Genre : Drame
Année : 1961
Durée : 1h31
Synopsis :
En excursion à la montagne, une jeune femme se retrouve attachée entre son mari et son amant. Menacés de mourir tous les trois, elle doit choisir entre les deux.
La critique :
Pas plus tard que ma précédente chronique, vous pouviez contempler de vos yeux ébahis la fin de ma rétrospective dédiée au giallo. Et comme une bonne nouvelle n'arrive jamais seule, c'est aussi le clap de fin pour celle concernant ce fantastique courant qu'est la Nouvelle Vague japonaise. Je ne vous cache pas pour le coup être nostalgique et déçu d'avoir finalement rencontré l'ultime film qui aura abouti à l'inéluctable. C'est désormais chose faite, je n'ai plus rien à me mettre sous la dent pour m'évader un temps dans cette époque cinématographique bénie des dieux. En finir avec cela impliquait logiquement de le faire de la plus belle des manières, avec une oeuvre qui marquerait durablement. Une apothéose pour mon au revoir momentané (car je compte bien en revisionner plus d'un).
Il n'aurait pu en être autrement que d'attribuer ce privilège à l'un de mes réalisateurs préférés, tout courants confondus, qui est Yasuzo Masumura. Découvert en même temps que mon incursion dans le genre il y a quelques années via une liste exhaustive dont je ne remercierai jamais assez l'auteur et le destin d'être tombé dessus, sa rencontre fut plus que marquante. Avec La Bête Aveugle, ce fut une claque comme j'en avais très rarement rencontré dans le Septième Art. Le visionnage de Tatouage, moins marquant il est vrai, n'en occultait pour autant pas son statut de très bon film. S'en suivra une suite de deux chefs-d'oeuvres absolus. Tout d'abord, L'Ange Rouge et puis La Femme de Seisaku qui m'estomaquèrent proprement et simplement.
Très récemment, l'honneur devait revenir à Passion de finaliser mon travail mais c'était sans compter sur une obtention de dernière minute à la réputation solide et davantage dithyrambique qui s'en mêlera pour remplacer le très bon cru susmentionné. Confessions d'une épouse a la lourde tâche de réussir à achever en fanfare la longue épopée NV jap sur le blog, en VOSTA de surcroît car la médiocrité notoire de notre système de distribution fait que le long-métrage semble toujours inédit dans nos contrées. De toute façon, même s'il avait été exploité, il est introuvable en format physique donc cela n'améliorerait pas la situation catastrophique de la filmographie de son auteur encore très peu accessible de par chez nous. Il faudra pour certains compter sur le vilain téléchargement Internet, même quand cela concerne des oeuvres rares, introuvables, inaccessibles aux petits portes-monnaies ou tout simplement inédites. Sinon, je suppose que vous connaissez maintenant par coeur le contexte historique que je vous citerai enfin une dernière fois. Tout commence par l'émergence du téléviseur dans les foyers qui voit un déclin d'audience au cinéma inquiétant les maisons de production.
Les temps changent et les attentes aussi. Le peuple n'est plus autant bercé par le classicisme cinématographique dans un Japon post WWII en proie à de lourdes tensions sociales, socio-économiques et géopolitiques. La refonte était nécessaire pour repartir sur des bases meilleures. Le pinku eiga et donc la NV jap permettront de fidéliser à nouveau les japonais. De son côté, malgré sa maigre reconnaissance, Masumura peut se voir comme l'un, si ce n'est le fondateur du courant.
ATTENTION SPOILERS : En excursion à la montagne, une jeune femme se retrouve attachée entre son mari et son amant. Menacés de mourir tous les trois, elle doit choisir entre les deux.
Yasuzo Masumura a souvent été considéré comme le cinéaste japonais de la tragédie et il est vrai que nous comprenons très vite pourquoi. Ses romances ne se font pas sous un ciel éclairé. Il n'y a ni contes de fées, ni prince charmant venant au secours de la pauvre fille esseulée. Tout n'est que tristesse, désespoir, la souffrance toujours consubstantielle de l'amour. Ses films sont la totale antithèse du film d'amour ensoleillé vu dans l'imaginaire collectif. Une virée à la montagne dégénère par la mort du mari d'Ayako, la corde sectionnée par celle-ci, incapable de tenir plus longtemps à cause de la douleur et de l'épuisement. Dans un contexte rappelant le grand classique La Vérité de Henri-Georges Clouzot, Ayako va se retrouver sur le banc des accusés, sommée de raconter ce qu'il s'est vraiment passé, sous les assauts de l'avocat de l'accusation la traitant de meurtrière. Derrière elle, le jeune Osamu de qui elle s'est énamourée pour fuir son quotidien marqué par un mariage raté.
