[CRITIQUE/RESSORTIE] : Michael Roemer, American Trilogy

[CRITIQUE/RESSORTIE] : Michael Roemer, American Trilogy

Il y a quelque chose de profondément injuste dans le fait que Michael Roemer soit l'une des figures les plus importantes du Nouvel Hollywood tout en étant, paradoxalement, l'une des moins cités par ses pairs tout autant qu'un auditoire sans doute trop peu au fait d'une filmographie peu aimable et (formidablement) complexe, dont l'exploitation en salles fut aussi douloureuse et mouvementée que son existence fut cabossée.


Celle d'un môme juif né dans l'Allemagne nazie, déraciné pour survivre et emporté par le vent de fumée enivrant d'un American Dream dont il a très vite compris qu'il n'était que le fruit pourri d'une croyance populaire aveugle.
Un cinéaste à l'ancienne prenant constamment le pouls de son époque, totalement conscient des maux qui la déchire autant que des luttes qui la font vibrer, un faiseur de rêves lucide et célébré sur le tard, qui fictionnalise le réel (et non l'inverse) sans jamais masquer sa dureté ni même la tragédie qui l'habite.
Avec 95 ans au compteur et une carrière en dents de scie, le bonhomme se voit (enfin) célébré par l'intermédiaire des Films du Camélia, qui dégaine une " American Trilogy " regroupant ses deux chefs-d'œuvre, Nothing But a man et Harry Plotnick seul contre tous, et le vrai/faux téléfilm Vengeance is mine
Une rétrospective miraculeuse et sensiblement immanquable.

Nothing but a man (1964)
Oeuvre enragée et lucide contant crûment la condition de la communauté Afro-américaine dans l'amérique profondément raciste des 60s, tranchant volontairement avec le cinéma académique et lisse de l'époque dont la visée schématique visant à guider son auditoire vers " l'illumination sociopolitique ", s'avérait aussi vaine qu'à l'opposée de la réalité.
Dans son petit " théâtre du réel ", Roemer ne lâche jamais de sa caméra son (anti-)héros Duff Anderson, ouvrier de chemins de fer dans l'Alabama dont le droit au bonheur se voit autant heurté par sa couleur de peau que par sa classe sociale, le cinéaste rendant subtilement flou la frontière qui sépare le racisme assumé d'un Sud sous ségrégation, et une estime de soi éternellement biaisée parce que foudroyée par le regard des autres.

[CRITIQUE/RESSORTIE] : Michael Roemer, American Trilogy

LES FILMS DU CAMELIA


Une odyssée rugueuse dans sa manière de sonder au plus près des corps et des visages oppressés, les fêlures d'une nation bâtie dans une violence qu'elle perpétue avec une frénésie sourde, une haine qui empoisonne - littéralement - l'âme des hommes (qui, comme le dit le titre, ne sont que des hommes), crue dans sa manière de corréler la misère sociale à celle du coeur, même si elle se permet quelques envolées romanesques lorsqu'elle pose son attention avec douceur sur le jeu de séduction et la romance contrariée entre Duffy et Josie, une institutrice protestante dont le père, pasteur respecté, désapprouve cette union.
Une oeuvre subtilement militante mais surtout franchement percutante.
Harry Plotnick seul contre tous (1969)
Comédie grinçante et furieusement Fellinienne - voire même Allenienne avant l'heure -, scrutant les atermoiements d'un petit gangster juif, Harry Plotnick (formidable Martin Priest), fraîchement libéré de prison après une courte peine, autrefois un piranha dans un étang new yorkais (ici le Bronx) où il n'est plus qu'une grenouille ne sachant plus sauter.
Un homme dont la vie elle-même semble être une conspiration constante, une existence où chaque personne gravitant de près où de loin de son périmètre vitale, semble s'être volontairement levé une heure avant lui pour savamment l'enfler dès le réveil.
Même son corps le lâche - il a des soucis de coeur.

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LES FILMS DU CAMELIA


Entre la lutte vibrante et la vanité inconsciente et maladroite, entre crudité désinvolte et mélancolie sincère, Roemer scrute cette lutte sisyphéenne contre l'adversité avec une ironie férocement mordante dans une observation satirique et pleine d'esprit de la nature humaine, où un homme dépassée se perd autant dans son besoin de survivre que son besoin d'appartenance et d'être aimé.
Sortie deux décennies (1990) après avoir été mis en boîte mais porté par une photographie granuleuse rappelant instinctivement son époque (on pense naturellement au cinéma de John Cassavetes), Harry Plotnick seul contre tous est une merveille de comédie légère et anarchique rythmée au cordeau, qui n'a pas perdue une once de son innocence séduisante.

Vengeance is mine (1984)
Son titre (où plutôt son nouveau titre, puisque le film a un temps été diffusé sous le titre Hunted) laisserait presque présager la vision d'un solide revenge movie comme les 80s les dénombrait à la pelle (avec une Brooke Adams absolument extraordinaire) et pourtant, c'est à l'opposé que se complait le long-métrage de Roemer : la comédie dramatique, et plus directement une nouvelle mise en images d'une expérience de vie fictionnelle où l'histoire, jamais vraiment linéaire, n'est uniquement motivée que par les personnages (ridiculeusement fascinants mais que le cinéaste aime réellement) et leurs choix/actes, autant que par le fruit d'un hasard qui fait subtilement bien les choses - où pas.

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LES FILMS DU CAMELIA


Une péloche capturant l'anarchie des impulsions humaines et bourgeoise où quand les membres d'une famille peuvent paraître des étrangers à nos yeux là où des personnes qui devraient être des étrangers deviennent une famille; où quand hommes et femmes sont les propres victimes innocentes d'eux-mêmes et de leur comportements.
Sorte de version totalement extrapolée de sa propre cellule familiale brisée (le film suit une mère émotionnellement violente et traumatisée par son enfance, sa fille et une étrangère qui rentre dans leur vie), Vengeance is mine se fait un long voyage émotionnel de femmes en conflits, traitant en filigrane du cycle perpétuel de la violence (à la fois les femmes entre elles et celles que les hommes leur inflige) autant que des maux d'une Amérique dont il comprend pleinement les absurdités - comme celles de la vie.
Jonathan Chevrier