[CRITIQUE] : N'oublie pas les fleurs

[CRITIQUE] : N'oublie pas les fleurs
Réalisateur : Genki Kawamura
Avec : Masaki Suda, Mieko Harada, Masami Nagasawa, Masatoshi Nagase, …
Distributeur : Eurozoom
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Japonais
Durée : 1h44min
Synopsis :
Lors du réveillon du Nouvel An, Izumi retrouve sa mère Yuriko errant dans un parc par un froid glacial. Quelques mois plus tard, elle est diagnostiquée comme souffrant d’Alzeihmer et sa mémoire décline rapidement. Pour son fils, les souvenirs de la mère qui l'a élevé seule sont toujours aussi vivaces. L'un d'eux en particulier, lorsqu'il croyait qu'elle avait disparu, le hante terriblement. Alors que Yuriko sombre lentement dans l'oubli, Izumi doit accepter de perdre à nouveau sa mère, cette fois pour toujours. En prenant soin de sa mère – au moment où lui-même s'apprête à devenir père – Izumi tente de comprendre ce qui l'a éloigné d'elle et s'interroge sur le sens de leur relation, pour retrouver l'essentiel de ce qui leur reste.
Critique :

#NoubliePasLesFleurs est un beau premier film où les émotions ambivalentes accompagnent un récit sur les souvenirs et le pardon. Kawamura profite d’analyser les dynamiques familiales pour ausculter les conventions japonaises autour des femmes et surtout des mères (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/yzCVZib7PH

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) March 2, 2023

Pour son premier long métrage, Genki Kawamura adapte son propre roman sur grand écran. Célèbre producteur des réalisateurs d’animation japonais en vogue (entre autres Makoto Shinkai et Mamoru Hosoda), il signe avec N’oublie pas les fleurs un film doux et émouvant sur la maladie d'Alzheimer.

[CRITIQUE] : N'oublie pas les fleurs

Copyright Eurozoom


C’est peut-être la maladie neurodégénérative la plus terrible. Les personnes atteintes perdent à la fois leurs souvenirs, mais aussi l’identité de leurs proches et la leur. C’est une maladie étrange, faite d’obsession et de cycle. Pourquoi un souvenir perdure et pas les autres ? Pourquoi on se souvient d’un proche et pas d’un autre ? Questions sans réponses car, comme toute maladie, rien n’a de sens. Une perte de repère que l’on retrouve directement dans la mise en scène. N’oublie pas les fleurs débute par une étrange séquence, où la frontière entre réalité et onirisme se trouble. Yuriko joue sur son piano et entend un bruit de porte. Quand elle se lève pour voir qui est entré, elle s’aperçoit que c’est elle. Yuriko rentre chez elle, chargée de courses et entend une mélodie au piano dans une autre pièce. Elle s’approche pour se voir jouer, dans le même plan qu’au début, fermant la boucle de cette séquence en miroir qui pourrait se rejouer à l’infini. Son fils, Izumi, rompt le charme quand il arrive passer le Nouvel An avec sa mère. Celle-ci a disparu et il la cherche dans la rue. Une séquence qui répondra à une autre, plus tard, en miroir. Le film se construit ainsi, comme un puzzle que le public doit former pour comprendre le récit. D’une façon habile, le cinéaste se sert du montage pour créer la confusion des souvenirs. Ceux-ci sont souvent difformes. lls arrivent par vague, ou par flash. Ils sont souvent incomplets, parfois dénaturés par les émotions. Ils peuvent être faux aussi, ou revenir comme une obsession.
Les séquences cycliques renvoient à un autre film, The Father de Florian Zeller, qui prenait le point de vue du malade et l'intégrait dans la narration. Genki Kawamura coupe la poire en deux. S’il a envie que l’on ressente la confusion de son personnage, il a aussi envie de creuser les conséquences de la maladie sur l’entourage. N’oublie pas les fleurs n’est pas seulement un drame autour de l’Alzheimer, il est également un drame familial plus large. Avec ses non-dits et ses traumatismes. Alors que le montage se faisait disparate, entre la réalité et les épisodes de démence de Yuriko, la découverte d’un carnet par Izumi fait basculer le film dans un flash-back au montage plus conventionnel, où l’on découvre une jeune Yuriko en couple avec un homme. S’agit-il du père d’Izumi, qui est aux abonnés absents depuis le début ? La vérité est encore plus tragique. Le spectateur comprend (et fait le lien avec d’autres scènes de flash-back, rappelez-vous, c’est un puzzle) que Yuriko a abandonné pendant un an son fils pour vivre une idylle avec cet homme. Après cette révélation, N’oublie pas les fleurs dévoile son véritable enjeu. Genki Kawamura ne signe pas un mélodrame autour d’une maladie mais bel et bien un film sur le pardon.

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Sans la juger, le film peint Yuriko comme une bonne mère qui a fait une erreur impardonnable aux yeux de son fils. Le spectateur ne saura jamais ce qui en est du père d’Izumi mais nous comprenons que Yuriko s’occupe de lui, seule, depuis sa plus tendre enfance. Une ambivalence bienvenue dans cette représentation de mère, loin de la mère-sacrifice habituelle. La femme d’Izumi, Kaori, en rajoute une couche en avouant à son mari les émotions contradictoires à l’annonce de sa grossesse et en lui annonçant “peut-être que moi aussi j’aurais envie de m’enfuir”. Dans un Japon où le regard sur les mères se fait encore archaïque, N’oublie pas les fleurs semble leur donner enfin le droit de ne pas être parfaite, de faire des erreurs et surtout de ressentir autre chose qu’un amour inconditionnel immédiat. On peut reprocher au film une approche trop franche sur cette question alors que le reste du récit détient un peu plus de subtilité et de délicatesse. Comme s’il fallait appuyer par des dialogues, souvent maladroits, ce que le spectateur pouvait aisément comprendre par le montage et le regard dénué de jugement du réalisateur sur ses personnages féminins.
N’oublie pas les fleurs est un très beau premier film, où les émotions ambivalentes accompagnent un récit sur les souvenirs et le pardon. Genki Kawamura profite d’analyser les dynamiques familiales pour ausculter les conventions japonaises autour des femmes et surtout des mères.
Laura Enjolvy
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