Le Trou (1960) de Jacques Becker

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Réalisateur majeur après des films comme "Goupi Mains Rouges" (1943), "Casque d'Or" (1952) ou "Touchez pas au Grisbi" (1954) Jacques Becker adapte avec ce nouveau projet le premier roman éponyme (1957) de José Giovanni, ex-truand devenu romancier et qui devient scénariste puis plus tard réalisateur. L'auteur s'inspire en fait de son propre vécu, ayant organisé une évasion par un tunnel de la prison de la Santé en 1947) avec quatre autres camarades dont Jean Keraudy qui joue quasi son propre rôle dans le film ! Jacques Becker co-signe le scénario avec Giovanni lui-même et avec Jean Aurel connu pour son travail sur "Porte des Lilas" (1957) de René Clair et "Le Triporteur" (1957) de Jacques Pinoteau et qui sera surtout remarqué plus tard pour les films "L'Amour en Fuite" (1979), "La Femme d'à-Côté" (1981) et "Vivement Dimanche !" (1983) tous trois de François Truffaut. Si le film va vite devenir un classique du genre il est au départ un échec en salles que Jacques Becker ne verra pas, mort seulement deux semaines après la fin du tournage, ce qui poussera néanmoins le producteur Serge Silberman a amputé le film de 24mn pour tenter de revigorer l'intérêt du film au cinéma. Néanmoins, le film va devenir une référence en matière de film d'évasion, et va permettre à Jose Giovanni de poursuivre au cinéma aussitôt avec "Classe Tous Risques" (1960) de Claude Sautet et "Un Nommé La Rocca" (1961) de Jean Becker, ce dernier étant fils de Jacques, assistant-réalisateur et acteur sur "Le Trou"... Gaspard, un jeune homme bien comme il faut au premier abord est transféré à la prison de la Santé après avoir été accusé de tentative de meurtre sur sa petite amie. Il se retrouve en cellule avec quatre autres détenus qui vont bientôt le mettre dans la confidence, à savoir qu'ils ont bien l'intention de creuser un trou et un tunnel pour s'évader. D'abord hésitant Gaspard  participe bientôt au projet...

Le jeune prisonnier est interprété par Marc Michel qui va percer surtout avec "Lola" (1961) et "Les Parapluies de Cherbourg" (1964) tous deux de Jacques Demy, tandis qu'il est entouré de quatre autres détenus incarnés par Jean Keraudy de son vrai nom Roland Barbat, ex-taulard et ami de Giovanni qui joue là son propre rôle et son unique rôle au cinéma, Philippe Leroy-Beaulieu qui joue le pendant de José Giovanni, l'acteur vu ensuite dans "Pleins Feux sur l'Assassin" (1961) de Georges Franju et "Une Femme Mariée" (1964) de Jean-Luc Godard fera l'essentiel de sa carrière en Italie dont "La Mandragore" (1965)  de Alberto Lattuada et "Portier de Nuit" (1974) de Liliana Cavani, Michel Constantin qui retrouvera l'univers de José Giovanni avec "Un Nommé La Rocca" (1961) de Jean Becker, "Les Grandes Gueules" (1965) de Robert Enrico, "Le Deuxième Souffle" (1966) de Jean-Pierre Melville, "La Loi du Survivant" (1967) de Giovanni lui-même dans lequel il interprète justement Jean Keraudy et "La Scoumoune" (1972) de Giovanni encore, puis enfin Raymond Meunier vu auparavant dans "Ronde de Nuit" (1949) de François Campaux, "Le Garçon Sauvage" (1951) de Jean Delannoy ou "La Vérité" (1960) de Henri-Georges Clouzot et qui retrouvera encore ses camarades entre autre avec "Dernier Domicile Connu" (1969) de Jose Giovanni et "L'Eté Meurtrier" (1983) de Jean Becker. Le reste du casting est essentiellement composé de seconds couteaux, voir troisième, des gueules pour la plupart non crédité dont on ne se souvient que rarement des noms, citons donc Jean-Paul Coquelin, André Bervil, Eddy Rasimi, Philippe Dumat, Marcel Rouzé, Raymond Bour, Jean Minisini, Paul Pavel, Jean Luisi puis, n'oublions pas Gérard Hernandez encore inconnu qui retrouve Jacques Becker après "Montparnasse 19" (1957), retrouvera aussitôt après quelques uns de ses partenaires pour "Un nommé La Rocca" (1961) avant de faire une carrière prolifique au cinéma mais aussi et surtout eu théâtre et à la télévision, puis l'inénarrable Paul Préboist gueule au plus de 160 apparitions au cinéma entre 1947 et 1992 ayant ainsi tourné avec la plupart des autres acteurs comme son partenaire Dominique Zardi avec ses 300 rôles entre 1943 et 2007 dont quelques Giovanni avec évidemment "Un nommé La Rocca" mais aussi "Le Doulos" (1963) de Jean-Pierre Melville, "Tendre Voyou" (1966) de Jean Becker, puis "Dernier Domicile Connu" (1970), "La Scoumoune" (1972) et "Deux Hommes dans la Ville" (1973) tous trois de José Giovanni. Et enfin n'oublions pas le seul atout charme dans cet univers très masculin avec le premier rôle de Catherine Spaak future star avec des films comme "Le Fanfaron" (1962) de Dino Risi, "Le Chat à Neuf Queues" (1971) de Dario Argento puis "Week-End à Zuydcoote" (1964) de Henri Verneuil dans lequel elle retrouvera d'ailleurs Zardi et Préboist... Le film frappe surtout par son incroyable immersion en prison qui allie détails digne d'un documentaire avec la fiction la plus fascinante. Evidemment le côté réaliste et authentique, la fidélité aux faits sont des vecteurs aussi passionnants que troublants et imposent un cachet "incroyable mais vrai" dès le prologue où Jean Kerauty, vrai taulard roi de l'évasion nous introduit dans l'histoire en s'adressant directement au spectateur.

La reconstitution est impressionnante, d'abord la prison de la Santé elle-même reconstruite grâce aux ex-taulards présents lors du tournage, mais aussi dans les détails "techniques" comme les fouilles, les relations avec le personnel pénitentiaire, le quotidien dans une cellule en toute promiscuité, la fouille des colis... etc... Outre le quasi huis clos logiquement mis en place, on apprécie l'économie des mots, chaque réplique n'étant jamais superflue, renseignant toujours sur un individu ou une situation. Mais derrière cette histoire prenante à hauteur d'homme il y a aussi une mise en scène merveilleusement intelligente, respectant les lieux et l'action de façon finalement logique et cohérente. Par exemple on peut noter ce long plan-séquence de plusieurs minutes où on est à côté des détenus qui creusent leur trou sans trucage (on sent bien que ce n'est pas du plâtre !) qui force encore l'immersion en ressentant l'effort dantesque d'un telle entreprise, ou par exemple le travail sur la musique qui n'en est pas vraiment une, où plutôt elle est dite diégétique car elle est composée de toute l'environnement des prisonniers (gamelles, urinoir, porte, serrure...) qui intensifie l'atmosphère carcéral. Le seul petit bémol est a crédibilité ou l'incroyable chance des taulards quand ils déambulent dans les sous-sols. Même si on connaît l'issue de l'affaire Jacques Becker instaure un climax singulier avec des personnages terriblement humains malgré que ce ne soient évidemment pas des enfants de choeur. Un grand et beau film parfaitement maîtrisé, un film considéré par le grand Jean-Pierre Melville comme "le plus beau film français", excusez du peu...

Note :      

18/20