Avec : Jordi Pujol Dolcet, Anna Otín, Xenia Roset,...
Distributeur : Pyramide Distribution
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Espagnol, Italien.
Durée : 2h00min
Synopsis :
Depuis des générations, les Solé passent leurs étés à cueillir des pêches dans leur exploitation à Alcarràs, un petit village de Catalogne. Mais la récolte de cette année pourrait bien être la dernière car ils sont menacés d’expulsion. Le propriétaire du terrain a de nouveaux projets : couper les pêchers et installer des panneaux solaires. Confrontée à un avenir incertain, la grande famille, habituellement si unie, se déchire et risque de perdre tout ce qui faisait sa force...
Critique :
Formidable drame empathique et bouleversant, #NosSoleils se fait autant un constat cruel et réaliste d'un monde paysan qui se meurt au travers de l'épopée héroïque - même dans l'échec - de la famille Solé, qu'un magnifique hymne à la beauté de la vie rurale et des ses traditions. pic.twitter.com/CeDl5GSqYv
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) January 17, 2023
S'il y a quelque chose de profondément fantastique, voire même de magique dans le fait de cultiver la terre, de voir qu'en prenant soin de celle-ci, en la nourrissant et en lui consacrant du temps autant que de la sueur et, parfois même, du sang et des larmes, cela génère en contrepoint qu'elle nous rende cet amour en prenant soin des mains à son tour qui l'arrosent et la nourrissent, en lui fournissant le fruit de ses labeurs; Nos Soleils (Alcarràs en V.O, Ours d'or du meilleur film à la dernière Berlinale), estampillé second long-métrage de la cinéaste Carla Simón, pointe du bout de la caméra quand cet équilibre aussi beau qu'instable, vole en éclats.
Par une approche naturaliste, la caméra observe attentivement sa petite poignée de personnages écrit avec délicatesse et sobriété (la famille Solé qui, après 80 ans à cultiver les mêmes terres, opère sa dernière récolte avant de devoir les rétrocéder à leur jeune propriétaire technocrate et ignorant), pour mieux adopter un formidable sentiment de proximité et d'intimité, un lien si intense qu'il semble faire fondre toutes les frontières entre la réalité et la fiction, estompant toute dissonance entre ce qui est observé et qui observe, là où l'écriture est intelligemment expurgé de toute fioriture superflue (chaque ligne de dialogue évite de recourir à des sur-explications et des contextualisations pour communiquerla verite de ses personnages, transmise avec sobriété et simplicité).
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Un cocktail presque alchimique qui sublime la sincérité des émotions et de la poésie qui germent de séquences censées être banales, mais dont la signification profonde fait chavirer.
Comme ce prologue où l'insouciance de l'enfance se confronte à la vérité d'un temps qui n'a pas (plus) d'importance et n'est uniquement dicté que par le mécanisme d'une nature complice, où le jugement de la valeur des choses n'est pas biaisée par l'avarice de la société contemporaine (la petite Iris jouant dans une voiture délabrée avec ses deux cousins jumeaux, petit paradis pour leur imaginaire foisonnant), jusqu'à ce que sa réalité frappe d'une manière sourde et implacable - la voiture est ramassée et jetée à la casse.
Tout est presque prophétique dans ses quelques instants fragiles, symbole d'une communion rompue avec une nature qui n'est plus sienne, un temps qui est révolu, comme une confiance rompue, un acte de gratitude offert durant les années les plus sombres de la guerre civile, transmise de génération en génération, et qui semblait la seule et organique manière de concevoir le monde et nos interactions aux autres.
Un autre temps où la paysannerie était vivante et non agonisante, où la pureté digne du travail de la terre nourrissait et façonnait le cours de la vie sans l'intervention d'artifices plus complexes que l'effort et le dévouement; où la parole avait plus d'importance que les mots que l'on couchait sur le papier pour sceller la transmission d'un serment honnête et d'une tradition familiale.
Un autre temps devenu obsolète, comme cette innocence enfantine que l'on perd brutalement, comme cette humanité qui se meurt lentement mais sûrement une heure de l'agriculture extensive et de la production de masse qui saccagent les terres sans amour ni respect.
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Nos Soleils, par extension de la quête désespérée des Solé pour mener a bien leur ultime récolte, se fait le portrait de tout un système qui s'effondre, fragilisé par une précarité galopante et l'appauvrissement encouragé et savamment nourrit par un mondialisme aveugle, emmenant dans son inévitable chute des milliers de vies aux corps souffrants et aux âmes douloureusement frustrées.
Donnant à chaque geste du quotidien autant une nostalgie déchirante qu'une intensité brutale, où l'urgence des derniers instants provoque des ruptures familiales dévastatrices (ceux qui luttent vainement opposés à ceux qui se rangent du côté du progrès, stigmatisés comme traîtres, alors qu'ils sont mués par la même volonté de vouloir sauver la famille), sans pour autant égratigner le déterminisme et la dignité magnifique qui habite chacun d'eux; Carla Simón fait de son formidable second effort autant un constat cruel et réaliste d'un monde paysan qui se meurt au travers de l'épopée héroïque - même dans l'échec - de la famille Solé, qu'un magnifique hymne à la beauté de la vie rurale et des traditions - ici catalanes - dont le simple fait de les préserver et de les transmettre coûte que coûte, est le plus bel acte de résistance dans la société déshumanisée et déshumanisante actuelle, où le mépris est roi.
Une merveille de cinéma vérité presque méta, qui met en lumière un monde sacrifié et à l'agonie autant que les contradictions réelles qui sous-tendent notre conscience environnementale.
Jonathan Chevrier