[CRITIQUE] : Causeway

Par Fuckcinephiles
Réalisatrice : Lila Neugebauer
Avec : Jennifer Lawrence, Brian Tyree Henry, Danny Wolohan,Jayne Houdyshell,...
Distributeur : Apple TV Plus
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Américain.
Durée : 1h32min
Synopsis :
Au cours d'une mission en Afghanistan, Lynsey, ingénieure dans l'armée, est blessée par un engin explosif. Souffrant de lésions cérébrales, elle retourne aux États-Unis. Elle entame alors une douloureuse et lente guérison au cours de laquelle elle réapprend à marcher et à faire fonctionner sa mémoire, avec le soutien d'une aide-soignante. Lorsqu'elle retourne chez elle à la Nouvelle-Orléans, elle doit faire face à des souvenirs douloureux. Vivant avec sa mère malgré leurs rapports conflictuels, Lynsey ne souhaite qu'une seule chose : retrouver son poste d'ingénieure. Elle fait alors la rencontre de James Aucoin. Petit à petit, ils se soutiennent l'un et l'autre et se tiennent compagnie. James, lui aussi, refoule son passé.


Critique :

Loin d'être original, #Causeway n'en est pas moins un beau drame douloureusement intime et humain sur la reconstruction/réhabilitation d'âmes blessées, dont la retenue n'a d'égale que la justesse des émotions qu'elle sait susciter avec force. Superbe tandem Lawrence/Tyree Henry. pic.twitter.com/MgHlHIgYJ3

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) November 5, 2022

Jennifer Lawrence a bâti sa carrière sur des rôles de femmes fortes, déterminées et courageuses, luttant contre l'adversité quitte à se sacrifier elle-même pour bien des siens, voire même de toute une communauté.
Il n'y a donc rien d'étonnant, et cela en est même finalement une continuité assez logique, qu'elle adopte à nouveau ce type de rôle avec cette fois-ci, une nuance toute particulière tant elle fait face ici de plein fouet au coût des combats qu'elle a menée, arpentant la longue et difficile route de la guérison.
Dans Causeway de Lila Neugebauer, elle fait face à l'après dans le corps blessé de Lynsey, comme jamais auparavant.
L'après ici, c'est les ravages de la guerre en Afghanistan, dont elle est revenue des lésions cérébrales et un corps qu'elle ne maîtrise plus, au point de devoir être dépendant des autres, avec la douleur - physique comme psychologique - et la frustration que cela implique.
Réapprendre à vivre tout en sachant pertinemment que plus rien ne sera plus pareil, repartir de zéro - à tous les niveaux - et à se faire violence pour avancer même si, paradoxalement, c'est aussi se faire du mal, accepter sa propre vulnérabilité quitte à ce qu'elle nourrisse notre colère.

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Dénué de tout pathos facile mais avec une rugosité salutaire (notons l'intelligence de ne pas avoir joué la carte de la surenchère traumatisante avec un flashback revenant sur l'incident vécu par Lynsey), Causeway scrute la lente et difficile brutalité de la reconstruction de soi et de la réhabilitation au coeur de la société, nourrit autant par des espoirs souvent déchus et la crainte légitime de ne jamais pouvoir s'en remettre, que par la nécessité de baisser - un brin - sa garde et de trouver du soutien en autrui.
Avec subtilité et authenticité, le récit - sensiblement taiseux - s'attache à l'instabilité d'un retour " à la normale " d'une normalité qui n'est pas sienne, d'apprivoiser l'emprise et la douleur du passé - qui se rappelle à leur corps chaque jour, pour qu'elle n'obscurcisse plus tout espoir d'avenir, de faire de cette rage intérieure (contre la vie et même soi-même) la force motrice d'une résilience salutaire.
C'est cette lutte acharnée au présent, redondante car chaque jour est une épreuve qui nous ramène inéluctablement à la précédente et nous prépare savamment à la prochaine, qui est au coeur de ce puissant et complexe premier long-métrage, totalement connecté aux émotions fluctuantes d'une Jennifer Lawrence qui habite son personnage jusque dans les moindres recoins les plus inconfortables (une performance tout en intériorité qui est, sans doute, sa plus impressionnante depuis celle qui l'a fait exploser aux yeux du monde dans Winter's Bone), et à qui un Brian Tyree Henry tout aussi magistral en mécanicien tout aussi cabossé, offre un répondant tel que leur alchimie est l'une des plus complémentaires vu à l'écran depuis un bon moment (elle justifie à elle seule sa vision).

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Chaque fois que leurs personnages tâtonnent, cherche à s'ouvrir l'un à l'autre sans véritablement y parvenir, le film tutoie une grâce rare d'autant qu'il a le bon ton de ne pas laisser glisser cette (double) renaissance sur les rails d'une love story faisandée et sirupeuse, la relation nouée entre les deux personnages n'étant pas vu comme une finalité mais bien une manière de se sauver l'un et l'autre, pas à pas, un acte de gentillesse et de bienveillance après l'autre.
Loin d'être foncièrement original (en même temps, elle ne prétend jamais vraiment à l'être, même quant elle use du trope facile de la famille toxique), Causeway n'en est pas moins une expérience infiniment précieuse et humaine dont la retenue et la pudeur n'a d'égale que la justesse des émotions qu'elle sait susciter avec force.
Un sacré premier effort.
Jonathan Chevrier