Confessions d'une épouse permet à Masumura de remettre en question toute la société japonaise phallocrate et in fine malade et oppressante. Malgré la présomption d'innocence, Ayako voit peser sur elle l'ire de nombreuses personnes. On l'accuse de ne pas avoir rejoint son mari dans l'au-delà par le sacrement total de dévotion, comme si le destin de la femme devait s'axer sur le malheur fatal touchant son homme. Ayako est une femme et donc elle est nécessairement coupable. Le procès se transforme en un simulacre de justice où elle n'est pas seulement accusée de l'assassinat de son époux mais aussi de son infidélité, de sa relation amoureuse allègrement jugée.
Pire encore, on se sert de l'assurance-vie à laquelle avait souscrite son mari, pour la semoncer de vouloir s'enfuir avec l'argent et son amant et mener, ainsi, une vie confortable pour le restant de ses jours. Cinq millions de yen étant une coquette somme en ces temps. Pourtant, tous ces tenanciers de la justice avaient-ils idée de la misère dans laquelle était plongée Ayako ? Un homme égoïste pour qui seule l'escalade comptait, totalement opposé à l'idée de lui accorder une descendance. Sa femme délaissée ne pouvait en aucun cas songer au divorce car il faut l'assentiment du mari. Tout rêve d'émancipation était tué dans l'oeuf et elle ne trouvera de réconfort qu'entre les bras de Osamu, pourtant déjà fiancé. Pour Takigawa, peu importe que sa femme le trompe. Il se venge en l'emprisonnant dans un quotidien fait de douleur morale. Masumura vilipende les principes séculaires qui réduisent à néant le sort de la femme dans un couple, incapable de faire valoir ses droits et ce même devant la justice.
En ce sens, l'accident représente pour elle un événement salvateur mais sans se douter qu'aucun choix ne sera totalement bon pour le restant de sa vie. En choisissant de se tuer dans la chute, elle aurait été vue comme une épouse aimante à laquelle la société aurait rendu hommage. Elle aurait pu avoir l'acceptation d'autrui par la pensée dominante arriérée. Mais en optant pour la carte de la survie, elle aurait, certes, pu se reconstruire une nouvelle vie mais dans l'hostilité de cette même pensée rétrograde.
Ayako, durant de longues minutes, sera tiraillée par cette prise de décision qui la conduira à vivre pour le restant de ses jours avec une mort sur la conscience. Une réflexion juridique sur l'instinct de survie est développée par son avocat qui rappelle que l'être humain est un animal et que la volonté de vivre est inhérente à chacun, sans pour autant verser dans les travers moralisateurs. Masumura, par une mise en scène audacieuse, élude l'écueil de déjà-vu et préférera user de flash-backs revenant sur la vie de chaque personnage de ce triangle amoureux. Nous découvrons petit à petit l'horreur existentielle d'Ayako au point qu'un cas de conscience se fait en nous sur le choix qu'elle a pris, suspendue dans le vide. Mais attention car les choses sont plus compliquées qu'elles en ont l'air ! Et si tout n'avait pas été calculé depuis le début pour qu'Ayako puisse se débarrasser de son mari encombrant ? Pourquoi avait-elle en sa possession un couteau trop facilement accessible ?
Aimait-elle son mari comme elle le martèlera devant l'assemblée ? De la compassion envers sa personne du début, Masumura altère notre jugement sur une femme qu'il rend finalement trouble et potentiellement vénale. Au cours de l'histoire, Ayako arbore de plus en plus les traits d'une vamp. L'innocence de son visage se fracture, tandis que l'éternelle question du meurtre prémédité planera jusqu'à la révélation finale.
