Réalisateur : Jonás Trueba
Avec : Itsaso Arana, Francesco Carril, Irene Escolar, Vito Sanz,...
Distributeur : Arizona Distribution
Budget :
Genre : Comédie dramatique.
Nationalité : Espagnol
Durée : 1h04min
Synopsis :
Une nuit d’hiver à Madrid, deux couples d’amis trentenaires dînent. Susana et Dani se réjouissent de leur nouvelle maison, en périphérie de la ville et proche de la campagne, puis annoncent l’arrivée prochaine d’un enfant. La nouvelle déstabilise Elena et Guillermo qui ne semblent pas partager les mêmes projets de vie. Trois mois plus tard, Elena et Guillermo rendent visite à leurs amis.
Critique :
Quatre personnages, quatre lieux, deux temporalités. Deux couples qui se voient après un an lors d'une soirée, conviennent de se revoir dans un laps de temps moins grand, puis le font. Ils mangent ensemble, ils discutent et rigolent, puis se promènent. Le film se résume à ceci, à ces simples moments de vie. Il démarre même ainsi, avec un pianiste en plein concert dans un restaurant où les deux couples se sont donnés rendez-vous. Autant que les personnages présents, figurants compris, la caméra est captivée par la performance. Jonas Trueba y trouve même l'allégorie du rapport physique à l'art. Il cadre le pianiste, mais filme également des visages de spectateurs dans des plans individuels. Ces gros plans concernent aussi les quatre protagonistes. Il y a ici le rassemblement autour d'une œuvre, mais aussi cette manière de la vivre forcément individuellement. Ce n'est qu'à la fin du concert, quand il faut donner ses impressions et en discuter, que le cinéaste filme les couples dans des plans à deux. C'est à ce moment précis que les personnages commencent à se révéler, à faire comprendre qui ils sont et leurs intentions. Le champ / contre-champ entre les deux couples montre notamment la distance qui s'était créée entre eux, pour mieux poser les bases d'un confort à venir grâce à l'échange. C'est ce qui advient quelques minutes après, lorsque le cinéaste filme les personnages tous ensemble dans un même plan, dans la rue en dehors du restaurant.
Une petite introduction sans dramatisation, où la caméra (et nous spectateurs) regarde des yeux qui regardent. Mais il y a un faux minimalisme dans cette première séquence, et dans tout le film. Comme dans ses précédentes œuvres, Jonas Trueba dissimule dans les coupes ce qui sépare des personnages – que ce soit émotionnellement ou physiquement. Dans les interstices du montage, il y a la distance entre les êtres. Cette chose qui semble s'opérer naturellement, inconsciemment, mais qui est tout autant impossible à expliquer. Face à ces éloignements invisibles, le cinéaste met en scène la fragilité qui s'est créée avec la pandémie du Covid. Ce sentiment du collectif, d'être ensemble, qui s'est évanouie et a disparu dans la distance – donc dans les champ / contre-champ. C'est là que le film explore cette sensation d'être étranger au monde que l'on connaît. Face à la mélancolie du temps passé, Venez voir clame qu'il est à nouveau temps de profiter du monde. Ainsi, la séparation entre les êtes diminue avec le temps. Dans le faux geste minimaliste de la chronique en champ / contre-champ, Jonas Trueba construit une fable. Celle qui ressemble à un petit manuel de vie, où les êtres se détachent de la froideur d'une ville pour se retrouver dans la chaleur d'un été en campagne. Là où les esprits et les corps se relâchent, où les idées se croisent, où l'art dans toutes ses formes (la musique, la littérature, etc) nourrit le rapport des êtres au monde qui les entoure.
Ce manuel de vie où les choses les plus simples sont les plus belles. Comme un tableau qui ne demande qu'à être accroché à un mur, une partie de tennis de table, la présence d'un petit balcon donnant une vue sur le paysage lointain, une balade dans un champ à hautes herbes, etc. L'enchaînement de toutes ces petites choses, qui paraissent anodines à première vue, donne de la matière aux personnages pour se retrouver entre eux en créant une harmonie mais aussi pour retrouver l'insouciance qui met les sentiments en avant. Venez voir est une sorte de film d'humeurs, qui tend à mettre le doigt sur les émotions procurées en apprenant à ressortir de chez soi après un confinement. Ces émotions qui apparaissent quand la nature et le paysage s'ouvrent à nouveau aux corps et aux esprits. Que ce soit dans le débat d'idées autour de la table, ou dans une balade dans un champ qui ne semble pas se terminer, l'imaginaire qui parcoure le monde se déploie à nouveau. Pour cela, le cinéaste n'utilise pas des personnages très complets. Ils sont des esquisses, comme s'ils étaient encore à remplir. On ne sait pas grand chose d'eux, et ils ne révèlent pas davantage. Il y a un avantage à cette intention : d'en savoir suffisamment sur eux (même si c'est peu) pour qu'ils laissent traverser des idées et des sentiments, pour que le mystère de leurs êtres puisse être une porte d'entrée aisée à l'imaginaire. Cette incomplétude permet de préserver une recherche d'émotions et sensations, pour être dans un état constant d'ouverture face à l'inconnu et à la beauté.
