Alors qu'il vient de faire l'acteur pour la première fois dans "Les Miens" (2022) de et avec Roschdy Zem, Rachid Bouchareb réalise son dixième long métrage après "Le Flic de Belleville" (2022) en revenant sur deux drames effroyables des années 80, l'affaire Malik Oussekine (Tout savoir ICI !) et l'affaire Abdel Benyahia (Tout savoir ICI !). Le cinéaste est d'autant plus intéressé qu'il signait à l'époque son premier film : "Je venais de faire en 1985 mon 1er film, Bâton Rouge, et ce drame est arrivé quelques temps après. Il a embrasé toute la France, des centaines et centaines de milliers de personnes. J'étais parti avec ce mouvement de SOS Racisme, et l'espoir qu'on allait changer la société car on y croyait beaucoup." Le réalisateur-scénariste co-écrit son scénario avec Kaouther Adimi plus connu comme romancière notamment de"Nos Richesses" (2017) ou "Au Vent Mauvais" (2022)... Lors de manifestations étudiantes contre des réformes de l'éducation, dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986 le jeune Malik Oussekine meurt à la suite d'une intervention de police. Alors que la révolte gronde le Ministère de l'Intérieur tente d'étouffer l'affaire surtout que quelques temps avant un autre français d'origine algérienne a été assassiné dans un bar par un policier hors service. Deux potentielles bavures que le gouvernement va tenter d'atténuer mais les manifestations contre la réforme va vite devenir un combat pour la vérité...
Malik Oussekine est incarné par le méconnu Adam Amara vu dans la série TV "Marianne" (2019) et dans le film "The Shift" (2021) de Alessandro Tonta. Les familles des deux victimes sont joués par Samir Guesmi qui retrouve Rachid Bouchareb après "Hors-La-Loi" (2010),vu dernièrement dans "Une Mère" (2022) de Sylvie Audcoeur et "Frarè" (2022)de Karole Rocher et Barbara Biancardini il retrouve aussi un rôle qui fait écho à celui qu'il tient dans son propre film "Ibrahim" (2020), Reda Kateb vu dans "La Grande Noirceur" (2019) de Maxime Giroux et "Les Promesses" (2021) de Thomas Kruithof, et retrouve après "Hors Normes" (2019) du duo Toledano-Nakache sa partenaire Lyna Khoudri vue récemment dans "La Place d'une Autre" (2021) de Aurélia Georges et "Novembre" (2022) de Cédric Jimenez, et Laïs Salameh vu dans la série TV "Skam France" (2019-2020) et aperçu dans la Palme d'Or "Titane" (2021) de Julia Ducournau. Parmi les policiers citons Raphaël Personnaz qu'on n'avait pas vu depuis "Persona Non Grata" (2019) de et avec Roschdy Zem et en attendant la sortie prochaine de "Le Tourbillon de la Vie" (2022) de Olivier Treiner, puis Gérard Watkins vu entre autre dans "Taken" (2008) de Pierre Morel, "Normandie Nue" (2018) de Philippe Le Guay ou encore "Les Choses Humaines" (2021) de Yvan Attal. Et enfin n'oublions pas Wabinlé Nabié vu dans "Cessez le Feu" (2017) et "Un Triomphe" (2021) tous deux de Emmanuel Courcol... Le réalisateur-scénariste use de nombreuses archives d'époque, surtout issues des manifestations contre la loi Devaquet, puis des médias sur l'affaire Oussekine, et Bouchareb s'en explique : "Il est important de rappeler que la France de l'époque, dans de nombreuses villes, est sortie et n'acceptait pas ce qio s'était passé. Je tenais à ce que le film se nourrisse de ces archives qui nous rapprochent d'aujourd'hui. Le film est contemporain, toujours d'actualité. Je n'ai pas ressenti le besoin de marquer les années 80 dans le film car ce qui se passe aujourd'hui est aussi fort qu'à l'époque." Si on peut comprendre que les archives facilitent l'immersion en 1986, on ne peut occulter le fait que que fort heureusement la France a évolué en 36 ans, même si c'est loin d'être parfait. L'explication du cinéaste tenterait à justifier certains actes d'une nouvelle génération qui ne cherche nullement à savoir ou à comprendre pour commettre parfois le pire.
Mais le cinéaste ose un parti pris audacieux mais casse-gueule, et Bouchareb tombe malheureusement à pied joint dans l'écueil, à savoir relier les deux affaires qui sont pourtant si différentes sur les tenants et aboutissants et de surcroît sous-traite l'une pour finalement se focaliser essentiellement sur l'autre. En effet, l'affaire Oussekike s'impose dans le récit, d'abord parce qu'il a une portée politique évidente et un écho énorme dont la tragédie rappelle le temps heureusement passé des "voltigeurs", tandis que l'affaire Benyahia reste sur le fond un "simple" fait divers dont la portée a juste été dopée par le paramètre de temps avec Oussekine. Résultat, jamais Bouchareb n'arrive réellement à lier les deux affaires de façon cohérente, et surtout fini par délaisser l'une pour l'autre. Ainsi, la majorité du film se focalise sur Oussekine, et ce n'est pas anecdotique. Bizarrement, la famille Benyahia sont quasi absente dans ce film (d'ailleurs la famille s'est plaint de ne pas avoir été contactée), montrant un père un effacée alors qu'il a été très actif lors de la mobilisation. Par contre, on aime l'ajout du personnage fictif de l'inspecteur de l'IGS (Police des Polices), fictif mais dont on peut penser qu'il réunit plusieurs personnages ayant existé "tout en restant dans une réalité plausible" dixit Rachid Bouchareb. On aime aussi que le réalisateur ne montre pas le matraquage ou le meurtre, laissant donc ces scènes à l'imagination du spectateur à l'instar des attentats par exemple dans "Novembre" (2022) de Cédric Jimenez. Le film est donc très intéressant, mais un peu trop manichéen, surtout dû à ce déséquilibre entre les deux affaires qui crée une frustration constante. Un film sans doute nécessaire sur le fond mais qui reste bancal pour convaincre pleinement malgré des acteurs investis et une vraie dose émotionnelle (forcément).
Note :
09/20