Réalisateur : Pierre Földes
Avec les voix de : Amaury de Crayencour, Mathilde Auneveux, Arnaud Maillard, Bruno Paviot, …
Distributeur : Gebeka Films
Budget : 6M€
Genre : Animation
Nationalité : Français, Luxembourgeois, Canadien, Néerlandais
Durée : 1h49min
Synopsis :
Un chat perdu, une grenouille géante volubile et un tsunami aident un attaché commercial sans ambition, sa femme frustrée et un comptable schizophrène à sauver Tokyo d’un tremblement de terre et à redonner un sens à leurs vies.
Critique : #SaulesAveuglesFemmeEndormie décide de ne rien exprimer et se contente des sensations, comme un phare dans la nuit de l’existence. Le film de Pierre Földes peut se voir comme une ode aux personnes banales, qui connaissent enfin la possibilité d’un renouveau. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/59U0xMF8sj
L'œuvre de Haruki Murakami semble être si singulière, si étrange, qu’il nous est presque impossible d’imaginer ses récits adaptés sur grand écran. Et pourtant, des cinéastes ont su retranscrire en image l’univers onirique de l’auteur, Drive my car étant l’exemple le plus récent. Pour son premier long métrage, le compositeur Pierre Földes ne se simplifie pas la tâche. Ce n’est ni un roman, ni une nouvelle qu’il adapte mais bien six nouvelles, liées par un propos commun : celui d’un éveil existentiel.
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Saules aveugles, femme endormie n’est pas si étrange qu’il n’y paraît. Le film aurait pu être disparate, il aurait pu embrasser l’entière poésie que convoque son titre mais c’est un univers familier que nous présente Pierre Földes. Un monde fait de tragédie, d’obligation, de séparation. Un monde où l’imagination est toujours contrainte par la réalité. Le réalisateur nous présente différents personnages, qui ont comme point commun d’être à l’aube d’une nouvelle vie. Après le tremblement de terre ayant frappé le Japon en 2011, Kyoto quitte Komura. “Vivre avec toi, c’est comme vivre avec une bulle d’air” lui écrit-elle. De son côté, le bedonnant Katagiri fait une étrange rencontre. Les deux hommes, collègues au demeurant, n’ont pas d’interactions mais leur histoire se répondent. Komura devra trouver un sens à sa vie en se remplissant d'expériences. Katagiri, exploité au travail, devra laisser son imagination l’emporter.
Rien ne devrait tenir et pourtant, comme par magie, le récit imaginé par Pierre Földes tient la route. Tout s’entremêle parfaitement, sûrement parce que le cinéaste choisit de ne pas imposer une mise en scène extravagante et laisse parler l’univers de lui-même. Réaliste, le film lorgne néanmoins vers le fantastique, justement parce que le récit convoque l’imagination pour bousculer le quotidien des personnages. À quarante ans, Kyoto, Katagiri ou Komura ouvrent les yeux chacun à leur façon. Le tremblement de terre est le catalyseur de Kyoto qui, rendue immobile par l’horreur, se rend compte qu’il n’y a plus rien qui la retient dans sa vie maritale. Tout le contraire de Komura, son mari, qui s’éveille uniquement parce que sa femme le quitte et que la phrase de la bulle d’air le blesse et le questionne. De son côté, Katagiri s’ouvre à une nouvelle perception du monde grâce à une grenouille géante qu’il est le seul à voir. Réelle ou non, cette grenouille lui fait prendre conscience du champ plus large de ses capacités. Le cadre devient un espace sensoriel où les expériences des personnages transcendent leur existence et leur permettent de redessiner leur destin.
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Parfois drôle, Saules aveugles, femme endormie recèle surtout un grave accent de mélancolie, transformant l’humanité en une silhouette fantomatique d’arrière plan. Seuls les personnages possèdent une dimension plus concrète dans le cadre, secoués par leur états-d’âme. L’animation s’est d’ailleurs inspirée des mouvements de véritables acteurs et actrices, qui ont joué les scènes sans décors, ni éclairage. En découle une mise en scène en voyage constant, entre le songe et l’existence. “Ne gâtons-nous pas les choses en les exprimant ?” se demandait Virginia Woolf. Saules aveugles, femme endormie décide de ne rien exprimer et se contente des sensations, comme un phare dans la nuit de l’existence. Le film de Pierre Földes peut se voir comme une ode aux personnes banales, qui connaissent enfin la possibilité d’un renouveau.
Laura Enjolvy