[CRITIQUE] : Emily

[CRITIQUE] : Emily
Réalisatrice : Frances O’Connor
Avec : Emma Mackay, Oliver Jackson-Cohen, Fionn Whitehead, Alexandra Dowling, Amelia Gething, …
Distributeur : Wild Bunch Distribution
Budget : -
Genre : Biopic, Historique
Nationalité : Britannique
Durée : 2h10min
Synopsis :
Aussi énigmatique que provocatrice, Emily Brontë demeure l’une des autrices les plus célèbres au monde. EMILY imagine le parcours initiatique de cette jeune femme rebelle et marginale, qui la mènera à écrire son chef-d’œuvre Les Hauts de Hurlevent. Une ode à l’exaltation, à la différence et à la féminité.
Critique :

#Emily rend hommage à Emily Jane Brontë en mettant en avant sa liberté bien avant les épanchements de son cœur, en analysant la femme pour mieux imaginer sa vie et chercher le cœur de son oeuvre, elle qui n'avait pas peur de voir où son imagination l’emporterait. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/EbEWUGgkue

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) March 11, 2023

Emily, la fleur noire du bouquet Brontë. Intense est son œuvre. Sa sœur Charlotte, qui lui survécut sept ans, a su décrire mieux que personne son attachement aux landes de son enfance et son besoin de liberté. Elle écrivit dans la préface d’une sélection de poèmes d’Emily : “Ma sœur Emily chérissait la lande. Pour elle, des fleurs plus éclatantes que la rose s’épanouissaient au plus noir de la lande ; d’un creux maussade ouvert au flanc livide de la colline, son esprit savait faire un Eden. Elle trouvait dans la solitude désolée maintes chères délices ; et ce n’était pas la moindre, mais bien la plus aimée d’entre elles que la liberté”.
Frances O’Connor s’y connaît en autrice anglaise. En 1999, elle avait prêté ses traits au personnage de Fanny dans le Mansfield Park de Patricia Rozema, adaptation libre du roman éponyme de Jane Austen. Pour ses débuts dans la réalisation, elle se tourne dans les landes reculées du Yorkshire, où vivent les Brontë, un projet qu’elle porte depuis dix ans. Famille devenue mythique par les travaux d’écritures de Charlotte, Emily et Anne, les Brontë possèdent le sceau tragique de la mort, une malédiction qui emporte d’abord la mère à 38 ans, puis la fratrie toute entière et se finit en 1861 avec le père, dernier survivant. Il n’est pas rare de se questionner sur l’imagination des trois autrices célèbres, notamment celle d’Emily concernant son seul roman. Comment une jeune fille qui n’a presque jamais quitté sa lande natale a-t-elle pu écrire une œuvre si sauvage, si passionnelle ? Elle, fille de vicaire, née dans une époque si peu propice à permettre cette liberté aux femmes. Frances O’Connor nous propose une réponse tirée d’une vérité biographique mélangée à la fiction. Dès les premières minutes, Emily se meurt. La caméra s’approche de son visage et quand celui-ci inonde le cadre, le titre du film apparaît. Emily va analyser la femme pour y chercher le cœur de son oeuvre. Quel était son secret ? Comment a-t-elle pu accéder à l’imagination du mal, comme l'appellent les essayistes qui se sont penchés sur Emily Brontë ?

