En périphérie des films de sa sélection, le Love International Film Festival de Mons proposait une sélection de courts-métrages belges. L'occasion était belle de revenir sur ces quelques titres étant aussi variés dans les propositions qu'unis dans leurs qualités. Pas étonnant déjà de voir que trois d'entre eux figuraient parmi les nommés à la dernière cérémonie des Magritte. Le musical Drame 71 mélange ainsi romance plutôt classique avec l'absurde des transports bruxellois, conférant une personnalité clivante mais néanmoins intéressante. Pareil pour Patanegra, se déroulant dans l'Espagne révolutionnaire proche de basculer dans la dictature de Franco, trouvant l'équilibre entre un humour plutôt en dehors et un drame historique fort. Néanmoins, c'est Les huîtres qui ressort le mieux de ces trois titres, sa manière de dévier vers le drame personnel apportant une touche de sororité aussi impactante que le drame en son cœur.
Pour revenir aux autres propositions, il nous paraît impossible de ne pas souligner le nouvel essai gagnant de Théo Degen et Charlotte Muller avec Alice et les soleils. Perpétuant la recherche esthétique de L'enfant salamandre, les réalisateurs trouvent une approche visuelle marquée qui donne envie de voir ce qu'ils pourront nous offrir en format long au vu de l'unicité de leur cinéma. La solitude de l'ours s'oriente de son côté vers un drame paternel aux bases connues mais qui parvient quand même malgré ses limitations à fonctionner sur la durée. De même, L'apatride trouve une approche passionnante avec cette mère syrienne définie uniquement comme réfugiée et en fait un moteur émotionnel central dans un sujet d'actualité.
Cette dernière s'est également immiscée par d'autres biais, notamment la violence du milieu agricole dans Une voie lactée, moment de tension où se dessinent des enjeux économiques de fond qui renforcent l'émotion au sein d'un court plus dur qu'attendu. Même chose dans Casse-couille, dont le traitement d'un harcèlement et d'une impossibilité de passivité marque autant que sa fin abrupte dans son ancrage quotidien. Les silencieux trouve aussi un ancrage dans son enjeu financier pour mieux dessiner une question morale plutôt difficile et profitant de la brièveté du récit pour mieux interroger. Sa récompense en est encore plus méritée, surtout que son approche visuelle trouve une solidité étouffante par son milieu marin. Enfin, Tjenbe Red et The wind is blowing parviennent dans leurs décisions visuelles respectives à confronter leurs protagonistes à un rapport familial différent pour chacun mais similaire dans leurs questionnements respectifs sur la place de très beaux personnages principaux.
Cette place familiale est également au cœur de Marée haute, le titre récompensé par le jury presse de cette année dont faisait partie l'auteur de ces lignes. Il faut dire que la maîtrise visuelle et narrative du récit n'étouffait jamais les sentiments au sein du court de Noha Choukrallah, bien au contraire. La force subtile du jeu, en particulier de Bérangère McNeese, impose ainsi une fascination certaine pour cette histoire de mère en conflit, trouvant par son ancrage en bord de mer une idée visuelle passionnante pour illustrer des tourments sentimentaux forts. Bref, impossible de rester impassible face à pareil titre, parvenant à rappeler la richesse du format court en ce qui concerne la narration visuelle...
***
Interview de Noha Choukrallah, réalisatrice de Marée Haute.
Il est à noter que cet entretien a été fait avant la clôture du festival et qu'il a été très compliqué de ne pas prévenir la réalisatrice qu'on l'a récompensée pour son court-métrage bouleversant. S'il est plus facile d'écrire par moments les sentiments procurés par une œuvre, il est à souligner que Marée Haute équivaut à une étreinte émotionnelle qui sait comment toucher intérieurement.
Qu'est-ce qui t'a inspiré le sujet de Marée Haute ?
Noha Choukrallah : Il y a plusieurs choses. La première, au niveau de l'esthétique, c'est l'envie de tourner à la mer. Il y avait l'envie de faire un portrait de femme, l'envie, un peu plus personnelle mais universelle, de parler de ces ruptures où on essaie de faire au mieux mais on finit par faire mal car on a mal soi-même.
Quelles ont été tes discussions avec ton actrice principale, Bérangère MacNeese ?
