Nouveau film du réalisateur russe Kirill Serebrennikov après "La Fièvre de Petrov" (2021) avec un projet qui le fascine depuis longtemps, à savoir la vie du grand compositeur russe Tchaïkovski (Tout savoir ICI !), qui l'a amené ensuite à s'intéresser à sa relation avec son épouse Antonina Milioukova (Tout savoir ICI !). Le réalisateur-scénariste précise : "Il y a un livre en deux tomes qui a produit sur moi une très forte impression : c'est celui du professeur de l'université de Yale Alexander Poznansky. Je lui suis extrêmement reconnaissant, car il a accompli un travail colossal pour rétablir la vie entière de Tchaïkovski jour par jour. Ce livre a rendu les choses plus claires, plus compréhensibles. Puis je me suis tourné vers le livre de Valeri Sokolov, Antonina Tchaïkovskaïa : Histoire d'une vie oubliée. Tout ce la se déroulait dans le cadre de mes recherches sur la vie de ce génie russe. C'était il y a longtemps. J'avais écrit un premier jet de scénario qui est resté longtemps dans mon tiroir, attendant de voir le jour, puis des circonstances se sont réunies pour qu'il devienne réalisable." ...
Russie deuxième partie du 19ème siècle. Jeune femme issue d'une famille aisée et élève pianiste épouse son professeur, le compositeur Tchaïkovski. Mais si elle est éperdument éprise l'amour n'est nullement réciproque. Consumée par ses sentiments, Antonina accepte de tout endurer malgré la distance de son époux, et bientôt de son dégoût... Le compositeur est incarné par Odin Biron vu dans "Spiral" (2014) de Andrey Volgin, "Maximum Impact" (2017) de Andrzej Bartkowiak ou "Trinity Sunday" (2019) de Yang Ge, tandis que son épouse est interprétée par Aliona Mikhaïlova remarquée dans le film "Aimez-les Tous" (2019) de Maria Agranovitch, la série TV "Chiki" (2020) et vue plus récemment dans "Obchtchaga" (2021) de Roman Vassianov. Les frères du compositeur sont interprétés par Filipp Avdeev vu dans "Classe à Part" (2015) et "Conference" (2022) tous deux de Ivan I. Tverdovsky, et retrouve son réalisateur Kirill Serebrennikov après "Leto" (2018) ainsi que son partenaire Nikita Elenev vu notamment dans "Mermaid : le Lac des Âmes Perdues" (2018) de Svyatoslav Podgaevskiy et Christopher Bevons et "Feya" (2020) de Anna Melikyan, la soeur de Antonina est jouée par Ekaterina Ermishina vue dans "Kazn" (2021) de Lado Kvataniya et "Ryadom" (2022) de Tamara Dondurey. Citons ensuite un rôle assumé par Miron Fedorov plus connu sous le nom de scène Oxxxymiron rappeur russe engagé très connu en Russie, puis un petit rôle joué par Youlia Aoug, star vue dans "Le Dernier Voyage de Tanya" (2010) et "Les Femmes Célestes de la Prairie" (2012) tous deux de Alekseï Fedortchenko, retrouvant aussi Serebrennikov après "Le Disciple" (2016) et "Leto" (2018) et vue récemment dans "Compartiment n°6" (2022) de Juho Kuosmen... Le premier soucis du film est que le réalisateur affirme vouloir être fidèle aux faits historiques mais avec quelques libertés. Ainsi il précise : "En fait, la quai-totalité des répliques du film sont vraies. Je voulais vraiment que mon film colle au plus près de la vraie histoire - à l'instar de sa relation avec son avocat, de l'atmopshère régnant dans sa famille, des enfants qu'elle a eus, qu'elle a abandonnés dans un orphelinat et qui y sont morts. (...) Mais, comme tout film, il y a une concentration des faits dans un temps imparti. En revanche, ce qu'elle dit des juifs, par exemple, est isuu de ses lettres." Il a raison et tort. Raison sur le temps imparti d'un film, mais certaines modifications ou libertés avec les faits restent peu ou pas justifiées car raconter la vérité n'aurait pas été plus long.
Par exemple la mère de Antonina avait également abandonné ses enfants à l'exception de Antonina, Tchaïkovski n'était pas en besoin financier à l'époque du mariage (6000 roubles de rente par une admiratrice, et 3000 par l'empereur), il a épousé Antonina pour cacher son homosexualité que tout le monde connaissait pourtant, Antonina avait écrit des lettres enflammées a beaucoup d'autres personnalités, et le film laisse entendre que Antonina aurait pensé au suicide mais omet l'acte effectif du musicien... etc... Sur la question de l'homosexualité, elle n'est jamais évoqué dans le film, mais cela est assez logique si c'est de notoriété publique et que le composteur assumait assez bien sa sexualité (a contrario du film) il y a une nuance et une ligne jaune que les convenances et la morale délimitaient. Par contre, le réalisateur signe un drame qui pourrait être une variation autour de "Ludwig, le Crépuscule des Dieux" (1973) de Luchino Visconti. Du romanesque perdu et embrumé dans une mélancolie funeste auquel Serebrennikov ajouté une bonne dose de thriller psychologique et un lyrisme macabre. La reconstitution historique est pointilleuse sans paillettes ou luxe de mauvais goût (rejoint encore le film de Visconti sur ce point), on s'immerge parfaitement dans l'austérité de l'environnement, qui s'avère aussi froid et sec que les relations entre époux. Si le réalisateur-scénariste prend des libertés c'est aussi pour accentuer la souffrance de cette femme aussi vite épousée que rejetée avec une violence morale assez inouïe, mais le cinéaste est aussi un peu complaisant en n'osant jamais émettre autre chose que l'amour sincère de cette femme et l'ignominie du génie musical. Au final, il s'agit surtout d'une expérience sensorielle et tragique, sur la dégénérescence émotionnelle d'une femme matérialisée par des songes où les failles prennent vie jusqu'à ce dernier quart d'heure absolument magnifique et onirique comme une oraison funèbre. Sans doute un peu long, mais ça reste un poème tragique d'une beauté formelle envoûtante.
Note :
14/20