religieuse mais pas que, car comme le précise le cinéaste, il a écrit le film alors que le scandale de corruption à l'Académie suédoise qui décernait le Prix Nobel de Littérature ce qui donne une autre dimension au récit, à savoir la nuance non négligeable entre autorité et pouvoir. Ainsi, le jeune Adam/Barhom se retrouve au centre d'un conflit qui le dépasse, pris entre deux feux, un "ange" qui ne se sait pas encore déchu et condamné pour raison d'état. Le scénario est implacable, reprenant tous les codes de l'espionnage qui sont pourtant quasi toujours mis en place dans un contexte de guerres ou de géo-politiques alors que cette fois il s'agit d'un même pays, une même nation, sans guerre civil qui repose sur une influence nécessaire et crucial sur la religion d'état et même internationale. Tarik Saleh signe donc une variation du film "Le Nom de la Rose" sous le signe du Croissant islamique. Dans les coulisses de Al-Azhar on se retrouve dans des relations aussi tendues et secrètes que dans les couloirs de la Maison Blanche ou du Kremlin avec une multitude de pions sur l'échiquier qui ne comprennent pas tous les enjeux et ou les conséquences à venir. Moins nerveux que "Le Caire Confidentiel", mais encore plus anxiogène l'intrigue est passionnante car aujourd'hui on ne peut imaginer une telle passe d'arme entre le Vatican et une démocratie chrétienne. Tarik Saleh signe un thriller politico-théologique prenant qui fait froid dans le dos d'autant plus qu'aucun des deux camps ne semblent franchement pour la Liberté du peuple. Deux coups de maîtres pour le réalisateur-scénariste coup sur coup, vivement son prochain film.

Note :   

15/20