Alors qu'il sortait son 5ème long métrage et son nouveau succès avec "Les Lumières de la Ville" (1931), Charles Chaplin déclara : "Le chômage, voilà la question essentielle. Les machines devraient faire le bien de l'humanité, au lieu de lui apporter tragédie et chômage." Visionnaire ou tout simplement lucide alors que les conséquences de la crise de 1929 frappait encore durement tandis qu'on était paradoxalement en peine explosion du travail à la chaîne, symbole de l'industrialisation à grande échelle. Il en fallait pas plus pour inspirer le génie de Charles Chaplin qui assume une énième fois les postes de Producteur-réalisateur-scénariste-acteur-monteur-compositeur de son film. Mais comme son précédent film, il se retrouve confronter au cinéma parlant alors devenu la norme depuis plusieurs années. Il se force alors à travailler sur une possibilité d'ajouter du texte et des paroles mais convaincu que Charlot devait demeurer silencieux ne serait-ce que pour sauvegarder son universalité. Finalement il va limiter les dialogues à quelques mots, et surtout à une chanson, et quelques effets sonores. Ce film signe pourtant la fin d'une ère, puisque c'est à la fois la première fois qu'on entend la voix de Charlot et son ultime film où il apparaît, tandis que les films suivants de Chaplin seront bel et bien parlant. Le film est aujourd'hui considéré comme l'un de ses plus grands films mais à l'époque l'accueil fut plus mitigé notamment par des accusations de propagande communiste (rappelons que plusieurs années plus tard Chaplin devra s'exiler suite au Maccarthysme, pour savoir plus ICI) alors même que le film sera interdit en Italie et en Allemagne... Charlot est ouvrier dans une immense usine où il doit serrer des boulons à la chaîne. Un travail usant et mécanique qui finit par le rendre littéralement fou et doit être hospitalisé. Entre temps, une jeune orpheline tente de survivre. Ils se rencontrent, puis vont s'entraider pour s'en sortir, d'abord en travaillant dans un grand magasin, puis dans un grand restaurant...
Charles Chaplin incarne donc pour la dernière fois son personnage fétiche de Charlot, et retrouve aussi un grand nombre de ses comédiens les plus fidèles. Mais d'abord il a trouvé une nouvelle muse, une nouvelle compagne qu'il a épousé en secret lors du tournage, Paulette Goddard qui a débuté dans "Laurel et Hardy en Wagon-Lit" (1929) de Lewis R. Foster, qui retrouvera Chaplin dans "Le Dictateur" (1940), mais qui deviendra une star indépendante surtout chez Cecil B. De Mille avec "Les Tuniques Ecarlates" (1940), "Les Naufrageurs des Mers du Sud" (1942) et "Les Conquérants du Nouveau Monde" (1947). Citons ensuite les 7 acteurs récurrents de l'univers Chaplin avec Henry Bergman présent dans une trentaine de films depuis "Charlot Musicien" (1916) jusqu'à cet ultime Charlot, Tiny Sandford pour une dizaine de films entre "Charlot et le Comte" (1916) et "Le Dictateur" (1940), Chester Conklin acteur dans plus de 300 films entre 1914 et 1966 dont une douzaine de Chaplin de "Charlot et le Parapluie" (1914) aux "Temps Modernes" (1936), Hank Mann acteur de plus de 450 films de "Through Dumb Luck" (1912) de Dell Henderson à "Le Dernier Train de Gun Hill" (1959) de John Sturges en passant par une douzaine de Chaplin de "Charlot fait du cinéma" (1914) à "Le Dictateur" (1940), Allan Garcia pour la plupart des Chaplin depuis "Charlot et le Masque de Fer" (1921), John Rand vu dans une vingtaine de Chaplin depuis "Charlot au Music-Hall" (1915), puis n'oublions pas Stanley Blystone qui retrouve ainsi ses partenaires après "Le