10 ans, il aura fallu 10 ans pour voir le retour de Charles Chaplin après son plutôt sérieux "Un Roi à New-York" (1957). Son échec avait beaucoup affecté l'artiste, tandis qu'il a été victime de plusieurs AVC à la fin des années 50 ce qui l'a rendu plus fragile. D'ailleurs c'est à cette période qu'il travaille sur un projet titré "The Freak" sur une jeune fille ailée découverte en Amérique du Sud et qui était destiné à lancer la carrière de sa fille Victoria Chaplin, mais sa santé défaillante l'empêchera de mener ce projet à terme. Mais le temps passe et l'eau coule, doucement mais sûrement à tel point que certains aux Etats-Unis rappelle qu'ils ont perdu l'un de leur plus grand artiste (rappelons divers scandales et le Maccarthysme, tout savoir ICI !) ; les premiers à jeter une petite pierre dans l'eau est le New-York Times en 1962 dans un editorial : "Nous ne pensons pas que la République serait en danger si l'inoublié petit Charlot était autorisé à se promener sur la passerelle d'un navire ou d'un avion dans un port américain." Dans la foulée, Chaplin reçoit un doctorat honorifique des universités de Oxford et Durham, puis le Plaza Theater à New-York organise en 1963 une rétrospective dont ses derniers échecs qui reçoivent des critiques bien plus élogieuses qu'à leur sortie en 1947 et 1952. Le moment semble alors idéal pour Chaplin qui sort son autobiographie en 1964. L'opinion américaine change mais de façon bien timorée, mais elle change et peut-être a-t-elle dû redonner envie à Chaplin qui sort de ses cartons un ancien projet des années 30, une comédie romantique qu'il avait prévu avec son ancienne muse Paulette Goddard. Si Chaplin assume comme depuis des décennies les postes de Producteur-réalisateur-scénariste-compositeur-acteur il change une fois de plus beaucoup d'autres paramètres, comme il en a pris l'habitude depuis ses adieux à Charlot durant les années 40. Ce film est le premier film de Chaplin en couleur, le premier en résolution écran large, le second seulement où il ne tient pas le rôle principal depuis "L'Opinion Publique" (1923), s'octroyant tout de même un petite apparition. Notons que la chanson du film, "This is my Song" a été écrite pas Chaplin lui-même et chantée par Petula Clark. Malheureusement et malgré tout, le film est un nouvel échec et cette fois ce sera son dernier revers, Chaplin ne s'en remettra pas et si il a travaillé sur d'autres projets ce film va demeuré son ultime oeuvre...
Ogden Mears, ambassadeur américain en voyage sur un bateau, découvre à la faveur d'une escale, une femme cachée dans sa cabine. Il s'avère qu'il s'agit d'une authentique comtesse russe désargentée en exil qui tente une traversée clandestine vers les Etats-Unis. Gentleman il accepte de ne rien dire. Lors du voyage ils vont tomber amoureux, mais l'ambassadeur est mariée et son épouse doit l'attendre à l'escale de Hawaï... L'ambassadeur est incarné par le monstre sacré Marlon Brando icône du Septième Art depuis les films "Un Tramway nommé Désir" (1951) et "Sur les Quais" (1954) tous deux de Elia Kazan, citons aussi par exemple "Le Bal des Maudits" (1957) de Edward Dmytryk ou "La Poursuite Impitoyable" (1966) de Arthur Penn. La comtesse russe est incarnée par Sophia Loren star italienne qui doit beaucoup à Vittorio De Sica avec les films "L'Or de Naples" (1954), "La Ciociara" (1960), "Hier, Aujourd'Hui et Demain" (1963) et "Mariage à l'Italienne" (1964). L'épouse de l'ambassadeur est jouée par Tippi Hedren qui signe là son retour après trois ans d'absence malgré les succès importants de "Les Oiseaux" (1963) et "Pas de Printemps pour Marnie" (1964) tous deux de Alfred Hitchcock. D'ailleurs, l'actrice fut déçue par le peu de présence à l'écran de son personnage et demanda un effort de Chaplin mais vu le scénario il a été difficile d'y répondre. L'actrice dira plus tard avoir néanmoins