Alors, je me souviens juste de la lettre que Bérangère avait écrite à la commission pour une demande de subvention et, il me semble que dans cette lettre, elle écrivait que ce qui l'intéressait dans ce personnage, c'était justement le fait de pouvoir montrer un personnage fragile, pris par ses émotions, alors qu'on est vraiment dans un monde de l'injonction où on n'a pas le droit de chavirer si tu veux. Chavirer, c'est OK, si on remonte évidemment et si on n'emporte pas tout le monde avec soi, sans tomber dans le jugement de valeurs. Ce que je veux dire par là, c'est que je crois que ce qui a plu à Bérangère, c'était vraiment le fait de pouvoir travailler sur un personnage qui allait, à un moment donné de sa vie, à force de suivre les conventions de bienséance, de vouloir bien rompre, vouloir tout bien faire, s'oublie, oublie ses besoins et se prend une grosse vague dans la face, une vague émotionnelle. Elle pète un plomb. Je pense que c'est ça qui intéressait Bérangère. Et ce qui l'intéressait aussi dedans est que tout se joue dans les silences. Mais c'était déjà le cas dans mon précédent film, Amine.
En parlant d'Amine, si j'ai bien vu, c'est ton quatrième court-métrage après Night Light, Amine donc et Lecture. Qu'est-ce que ceux-ci t'ont apporté comme apprentissages pour Marée haute ?
J'en ai même fait 5 en fait !
Oh, OK, je suis désolé...
Lecture, c'était plus un film de confinement pour aider une copine en fait. J'avais une pote comédienne qui était plutôt déprimée et qui est plutôt talentueuse. Je lui ai dit « Écoute, écris et on va faire un truc. Si on est dans la création, on va -justement- te tenir à flots dans ce confinement. Il faut que tu t'occupes et la façon dont tu t'occupes, qui te fait du bien, c'est d'être créative donc fais-moi des rushs de ton quotidien et on va le monter ». Ça, c'était plus un projet vraiment spontané, pas du tout technique. Ce n'est pas comme sur un projet comme Amine, Marée haute, Dernier regard où Night light, qui sont des films subventionnés. Je pense que ce que les précédents m'ont amené... Je pense que je me suis vraiment découverte à travers Amine. Il n'est pas parfait, on a eu des problèmes de calendrier, on a eu des problèmes de production et ça se sent, on a manqué de temps, mais je pense que mon envie de faire le portrait de personnes qui regardent le monde devant elles et qui avancent en clopinant, comme elles peuvent, dans ce qui peut être très violent, ou qui n'ont pas appris à se battre comme on le fait aujourd'hui, c'est vraiment quelque chose qui m'intéresse en fait. Il y a eu une phrase de Pina Bosch et notamment tout l'aspect poétique qui tourne autour d'Amine, avec beaucoup d'images poétiques dans l'eau. Ici, il y a beaucoup qui a sauté au montage parce que j'ai l'impression d'avoir appris une nouvelle chose. Avec le montage, on a essayé de faire un film narratif, très narratif en fait, et voir comment la poésie s'y glissait mais pour venir un peu comme, pas catalyseur mais plutôt justement projecteur, accompagnateur même de l'émotion. Le personnage vit l'émotion et autour, que ce soit par la voix capella des femmes, des sirènes, que ce soit les bruits de mer de la nature, on accompagne dans la narration de manière sensorielle.
La justesse de tes comédiens frappe. Tu es comédienne passée au Conservatoire Royal de Bruxelles, où tu as donné des cours de jeu face caméra et tu es passée par l'Université du Québec à Montréal. Comment ton expérience t'a été essentielle dans la direction de ton casting ?
