« Les Petites victoires » de Mélanie Auffret

Par Boustoune

Emile (Michel Blanc), sexagénaire résidant à Kerguen, un petit village de Bretagne, se retrouve complètement démuni lorsque son frère décède. N’ayant jamais appris à lire et à écrire, il ne peut déchiffrer le courrier qui s’amoncelle sur la table du salon, ni effectuer la moindre démarche administrative. Prenant son courage à deux mains, il décide de combler cette lacune handicapante en retournant sur les bancs de l’école, plus de cinquante ans après les avoir quittés. Il s’invite donc dans la seule classe de l’école communale, tenue par Alice (Julia Piaton). Désarçonnée de voir débarquer cet élève pas comme les autres, la jeune femme essaie tout d’abord de le raisonner, l’orienter vers d’autres solutions, plus adaptées pour un adulte. Mais le retraité est têtu. Il ne compte pas renoncer à son projet si facilement, conscient que l’enseignante a trop de coeur pour refuser de lui venir en aide.
Alice est exactement comme son père, l’ancien maire et médecin de la localité. Elle lui a d’ailleurs succédé à la mairie de Kerguen et s’investit énormément pour aider ses administrés, emmenant les personnes âgées chez le médecin le plus proche, c’est-à-dire à plusieurs kilomètres de là, payant les factures des habitants en difficulté ou rebouchant elle-même les nids-de-poules dans les rues du village. Alors, elle peut bien apprendre à lire et à écrire à un retraité isolé…
Mais certains parents s’émeuvent de la présence de ce sexagénaire bougon, au langage peu châtié et au franc-parler dévastateur, auprès de leurs “innocents” bambins. Ils décident de se plaindre au rectorat pour faire cesser cette situation.
Le hic, c’est justement que l’école aurait bien besoin d’élèves supplémentaires, quelque soit leur âge, car depuis le départ d’un couple et ses trois enfants, la seule classe encore ouverte ne compte plus que dix jeunes élèves. Alice n’a pas encore déclaré cette modification des effectifs, car elle sait que, pour le rectorat comme pour la communauté de communes, le nombre d’élèves inscrits est insuffisant pour justifier le maintien d’une école dans la localité. Et une fermeture aurait probablement pour conséquence, outre l’obligation, pour elle, d’être mutée dans une autre école du département,  un exode des dernières familles du village, ce qui impliquerait sa disparition totale de la carte à court ou moyen terme. Aidée par Emile, Alice tente d’organiser un plan de sauvetage audacieux.

Primée au dernier Festival de l’Alpe d’Huez, cette petite comédie permet de passer un agréable moment grâce à l’opposition de caractères entre Michel Blanc, très à l’aise dans le rôle de ce type bourru, un peu rustre, dissimulant tant bien que mal un vrai cœur d’artichaut (de Bretagne, bien sûr), et Julia Piaton, impeccable dans la peau de cette jeune femme trop gentille et trop généreuse, qui a tendance à s’oublier au profit des autres. Leur duo fonctionne parfaitement, tout comme l’alchimie entre l’ex-Bronzé et les jeunes comédiens, très attachants, et le film bénéficie aussi de la présence de solides seconds rôles : Marie-Pierre Casey, Marie Bunel, India Hair,Lionel Abelanski, Bruno Raffaeli et Grégoire Bonnet.
On se laisse également entraîner par le scénario, qui évoque souvent La Grande séduction du québecois Jean-François Pouliot, dans lequel des pêcheurs canadiens essayaient de de trouver un stratagème pour sauver leur petit village du marasme économique. Car derrière ses atours de comédie légère, le film de Mélanie Auffret aborde un sujet sérieux : l’administration des petits villages isolés, jadis caractéristiques de notre hexagone, mais qui tendent à disparaître inexorablement. La faute à qui, à quoi ? D’abord à l’industrialisation puis la tertiarisation qui, au XXème siècle, ont conduit à un exode rural. Les banlieues des grandes villes se sont développées, les petits commerces ont fermé au profit des centres commerciaux et des hypermarchés souvent situés en périphérie des communes. Les épiceries, les boucheries, les étals de maraîchers, toutes les boutiques qui constituaient l’âme d’un village ont fermé une à une. Puis certaines gares, jugées peu rentables, ont fermé leurs portes, limitant les possibilités de déplacement des habitants de ces petites communes. Au manque de commerces s’ajoute le manque de médecins, créant des « déserts médicaux ».
Aussi, quand les dernières écoles ferment, beaucoup de familles n’ont d’autre choix que de partir vers des communes plus importantes, où l’on peut encore bénéficier d’un minimum de services publics.
Les seuls qui restent sur ces territoires sinistrés sont le plus souvent les agriculteurs, les éleveurs, qui ne peuvent pas quitter leurs terres et leurs bêtes comme cela. Mais jusqu’à quand ? Comme il ne semble pas y avoir de réelle volonté politique de re-répartir la population de façon homogène sur le territoire, en redynamisant les régions et en décentralisant le pouvoir, la situation des petites communes de province risque de ne pas s’arranger au cours des années à venir.
Le film célèbre les maires de ces petits villages  qui assument leurs missions avec peu de moyens, peu de soutien, souvent en continuant leur activité professionnelle en parallèle. Il rend hommage à leur courage, leur abnégation, leur sens du sacrifice, leur rôle de pilier de la communauté.

Mélanie Auffret met aussi en exergue les valeurs de solidarité, d’entraide, la force du collectif et des liens amicaux pour faire face aux épreuves de la vie. La force de ces petites communes, c’est avant tout leur taille humaine, les liens qui unissent les habitants. Cette unité ne sera peut-être pas suffisante pour contrer, à terme, l’exode des habitants, mais chaque journée passée à préserver la vie du village, la cohésion des habitants, chaque petit combat et chaque petite victoire permet d’y croire encore un peu.
En tout cas Les Petites victoires permet de croire encore un peu à la comédie made in France, un genre souvent plombé par le manque d’imagination des auteurs et un manque de fond dommageable. Après Roxanne, Mélanie Auffret cultive en tout cas sa singularité et passe avec bonheur le cap souvent difficile du second long-métrage. On attend avec intérêt la suite de sa carrière.


Les Petites victoires
Les Petites victoires

Réalisatrice : Mélanie Auffret
Avec : Julia Piaton, Michel Blanc, Marie-Pierre Casey, Marie Bunel, India Hair,Lionel Abelanski, Bruno Raffaeli, Grégoire Bonnet
Genre : Comédie
Origine : France
Durée : 1h30
Date de sortie France : 01/03/2023

Contrepoints critiques :

”Une succession de tableaux champêtres et pittoresques, sur des sujets pourtant politiques : menace de fermeture d’école communale et problème de l’illettrisme. Deux thèmes qui auraient mérité un peu plus d’ambition de la part de la réalisatrice de Roxane.”
(Xavier Leherpeur – Le Nouvel Observateur)

Impossible de ne pas être charmé et conquis par la prestation à fleur d’émotions de Julia Piaton, qui forme, avec Michel Blanc, l’attachant tandem de cette comédie coup de cœur, engagée et généreuse.
(Julien Barcilon – Télé 7 jours)

Crédits photos : Copyright ADNP – Zinc – France 3 Cinéma – Photo Stéphanie Branchu