beaucoup apprécié travailler avec Charles Chaplin. Ils croisent sur le bateau Margaret Rutherford connue pour avoir été Miss Marple dans "Lady Détective entre en scène" (1964), "Passage à Tabac" (1964) tous deux de George Pollock et "ABC contre Hercule Poirot" (1965) de Frank Tashlin, Patrick Cargill vu notamment dans "La Rose et l'Epée" (1953) de Ken Annakin et "Help !" (1965) de Richard Lester, Michael Medwin vu notamment dans "Anna Karénine" (1948) de Julien Duvivier, ou "La Force des Ténèbres" (1964) de Karel Reisz, puis n'oublions pas les enfants du maître qui avaient fait leur début sur "Les Feux de la Rampe" (1952), Sydney Chaplin vu ensuite dans "La Terre des Pharaons" (1955) de Howard Hawks, et sa soeur Géraldine Chaplin qui vient tout juste d'atteindre une popularité mondiale avec les succès de "Le Docteur Jivago" (1965) de David Lean et sa participation au casting prestigieux de "Casino Royale" (1967) retrouvant ainsi sa partenaire Angela Scoular qui a la particularité d'avoir donc été une Bond Girl officieuse avant de devenir une Bond Girl officielle dans "Au Service Secret de sa Majesté" (1969) de Peter Hunt. Pour l'anecdote, Chaplin aurait envisagé de faire tourner un certain Louis de Funès dans ce film... Très vite on constate que la rencontre entre l'italienne pulpeuse et le monstre sacré de l'Actors Studio est la première attraction du film. Deux styles, deux genres, deux mondes qui se rencontrent jusque dans l'écriture de leur personnage qui reste, faut bien l'avouer, décevante. Brando manque clairement de nuance pas aidé par un personnage superficiel et lisse, on peut aussi soupçonner que la méthode Actors Studio n'ait pas été une mince affaire pour Chaplin. Loren est sublime mais comment croire que l'icône latine puisse être une comtesse venue du grand nord russe ?!
Ensuite on est un peu pris au piège dans ce film dont on attend forcément beaucoup mais qui s'avère une comédie romantique d'une banalité qui font un adieu bien triste pour le géant qu'est Charles Chaplin et on se rappelle qu'il avait dit il y a plusieurs années que les soucis des années 40 avaient fini par annihiler sa créativité. Les décors restent tout aussi décevants, alors que nous sommes sur un bateau on ressent trop le studio tandis que l'océan est un paramètre complètement occulté. Résultat, on croirait à une adaptation théâtrale, un vaudeville basique un peu trop figé. Evidemment les acteurs imposent leur charme et leur charisme, sans pour autant y voir des étincelles entre eux jusqu'à ce qu'arrive une Tippi Hedren qui s'avère effectivement sous-exploitée.
Les gags sont amusants mais pas drôles, et restent bien éloignés des effets des grands classiques de la screwball comedy signés de Frank Capra ou Howard Hawks. Le film de Chaplin paraît alors un peu daté, comme si il n'avait pas pu ou su modernisé son projet des années 30. Evidemment l'artiste n'est pas manchot, plusieurs passages arrachent un sourire, des séquences restent réussies comme le cache-cache ou l'effet sonnette tandis que des seconds rôles sortent leur épingle du jeu face à trois stars magnétiques. Malgré les charmes presque surannés du film, les quelques jolies séquences on ne peut s'empêcher une certaine mélancolie avec ce film, son dernier s'avère sans doute son plus décevant. Et pourtant, avec les années certains se battent pour que ce film soit réhabilité, le premier a l'avoir soutenu a été Eric Rohmer. En tous cas Chaplin ne tounera plus, mais se focalisera ensuite dans la réédition de ses films jusqu'à ce que l'Amérique fasse un pas vers lui, lui décernant en 1972 un Oscar d'Honneur que Chaplin ira chercher après maintes hésitations. Il reviendra ainsi aux Etats-Unis après vingt ans d'absence pour une standing ovation de 12 min, la plus longue de l'histoire des Oscars...
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