[CRITIQUE] : Emily

Copyright Wild Bunch Germany, 2022


C’est par une question que commence le biopic, posée par Charlotte. “Comment as-tu fait ?”, faisant référence à son unique roman, Les Hauts de Hurlevent. Prenant des libertés avec la véracité de l’histoire, la cadette publie son livre la première et seule. Le film part du fait qu’Emily ouvre la voie de la littérature à ses sœurs, comme un cadeau posthume. On trouve des éléments de cette analyse directement dans la narration, quand Charlotte imite Emily lors de la dernière séquence du film. Charlotte s’assoit à la place de sa sœur, s'empare de sa plume, ouvre la fenêtre pour sentir le vent de la lande et se met à écrire ce qu’on imagine aisément être Jane Eyre, son premier roman.
Une première réponse apparaît quand le film glisse vers son flash-back. On y découvre Emily seule dans la lande. Elle raconte une histoire à voix-haute, que l’on prend en cours de route. Dans la réalité, Emily et sa jeune sœur Anne avaient créé un monde imaginaire, Gondal, à partir d’un autre monde imaginaire créé par elles, par Charlotte et par leur frère Branwell. Dans le film, le personnage du monde d’Emily est tiraillé entre son devoir de souveraine et son désir de femme. Une idée que l’on retrouvera par la suite dans le film. Avec cette séquence, Frances O’Connor caractérise Emily comme une femme solitaire, imaginative. Quand ce monde imaginé se télescope avec la réalité, que représente Charlotte quand elle lui dit qu’elles sont maintenant trop vieilles pour ces histoires, on entraperçoit ce qui déchire le personnage. Il existe une dichotomie flagrante entre l’enfance et le monde adulte chez Emily. L’enfance, c’est la liberté dans ce XIXe siècle. Être une femme adulte, c’est dire au revoir à la liberté du mouvement. C’est devoir corseter son corps et ses cheveux pour que rien ne dépasse. C’est devoir corseter ses pensées, devoir surveiller ce que l’on dit. Quand Emily se balade dans les collines, les cheveux au vent, elle essaie de garder cette liberté enfantine coûte que coûte. C’est pour cela qu’elle ne peut partir de chez elle. Partir, ce serait renoncer à cette liberté.

[CRITIQUE] : Emily

Copyright Wild Bunch Germany, 2022


Le film avance la théorie d’une histoire d’amour impossible entre Emily et Mr Weightman, l’assistant de son père. Une théorie crédible dans le cadre de ce biopic fictionnel. Emily, au diapason avec les éléments, boit tout d’abord les paroles du vicaire quand celui-ci commence à discourir sur la pluie et ce qu’elle lui inspire. Elle y voit son pendant, jusqu’à ce que celui-ci rapproche la pluie à Dieu. Les deux personnages ne cesseront de se défier, par punchlines interposées. Lui aussi sera attiré par sa prose quand il tombe par hasard sur un poème, vif et sensuel. C’est par l’imagination que la réalisatrice rapproche les corps. Le vent devient le bruit de la mer tandis que le couple est coincé dans une grange le temps que la pluie diminue. La pluie, toujours elle. L’élément phare de la météo anglaise enveloppe cette histoire d’amour et impose sa sensualité dans le récit. La pluie devient l'élément disruptif de l'environnement religieux du film. En laissant libre court à son désir, elle s'émancipe d'une voie toute tracée pour elle. Elle y découvre un monde d'interdit et de plaisirs. La réalisatrice exploite avec intelligence le bilinguisme de son actrice principale. William (Mr Weightman) apprend le français à Emily et cet apprentissage devient la métaphore de leur histoire d'amour. C'est en français qu'Emily provoque et qu'elle questionne les lois qui régissent son monde. Elle défie William sur sa foi, elle balance ses quatre vérités à Charlotte, qui jusque là, traitait sa petite sœur avec condescendance.
Frances O’Connor ne lâche jamais son héroïne et la mise en scène s’inspire de son imagination fertile. Le son suit le cheminement de son esprit, le montage prend le dynamisme de son désir (dans la séquence avant la première scène sexuelle entre Emily et William) ou la langueur de son cœur brisé. Emma Mackay donne vie à cette Emily fictive, avec succès. Emily tire son épingle du jeu en traitant l’histoire d’amour comme une réponse parmi d’autres sur l’inspiration de son œuvre. Le film rend hommage à l’autrice d’une façon admirable, en mettant en avant sa liberté bien avant les épanchements de son cœur. Emily Jane Brontë était une femme qui n’a pas eu peur de voir où son imagination allait l’emporter. C’est tout à l’honneur de Frances O’Connor d’avoir compris cet aspect en imaginant la vie de l’autrice.
Laura Enjolvy[CRITIQUE] : Emily