Tout moment apparaît alors comme soit une découverte, soit un retour à l'insouciance. Que ce soit dans l'ellipse de six mois et ce qui l'y amène, ou dans ce séjour à la campagne en plein été, cette découverte ou cette insouciance sont une aventure. Celle de la vie et de ses bouleversements éphémères : ces moments de vie qui font prendre un chemin différent, qui créent des virages inattendus. C'est exactement là que la mise en scène de Jonas Trueba se situe, dans ces instants exacts où les sens et l'esprit prennent conscience et révèlent l'évidence autrefois invisible. C'est ainsi que le film se construit surtout en plans fixes et en champ / contre-champ, comme une série de photographies solaires. Parce que dans ces images, il faut accepter de retrouver l'enchantement qui était dissimulé derrière l'amertume et la mélancolie. D'où l'apparition soudaine et magique de la mise en abyme, petit coup d'audace et de poésie, pour continuer de croire au collectif et à l'art. Là où faire des films ensemble est un moyen de retrouver un idéal et une beauté. Et donc, finalement, que se retrouver dans l'imaginaire permet de retrouver l'évasion nécessaire face à la mélancolie.
Teddy Devisme
Avec : Itsaso Arana, Francesco Carril, Irene Escolar, Vito Sanz,...
Distributeur : Arizona Distribution
Budget :
Genre : Comédie dramatique.
Nationalité : Espagnol
Durée : 1h04min
Synopsis :
Une nuit d’hiver à Madrid, deux couples d’amis trentenaires dînent. Susana et Dani se réjouissent de leur nouvelle maison, en périphérie de la ville et proche de la campagne, puis annoncent l’arrivée prochaine d’un enfant. La nouvelle déstabilise Elena et Guillermo qui ne semblent pas partager les mêmes projets de vie. Trois mois plus tard, Elena et Guillermo rendent visite à leurs amis.
Critique :
#VenezVoir est une sorte de film d'humeurs, qui tend à mettre le doigt sur les émotions procurées en apprenant à ressortir de chez soi après un confinement. Ces émotions qui apparaissent quand la nature et le paysage s'ouvrent à nouveau aux corps et aux esprits. (@Teddy_Devisme) pic.twitter.com/SQOZxT9LJ8
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) December 19, 2022
Quatre personnages, quatre lieux, deux temporalités. Deux couples qui se voient après un an lors d'une soirée, conviennent de se revoir dans un laps de temps moins grand, puis le font. Ils mangent ensemble, ils discutent et rigolent, puis se promènent. Le film se résume à ceci, à ces simples moments de vie. Il démarre même ainsi, avec un pianiste en plein concert dans un restaurant où les deux couples se sont donnés rendez-vous. Autant que les personnages présents, figurants compris, la caméra est captivée par la performance. Jonas Trueba y trouve même l'allégorie du rapport physique à l'art. Il cadre le pianiste, mais filme également des visages de spectateurs dans des plans individuels. Ces gros plans concernent aussi les quatre protagonistes. Il y a ici le rassemblement autour d'une œuvre, mais aussi cette manière de la vivre forcément individuellement. Ce n'est qu'à la fin du concert, quand il faut donner ses impressions et en discuter, que le cinéaste filme les couples dans des plans à deux. C'est à ce moment précis que les personnages commencent à se révéler, à faire comprendre qui ils sont et leurs intentions. Le champ / contre-champ entre les deux couples montre notamment la distance qui s'était créée entre eux, pour mieux poser les bases d'un confort à venir grâce à l'échange. C'est ce qui advient quelques minutes après, lorsque le cinéaste filme les personnages tous ensemble dans un même plan, dans la rue en dehors du restaurant.