Cirque" (1928). Citons ensuite Richard Alexander révélé dans "À l'Ouest Rien de Nouveau" (1930) de Lewis Milestone, puis vu dans "L'Intruse" (1930) de F.W. Murnau et "Flash Gordon" (1936) de Frederick Stephani et Ray Taylor, Murdock MacQuarrie acteur aperçu dans plus de 300 films entre 1912 et 1943 dont "Cendres de Vengeance" (1923) de Frank Lloyd, "Docteur Jekyll and Mister Hyde" (1931) de Rouben Mamoulian, "Furie" (1936) de Fritz Lang ou "La Féline" (1942) de Jacques Tourneur, Wilfred Lucas qui débuta avec D.W. Griffith dans une vingtaine de ses films entre "The Greaser's Gauntlet" (1908) et "Intolerance" (1916), puis vu plus tard surtout chez Michael Curtiz dans "La Charge de la Brigade Légère" (1936), "Les Anges aux Figures Sales" (1938), "Les Conquérants" (1939) et "Le Vaisseau Fantôme" (1941), puis enfin n'oublions pas Gloria DeHaven en gamine et qui deviendra une star des années 40 en tournant notamment pour Richard Thorpe dans "Deux Jeunes Filles et un Marin" (1944), "L'Introuvable rentre chez Lui" (1945) et "Trois Petits Mots" (1950)... Le film débute dans une usine où Charlot est un maillon de la chaîne, un ouvrier qui doit serrer des boulons à une vitesse infernale à tel point que le pauvre ouvrier a des spasmes, des mouvement incontrôlés et incontrôlables. Pour donner une sensation "frénétique" Chaplin réalisateur tourna en 18 images par seconde, en sachant qu'il sera ensuite projeté en 24/seconde l'action se fait plus nerveuse et rythmée, malheureusement avec le temps certaines copies corrigent désormais ce paramètre. En quelques minutes Chaplin dénonce la robotisation des usines, l'inhumanité qui s'instaure à la cadence capitaliste en accumulant les gags hilarants tout en pointant du doigt les vices d'un système qui va se généraliser.
Jamais Chaplin aura été aussi politique dans une histoire, MacCarthy s'en souviendra dans quelques années. Outre ce propos politico-social Chaplin ose aussi une référence aux drogues alors même que le Code Hays (En savoir plus ICI !) interdit toute forme de représentation et d'utilisation ; rappelons pourtant que Chaplin avait déjà abordé les stupéfiants dans "Charlot Policeman" (1917). Mais la vraie bonne idée de l'artiste est d'avoir trouvé son alter ego féminin avec Paulette Goddard. En effet, l'orpheline n'est pas comme dans ses précédents films une pauvre femme qui subit plus ou moins son destin et qui sert à Charlot d'une romance plus ou moins émouvante. Ici la "gamine"/Goddard est une jeune femme farouche et rebelle qui se bat et tient tête aux hommes. Idem à l'écran puisqu'elle a un rôle étoffé au point que son destin suit en parallèle celui de Charlot ATTENTION SOILER !... Il est à l'usine elle fait vivre sa famille, il va à l'asile elle devient orpheline, ils se rencontrent, il travaille, il va en prison elle travaille, ils se retrouvent... FIN SPOILER !... On constate donc que ce film serait aussi son oeuvre la plus féministe. Les gags sont toujours aussi nombreux, avec des coups de génie aussi nombreux, on notera surtout la machine à manger, la partie de patins à roulette, le service au restaurant et cette mythique chanson en "charabia" où on entend pour la première et unique fois la voix de Charlot, paradoxalement comme un adieu avec sa dernière apparition à l'écran (Chaplin le savait-il ?!). En conclusion, ultime adieu de Charlot, adieu de Chaplin aussi à son personnage fétiche avec un propos de fond plus assumé et plus directement asséné, mais sans perdre son identité avec ses gags millimétrés parsemés de tendresse et d'émotion. Un chef d'oeuvre.
Note :