Un Roi à New-York (1957) de Charles Chaplin

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Après la sortie de "Les Feux de la Rampe" (1952) dont Charles Chaplin est contraint à l'exil suite à divers scandales mais surtout à cause de la chasse aux sorcières du Maccarthysme (Tout savoir ICI !). L'artiste décide de rompre avec les Etats-Unis : "Que je revienne ou non dans ce triste pays avait peu d'importance pour moi, j'aurais voulu leur dire que plus tôt je serais débarrassé de cette atmosphère haineuse, mieux je serais, que j'étais fatigué des insultes et de l'arrogance morale de l'Amérique." Il s'exile alors pour la Suisse dès 1953 et pendant les deux années suivantes il vend ses résidences et ses studios américains comme ses parts dans la société de production United Artists. Il rend son visa et même son épouse d'alors, Oona N'Neill, renonce à sa nationalité américaine pour devenir britannique. Cette chute de popularité (aux Etats-Unis !) "est peut-être la plus spectaculaire de toute l'histoire de la célébrité aux Etats-Unis" selon Charles J. Maland dans son livre "Chaplin and American Culture : the Evolution of a Star Image" (1989). L'artiste qui a toujours nié être communiste préférant le terme de pacifiste continue d'alimenter les polémiques en rencontrant entre autre le chinois Zhou Enlai ou le soviétique Nikita Khrouchtchev mais surtout il se lance dans un nouveau projet dès 1954 en s'inspirant justement de ce qu'il a vécu ces dernières années. Problème, il n'a plus ses équipes habituelles, n'a plus la structure de ses studios et de United Artists. Il fonde alors une nouvelle société de production Attica et obtient de tourner dans les studios de Shepperton tandis que New-York va devoir se fondre avec Londres (!) mais surtout il n'a plus le loisirs d'avoir une durée de tournage illimitée. Chaplin garde néanmoins les casquettes et les postes de Producteur-réalisateur-scénariste-acteur-compositeur.  Des années de scandales et de polémiques, mais surtout des années de travail de sapes par le FBI de Hoover font que la popularité de Chaplin n'est plus la même surtout outre-Atlantique. Résultat, l'accueil critique du film est mitigé, le succès public reste décevant même en Europe tandis que le film ne sortira aux Etats-Unis qu'en 1973 pour un échec attendu. Encore aujourd'hui le film partage mais on peut rejoindre l'avis du dramaturge John Osborne, il s'agit du film le "plus acide... et de plus ouvertement personnel" de Charles Chaplin... Souverain du pays d'Estrovia, le roi Shahdov est renversé et fuit en catastrophe avec son premier ministre et son conseiller jusqu'aux Etats-Unis. Il est vivement accueilli à New-York mais ne tarde pas à comprendre que son Premier Ministre l'a trahi en emportant une fortune. Le roi est ruiné mais découvre bientôt toutes les possibilités qu'offrent son pays d'accueil jusqu'à ce qu'il rencontre un enfant plus lucide qu'il n'y paraît... 

