Le Cirque (1928) de Charles Chaplin

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Après "The Kid" (1921), "L'Opinion Publique" (1923) et "La Ruée vers l'Or" (1925), le producteur-réalisateur-scénariste-acteur Charles Chaplin s'attaque aussitôt à ce nouveau projet sur la vie d'un cirque mais le tournage va vite devenir très compliqué surtout lorsque sa jeune épouse épousée alors qu'elle n'a que 16 ans parce qu'elle était enceinte, quitte le domicile et demande le divorce après que Chaplin l'ait trompée avec Merna Kennedy, amie d'enfance de son épouse et qui lui avait été justement recommandée par celle-ci pour jouer le rôle féminin principal de "Le Cirque" ! Le scandale est telle que le tournage est interrompu 10 mois, les Ligues de Vertus organisent une campagne contre Chaplin et son film tandis Lita Grey publie des documents accusant l'artiste d'être (en résumé) un pervers sexuel. Chaplin va accepter de payer à son ex-épouse pas moins de 600000 dollars (près de 9 millions de dollars actuel !), alors que la popularité de Chaplin va permettre à l'incident d'être rapidement oublié. Le tournage peut reprendre mais le sort continuera à frapper le film avec entre autre un incendie qui détruisit le décor du chapiteau ou le vol des roulottes. Le tournage est finalement terminé fin 1927 pour une sortie début 1928 et reçoit un accueil très positif et devient un nouveau succès avec un Oscar d'Honneur en prime "pour sa polyvalence et son génie à jouer, écrire, mettre en scène et produire Le Cirque". Pourtant Charlie Chaplin gardera un mauvais souvenir de ce tournage au point qu'il ne mentionne même pas ce film dans son autobiographie "Histoire de ma Vie" (1964) et aura des difficultés très personnelles à retravailler sur la version sonore du film en 1967. Pour l'anecdote, en 2010, sont ajoutées au DVD des images inédites de la première du film où on voit une femme parler dans un objet qui semble être un téléphone mobile (!), plusieurs théories ont dès lors circulé, la plus sérieuse avance qu'il s'agirait d'un sonotone portable créé en 1924 par Siemens... Charlot, vagabond tente d'échapper à la police après avoir été pris pour un pickpocket et finit par se réfugier dans un cirque. Son arrivée impromptue lors d'une représentation provoque l'hilarité du public ce qui lui permet d'être engagé par le directeur, homme dur qui violente sa propre fille, écuyère au sein du spectacle. Charlot en tombe amoureuse, et quand il apprend qu'il est le vrai clou du spectacle Charlot en profite pour adoucir le quotidien de la belle écuyère mais bientôt un nouvel artiste arrive au cirque, un funambule...

Charlie Chaplin incarne une énième fois son personnage fétiche Charlot aux côtés de bon nombre de ses acteurs fétiches dont Al Ernest Garcia vu dans "Charlot et le Masque de Fer" (1921), "Jour de Paye" (1922), "La Ruée vers l'Or" (1925) et plus tard dans "Les Lumières de la Ville" (1931) et "les Temps Modernes" (1936), Tiny Sandford fidèle depuis "Charlot et le Comte" (1916) jusqu'à "Le Dictateur" (1940), Henry Bergman vu dans une trentaine de Chaplin de "Charlot Musicien" (1916) à "Les Temps Modernes" (1936), John Rand vu dans une vingtaine de Chaplin depuis "Charlot au Music-Hall" (1915), puis citons encore Albert Austin vu dans "Charlot et le Comte" (1916), "Une Vie de Chien" (1918), "The Bond" (1918) et "La Ruée vers l'Or" (1925), Stanley Blystone qui sera dans "Les Temps Modernes" (1936) et vu plus tard dans "L'Impossible Monsieur Bébé" (1938) de Howard Hawks ou "Samson et Dalila" (1949) de Cecil B. De Mille, Heinie Conklin vu dans plus de 600 rôles de 1915 à 1959 dont "La Ruée vers l'Or" (1925) et "Les Temps Modernes" (1936) tous deux de Chaplin, et plus tard dans "À l'Ouest Rien de Nouveau" (1930) de Lewis Milestone ou "Le Cavalier du Désert" (1940) de William Wyler, Hugh Saxon vu entre autre dans "Sept Ans de Malheur" (1921) de et avec Max Linder et "Charlot et le Masque de Fer" (1921) de et avec Charlie Chaplin. Citons ensuite Harry Crocker alias le funambule vu dans "La Grande Parade" (1926) de King Vidor et George W. Hill et plus tard dans "Gentleman Jim" (1942) de Raoul Walsh, et surtout sera assistant-réalisateur de Chaplin sur "les Lumières de la Ville" (1931), George Davis qui avait déjà été clown dans "Larmes de Clown" (1924) de Victor Sjöström et "Les Quatre Diables" (1928) de Friedrich Wilhelm Murnau, Jack Pierce qui va devenir un des plus famaus maquilleurs de Hollywood participant notamment aux succès de James Whale "Frankenstein" (1931), "L'Homme Invisible" (1933) et "La Fiancée de Frankenstein" (1935). Et enfin, n'oublions pas l'écuyère Merna Kennedy qui fera une courte carrière avec entre autre "Broadway" (1929) de Paul Fejos, "L'Irrésistible" (1933) de Lloyd Bacon ou "Jimmy the Gent" (1934) de Michael Curtiz... Le film dure 1h08 soit une durée semblable à "The Kid" (1921), et offre à Charlot un vrai rôle de clown plutôt qu'un simple vagabond. Ou plutôt le vagabond devient clown à l'insu de son plein gré, d'abord pour fuir la prison, ensuite par amour d'une jolie écuyère.

Comme toujours Chaplin écrit une histoire qui mêle la crise sociale ici symbolisé par la précarité du monde du cirque, l'amour toujours difficile à trouver pour un pauvre vagabond sans le sou, et le burlesque à la fois innocent et bienveillant. Le scénario est semé de gags drôles et/ou touchants, du running gag avec l'âne au nettoyage de l'aquarium en passant par le beignet du bébé, par la géniale séquence de la cage aux fauves (sans trucage !) et à la scène du funambule par Chaplin qui se forma  plusieurs semaines pour tenir effectivement sur un fil. Mais ce petit cirque est bien loin de la piste aux étoiles, la vie n'est pas simple, le travail reste ardu et la fortune n'est pas un objectif ne serait-ce que celui du coeur. Mais là aussi, pour cette fois Charlot préfère offrir une chance de bonheur à l'écuyère, et à cet instant on ne peut que faire un parallèle avec sa vie privée. La mélancolie est une fois de plus omniprésente, peut-être même plus qu'à l'accoutumée tant le rire se fait plus rare, ou du moins plus parcimonieux avec un certain fatalisme. Ce film est souvent oublié ou mésestimé aujourd'hui alors qu'il est sans doute celui de la maturité, l'univers du cirque forcément évident, les drames autour du tournage et le cinéma parlant qui fait alors trembler Hollywood font que ce film est charnière pour Chaplin. A voir et à revoir.

Note :                 

17/20