Avec le cinéaste, la vérité est toujours aussi difficile à entendre. Visionner Confessions d'une épouse implique de ne pas ressortir de là avec du baume au coeur tant tout est glacial, à l'image finalement de cette montagne isolée de tous. Un retour aux prémices de l'humanité quand celui-ci était affilié à la bestialité plutôt qu'à la civilisation. Rien n'a vraiment changé dans l'absolu. Masumura, comme d'habitude, nous fait passer à travers une myriade de sentiments tout en nous incitant à démêler le vrai du faux dans ces allers-retours constants entre passé et présent, entre la chambre des accusations et la mise en liberté où elle continue à voir son jeune amant.
Le cinéphile est alors pleinement impliqué dans une histoire qui ne pourra qu'aboutir à la noirceur la plus totale, presque au point de foutre le bourdon à un croque-mort. Un procédé auquel on a l'habitude quand on visionne du Yasuzo Masumura. Sur ce point, il est fidèle à lui-même et il va sans dire qu'on évitera de le mettre entre les mains des personnes à fleur de peau.
Enfin, pour mon plus grand bonheur, je pus m'enorgueillir, en plus, du noir et blanc. Ne laissons pas plus longtemps la surprise car le résultat est proprement admirable, comme d'accoutumée. Le travail sur les contrastes, sur les éclairages fait que Masumura était déjà un véritable esthète en 1961. Pareillement sur la caméra se déplaçant habilement dans la salle d'audience avec la même maestria que Jugement à Nuremberg, sorti la même année. Bref, tout est positif comme il fallait s'y attendre. La composition musicale est de bonne facture, tout autant tragique que le sort des protagonistes sans verser dans l'excès ou le procédé putassier de chercher à renforcer la tension dramatique par son violon ou son piano. L'astuce propre aux tâcherons diront nous.
Et pour finir, comment ne pas s'émouvoir de la splendide Ayako Wakao, toujours aussi touchante et dont la prestation atteindra des sommets. Son jeu d'acteur toujours juste ne se complait jamais dans le cliché et/ou dans une interprétation fausse. On tient définitivement l'une des plus grandes actrices japonaises de tous les temps qui n'aura aucunement usurpé sa réputation à l'international. Quoique logiquement éclipsés, les autres réussiront à tirer leur épingle du jeu. Mentionnons Hiroshi Kawaguchi, Eitaro Ozawa, Haruko Mabuchi, Jun Negami, Hideo Takamatsu, Ichiro Aminaka et Tomio Hanano.
Je ne disserterai pas mille ans si ce n'est de scander mon extatisme face à une rétrospective inimaginable de qualité. Démarrée dans la plus grande surprise le 12 août 2017 avec l'excellent Les Funérailles des Roses, j'étais loin de penser que la Nouvelle Vague japonaise allait autant bercer mon âme de passionné de cinéma (je n'ose dire cinéphile). Ainsi, les longs-métrages qui reçurent leur concert d'éloges peuvent se compter sur plus que les dix doigts de la main. Comme il est décevant de se rendre compte du snobisme ridicule à l'égard de ce pan important du cinéma nippon tant il a à offrir. Une époque bénie des dieux pour le Septième Art national ? Je n'hésiterai pas à dire que oui, tout en incluant le pinku eiga dedans. Quant à Confessions d'une épouse, ce n'est ni plus ni moins qu'un énième coup de poing dans la figure que nous assène Masumura. Le seul qui peut se vanter d'avoir des romances désespérées en accord avec l'esprit de Cinéma Choc. En tout cas, mon intuition de le chroniquer en dernier fut brillante car il surpasse sans problème un Passion pourtant remarquable.
Confessions d'une épouse est un tourbillon passionnel fait de douleur, de brutalité et de cruauté, tout en étant un réquisitoire virulent sur un Japon durement patriarcal. Oeuvre engagée épousant les dénonciations féministes de jadis, elle n'est ni plus ni moins qu'indispensable pour tout cinéphile qui se prétend l'être. Encore une fois, Masumura confirme sa position de démiurge et je ne peux que le louanger de s'être lancé dans un cinéma que n'aurait pas renié son maître Michelangelo Antonioni. Mes plus sincères remerciements adressés à tous les cinéastes pour tout ce que vous avez fait !
Note : 18/20