Copyright Itsaso Arana/Vito Sanz/losilusos films
Une petite introduction sans dramatisation, où la caméra (et nous spectateurs) regarde des yeux qui regardent. Mais il y a un faux minimalisme dans cette première séquence, et dans tout le film. Comme dans ses précédentes œuvres, Jonas Trueba dissimule dans les coupes ce qui sépare des personnages – que ce soit émotionnellement ou physiquement. Dans les interstices du montage, il y a la distance entre les êtres. Cette chose qui semble s'opérer naturellement, inconsciemment, mais qui est tout autant impossible à expliquer. Face à ces éloignements invisibles, le cinéaste met en scène la fragilité qui s'est créée avec la pandémie du Covid. Ce sentiment du collectif, d'être ensemble, qui s'est évanouie et a disparu dans la distance – donc dans les champ / contre-champ. C'est là que le film explore cette sensation d'être étranger au monde que l'on connaît. Face à la mélancolie du temps passé, Venez voir clame qu'il est à nouveau temps de profiter du monde. Ainsi, la séparation entre les êtes diminue avec le temps. Dans le faux geste minimaliste de la chronique en champ / contre-champ, Jonas Trueba construit une fable. Celle qui ressemble à un petit manuel de vie, où les êtres se détachent de la froideur d'une ville pour se retrouver dans la chaleur d'un été en campagne. Là où les esprits et les corps se relâchent, où les idées se croisent, où l'art dans toutes ses formes (la musique, la littérature, etc) nourrit le rapport des êtres au monde qui les entoure.
Copyright Itsaso Arana/Vito Sanz/losilusos films
Ce manuel de vie où les choses les plus simples sont les plus belles. Comme un tableau qui ne demande qu'à être accroché à un mur, une partie de tennis de table, la présence d'un petit balcon donnant une vue sur le paysage lointain, une balade dans un champ à hautes herbes, etc. L'enchaînement de toutes ces petites choses, qui paraissent anodines à première vue, donne de la matière aux personnages pour se retrouver entre eux en créant une harmonie mais aussi pour retrouver l'insouciance qui met les sentiments en avant. Venez voir est une sorte de film d'humeurs, qui tend à mettre le doigt sur les émotions procurées en apprenant à ressortir de chez soi après un confinement. Ces émotions qui apparaissent quand la nature et le paysage s'ouvrent à nouveau aux corps et aux esprits. Que ce soit dans le débat d'idées autour de la table, ou dans une balade dans un champ qui ne semble pas se terminer, l'imaginaire qui parcoure le monde se déploie à nouveau. Pour cela, le cinéaste n'utilise pas des personnages très complets. Ils sont des esquisses, comme s'ils étaient encore à remplir. On ne sait pas grand chose d'eux, et ils ne révèlent pas davantage. Il y a un avantage à cette intention : d'en savoir suffisamment sur eux (même si c'est peu) pour qu'ils laissent traverser des idées et des sentiments, pour que le mystère de leurs êtres puisse être une porte d'entrée aisée à l'imaginaire. Cette incomplétude permet de préserver une recherche d'émotions et sensations, pour être dans un état constant d'ouverture face à l'inconnu et à la beauté.
Copyright Itsaso Arana/Vito Sanz/losilusos films
Tout moment apparaît alors comme soit une découverte, soit un retour à l'insouciance. Que ce soit dans l'ellipse de six mois et ce qui l'y amène, ou dans ce séjour à la campagne en plein été, cette découverte ou cette insouciance sont une aventure. Celle de la vie et de ses bouleversements éphémères : ces moments de vie qui font prendre un chemin différent, qui créent des virages inattendus. C'est exactement là que la mise en scène de Jonas Trueba se situe, dans ces instants exacts où les sens et l'esprit prennent conscience et révèlent l'évidence autrefois invisible. C'est ainsi que le film se construit surtout en plans fixes et en champ / contre-champ, comme une série de photographies solaires. Parce que dans ces images, il faut accepter de retrouver l'enchantement qui était dissimulé derrière l'amertume et la mélancolie. D'où l'apparition soudaine et magique de la mise en abyme, petit coup d'audace et de poésie, pour continuer de croire au collectif et à l'art. Là où faire des films ensemble est un moyen de retrouver un idéal et une beauté. Et donc, finalement, que se retrouver dans l'imaginaire permet de retrouver l'évasion nécessaire face à la mélancolie.
Teddy Devisme