Après le succès mondial de son premier long métrage avec "The Kid" (1921) Charles Chaplin est définitivement un des plus puissants du cinéma hollywoodien et réuni toutes les casquettes puisqu'il s'associe avec les autres nababs de la Cité des Anges et du cinéma mondial, Douglas Fairbanks, Mary Pickford et D.W. Griffith pour fonder la société de production United Artists. Désormais libre artistiquement et financièrement, producteur-réalisateur-acteur-monteur-compositeur il désire changer de registre pour un son premier drame réaliste dans lequel il ne jouera pas exception faite d'un petite caméo. Le film est acclamé à sa sortie par les critiques mais le public n'est pas au rendez-vous, désarçonné par le fait que Charlot n'est pas là pour faire rire. Le film est un échec retentissant, le premier de l'artiste. Pourtant très fier de son film, mais vexé, le cinéaste fera retirer le film de l'affiche pour ne ressortir qu'en 1976 un an avant sa mort...En France, Marie Saint-Clair et Jean Millet s'aiment malgré la réprobation de leurs parents respectifs. Ils décident pourtant de se marier et de fuir à Paris. Mais un malencontreux hasard fait râter à Jean le rendez-vous à la gare, et Marie décide de prendre le train et monter à Paris. Un an après, elle est devenue une mondaine qui fréquente l'homme le plus riche de Paris, Pierre Revel, jusqu'au jour où elle croise par hasard Jean qui est devenu artiste peintre vivant avec sa mère...
Le film est aussi particulier car il s'agit du premier où Chaplin fait appel en majorité à des acteurs qui ne sont pas des fidèles, à l'exception près des deux personnages principaux. Marie est incarnée par Edna Purviance, muse de Chaplin depuis "Charlot fait la Noce" (2015) et pour 35 films encore dont les courts "Charlot et le Masque de Fer" (1921), "Jour de Paye" (1922) et "Le Pèlerin" (1923) tournés juste avant, et surtout "The Kid" (1921) après lequel elle retrouve son partenaire qui interprète Jean, l'acteur Carl Miller vu dans "Roxelane" (1922) de George Terwilliger et "Les Deux Gosses" (1923 de Maurice Tourneur. L'homme fortuné est incarné par Adolphe Menjou qui tourna dans plus de 150 films entre Muet et Parlant de "The Acid Test" (1914) de Maurice Costello et Robert Gaillard jusqu'à "Pollyanna" (1960) de David Swift en passant par "Les Trois Mousquetaires" (1921) de Fred Niblo, "Morocco" (1931) de Josef Von Sternberg ou "Les Sentiers de la Gloire" (1957) de Stanley Kubrick. Citons les parents joués par Lydia Knott vue notamment dans "La Loi Commune" (1916) de Albert Capellani, "La Rose Messagère" (1919) de John Ince, "Les Bons Larrons" (1922) de Rex Ingram, retrouvant après "The Marriage Ring" (1918) de Fred Niblo son partenaire Charles K. French, acteur au plus de 250 films de "The Cord of Life" (1909) de D.W. Griffith à "Le Fantôme du Cirque" (1940) de James W. Horne en passant par "The Phantom" (1916) de Charles Giblyn ou "La Révolte" (1937) de Lloyd Bacon, puis enfin Clarence Geldart acteur au 130 films de "Jordan is a Hard Road" (1915) de Allan Dwan à "Mississippi" (1935) de Wesley Ruggles et A. Edward Sutherland en passant par "L'Heure Suprême" (1921) de Sam Wood et "Train de Luxe" (1934) de Howard Hawks. Citons encore Malvina Polo remarquée dans "Folies de Femmes" (1922) de et avec Erich Von Stroheim, puis Harry Northrup vu dans "Vanity Fair" (1911) de Charles Kent, "Le Cercle Blanc" (1920) de Maurice Tourneur et "Les Quatre Cavaliers de l'Apocalypse" (1921) de Rex Ingram, ce dernier film ayant été le pus gros succès de son année juste devant un certain "The Kid"... Après "The Kid" avec un Charlot aussi drôle qu'émouvant, tout Muet jusque dans l'absence de cartons de dialogue, cette fois l'artiste s'impose comme un réalisateur qui sait et peut faire autre chose. Il veut un drame sans lui et avec un réalisme qu'il explique par ce que "les hommes et les femmes essayent de dissimuler leurs émotions plutôt que de vouloir les montrer", est une première dans le cinéma de l'époque. Et pour se faire il demande à ses acteurs de jouer avec retenue et sobriété, ce qui va à l'encontre des techniques et habitudes de l'époque qui accentuaient ainsi les émotions que le Muet restreignait. Par là même sur ce film, Chaplin utilise nettement plus les encarts et cartons de dialogues. Le réalisateur utilise plusieurs techniques dont il n'avait pas souvent l'utilité sur ses films avec Charlot. Ainsi ici il n'utilise pas de trucages et autres effets visuels, par contre il se sert des personnages en hors champs et se sert de l'ellipse de temps plus souvent.
Alors évidemment, on a bien du mal à y voir du Chaplin dans ce film tant on perçoit le mélo est doté d'un scénario assez classique et qui commence de façon plutôt maladroite. En effet, dès le début on cherche à comprendre pourquoi les parents sont si hostiles à cette relation, que ce soit d'un côté ou l'autre on ne donne jamais la moindre info ce qui reste aussi incompréhensible et que frustrant. Ensuite un petit détail retire un peu de vraisemblance, l'ellipse d'une seule année où on doit accepter que Marie Saint-Clair soit devenue riche et mondaine par le saint-esprit à priori. Pourtant, le film devient moins sérieux à l'image du Paris nocturne, les années folles où soudain tout est fête, paillettes, amusement et même luxure symbolisé d'abord par Marie Saint Clair en une sorte de grue ou de vamp, les fêtes délirantes avec strip-tease et bataille de polochons jusque cette séance de massage dont la drôlerie est un peu hors contexte vis à vis du drame. Sans oublier l'homme riche, Pierre Revel toujours léger et séducteur en dilettante. Une partie ou les plaisirs et l'insouciance sont les maîtres mots, comme un interlude avant que la réalité des sentiments ne viennent chambouler les coeurs et les esprits. La dernière partie replonge le couple dans les méandres de l'amour impossible, cette fois on comprend les tenants et aboutissants, la fortune, le confort, les convenances, la jalousie aussi viennent encore et toujours brouiller leur relation. Le dénouement final est presque inattendue pour un Chaplin (!), juste avant une conclusion qui est elle très Charlot. Le film est assurément un film singulier mais magnifiquement mis en scène bien qu'un peu trop théâtral, mais malgré les maladresses l'histoire reste prenante grâce aussi et surtout à quelques séquences qui ne manquent ne ni d'à-propos ni de grâce.
Note :
14/20