Le roi Shahdov est incarné logiquement par Chaplin, son conseiller est interprété par Oliver Johnston qu'il retrouvera dans l'ultime film de l'artiste "La Comtesse de Hong Kong" (1967), puis le Premier Ministre est joué par Jerry Desmonde vu auparavant dans "Le Roi de la Pagaille" (1953), "Man of the Moment" (1955) et "Up in the World" (1956) tous de John Paddy Carstairs. La reine est interprétée par Maxine Audley vue dans "Anna Karénine" (1948) de Julien Duvivier, "Les Vikings" (1958) de Richard Fleischer ou "Le Voyeur" (1960) de Michael Powell. Dans les rôles principaux citons Dawn Addams aperçue vaguement dans "Chantons sous la Pluie" (1952) de Stanley Donen et Gene Kelly ou "La Tunique" (1953) de Henry Koster puis vu plus tard dans "Le Diabolique Docteur Mabuse" (1960) de Fritz Lang et "La Tulipe Noire" (1964) de Christian-Jaque, puis n'oublions pas l'enfant joué par le fils de âgé alors de 10 ans, Michael Chaplin aperçu déjà dans "Les Feux de la Rampe" (1952). Citons ensuite dans des rôles plus secondaires Phil Brown vu dans "Les Tueurs" (1946) de Robert Siodmak et "L'Obsédé" (1949) de Edward Dmytryk, Alan Gifford vu entre autre dans "La Boîte Magique" (1951) de John Boulting, "Le Joueur d'Échecs" (1960) de Gerd Oswald, "2001, l'Odyssée de l'Espace" (1968) de Stanley Kubrick ou "Ragtime" (1981) de Milos Forman, Sidney James vu dans "De l'Or en Barres" (1951) de Charles Crichton et "Trapèze" (1956) de Carol Reed, George Woodbridge vu dans "Les Chaussons Rouges" (1948) de Michael Powell et Emeric Pressburger et "La Rose Noire" (1950) de Henry Hathaway et qui sera un acteur fétiche de Terence Fisher, puis enfin Hugh McDermott vu dans "Le Septième Voile" (1945) de Compton Bennett, "Les Gens de la Nuit" (1954) de Nunnally Johnson et plus tard dans les westerns "L'Homme de la Loi" (1971) et "les Collines de la Terreur" (1972) tous deux de Michael Winner... Le film débute comme une anti-thèse à son personnage fétiche Charlot, soit le roi d'un pays dont il est déchu par une révolution dont on ne saura jamais rien. Venu d'un pays européen et monarchique il arrive au pays symbole de la démocratie moderne il arrive donc comme un homme "arriéré" qui va découvrir un pays moderne et technologiquement supérieur. Ainsi le roi est choqué par la musique à la mode qui est pour lui juste du bruit pour une jeunesse déchaînée, des affiches de films démontrent une société en perdition avec des titres évocateurs "L'Assassin a une âme", "Le Retour de la Terreur" ou "Homme ou Femme", il est soumis ou séduit par un nouveau paramètre de la consommation avec la Publicité qui pousse à certains extrêmes, puis, malheureusement, il va être éveillé par un gamin sur le communisme ! Et c'est là que le film prend toute sa dimension tragique car Chaplin en profite pour frapper fort et de façon "acide" contre le Maccarthysme avec un symbole fort, les parents renvoyant au fameux couple Rosenberg (Tout savoir ICI !).

Le duo que forme Chaplin avec son fils renvoie aussi, et de façon plus émouvante, à son chef d 'oeuvre "The Kid" (1921) ; on retrouve le gamin perdu, lui en papa adoptif, le plus beau étant que le gamin pauvre d'avant guerre est ici un gosse dont la fêlure est plus psychologique que physique, la conscience prend une importance capitale. Mais comme il l'écrira dans son autobiographie Chaplin a sans doute une créativité en berne depuis ses déboires débutés dans les années 40. Après le mélancolique "les Feux de la Rampe" l'artiste va plus loin ici dans une satire amère et voir même avec une forme d'aigreur. Certe les thématiques sont sans doute plus "sérieux", ce qui poussera d'ailleurs Chaplin a ne pas persévérer dans l'idée d'une comédie musicale jugé genre trop frivole mais l'artiste omet jusqu'au bout l'humour et/ou la fantaisie a contrario de ce qu'il a pu faire sur le génial "Le Dictateur" (1940), pré-Maccarthysme de fait. Certe il y a quelques séquences comiques mais qui manquent de sincérité ou d'envie, qui restent sans âmes ou qui font déjà vue. Le génie de Chaplin a toujours été d'avoir su traiter de sujets plus ou moins graves en mixant merveilleusement humour et émotion, fantaisie et poésie. C'est malheureusement ce qui manque dans ce film, Chaplin n'a plus goût à cela et cette fois il joue à fond la carte de la satire acerbe même si la fin offre cette émotion qui manquait pour quelques instants où un fils perd son innocence. Ca reste un grand film, qui serait sans doute encore meilleur si Chaplin n'était pas blessé à ce point... A voir et à conseiller.

Note :                 

15/20