C'est à eux qu'il faudrait le demander mais je pense que chez Gui (Guillaume Duhesme) et la petite, cela m'a beaucoup aidé car Gui vient du stand up et qu'il fallait le mettre à l'aise et lui transmettre des outils de jeu. Tout n'était pas nouveau car il avait tourné dans un long-métrage avant mais c'était la première fois qu'on lui demandait quelque chose de différent. Donc je pense que mon expérience de comédienne a pu lui transmettre, enfin j'espère, quelques outils plutôt de l'ordre du jeu tragique que comique et un jeu cinématographique aussi car, quand on est sur scène, au niveau du stand up, ce ne sont pas du tout les même mécanismes de jeu que lorsque tu es face caméra. Être comédien de théâtre ou de cinéma, ce n'est pas que l'on ne peut pas passer de l'un à l'autre mais ce ne sont pas les mêmes outils auxquels tu vas faire appel. Je pense que ça, c'était hyper intéressant. Avec Bérangère, c'était hyper gai car elle a beaucoup d'expérience de plateau, elle est comédienne et réalisatrice, et c'est entre autres aussi pour ça que j'ai eu envie de travailler avec elle parce que je me disais qu'elle allait comprendre les deux parties. C'était assez organique dans le sens où, comme on est comédiennes toutes les deux, qu'on est réalisatrices toutes les deux, elle me disait : « Non, ça, je ne le sens pas, je vais plutôt te proposer ça », elle proposait et je trouvais ça super. Puis je lui disais « S'il te plaît, essaie quand même ça, je pense que c'est bon » et elle essayait et me disait « Ah ouais, ça passe finalement ». La chance aussi d'avoir Bérangère, c'est qu'elle était efficace sur le plateau et qu'on a une économie de temps et d'argent dans les courts-métrages, en général en Belgique francophone, qui ne permet pas d'explorer donc il y a peut-être une petite frustration par rapport à ça, en tant que comédienne justement, d'aller chercher plus chez les acteurs et actrices avec qui je travaille. Pour Flavie, j'ai fait un casting de 50 petites filles et ça a été elle car elle a ce naturel de laisser vivre ce qui se passe dans la situation sur son visage, sans mots, sans parler, de ne pas expliquer ce qu'elle dit. Donc Flavie, la seule chose qu'il a fallu faire, c'était de l'encadrer d'une coach qui puisse traduire mes intentions dans des mots d'enfants. Puis surtout, le fait que je vienne du théâtre à la base, j'ai organisé une journée à la plage avec Gui, Bérangère et Flavie. Bérangère m'a dit « Vraiment ? Pourquoi ? » (rires). On est dans du court-métrage donc on n'est pas dans une journée payée (enfin, ce qui est payé, c'est le train, la glace). Je dis « C'est avec une petite fille donc tu verras » et après, les trois étaient méga ravis car Flavie s'est prise au jeu et les appelait papa et maman toute la journée, on les a laissés faire du gocart. Il y a un truc où, avant d'être sur le plateau, ils ont pu créer le background story de leurs personnages et je pense que ça, c'est parce que je viens du théâtre et qu'aussi j'ai une connaissance d'une multitude de manières d'aborder le jeu. Je n'en connais pas qu'une si tu veux en tant que comédienne.
Tu parlais de ton envie de tourner à la mer. Peux-tu approfondir un peu ce point, sachant que je trouve que cela apporte des idées visuelles intéressantes ?
Le fait d'avoir la mer toujours là, un niveau d'eau qui monte et qui descend, qui soit toujours dans le décor, ... Je trouve que ce mouvement... (réfléchit) C'est peut-être car c'est comme ça pour moi mais je pense qu'on est mouvants dans nos émotions. On vit 1000 choses sur une journée mais on a perdu la connexion à ça et cette eau qui est là, qui s'en va et revient, c'était vraiment important mais ça amenait aussi cet espace frontière entre l'Angleterre et la Belgique. Le fait de traverser la mer et d'en avoir une entre Hannah et sa propre mère, c'était important de l'isoler, la montrer dans un endroit qui l'impose de traverser quelque chose pour aller rejoindre sa famille qui n'est pas dans le même pays et rejoindre sa famille autre part vu que cette famille qu'elle avait fantasmée n'existe plus.
Si je me souviens bien, c'était la première diffusion au festival du film de Mons. Qu'est-ce que cela t'a apporté ?
Cette première sélection était chargée pour moi car le film est fini depuis octobre donc ça fait 6 mois. On n'a pas postulé à beaucoup de festivals et on a eu une sélection tout de suite donc c'est assez magique de commencer l'année par une sélection, d'être à Mons aussi, en Wallonie, d'être dans un festival qui célèbre justement l'amour dans toutes ses formes. C'était l'endroit peut-être où devait commencer le film pour justement parler de ça. Qu'est-ce que l'on fait quand on est en désamour ?
Que pensez-vous que le format court peut apporter à des réalisateur.rice.s d'un point de vue esthétique et narratif ?
(réfléchit) Alors narratif, je pense que je n'ai toujours pas compris car mes films sont trop longs (rires). C'est un format en soi le court-métrage et je pense qu'il y a des gens qui le font bien mieux que moi honnêtement, qui font des bulles, des espèces de haïkus, de petits poèmes hyper puissants. Je pense que moi, j'aime ce média-là pour ça et que c'est ce qui le rend intéressant. Par contre, il est intéressant pour des réalisateurs et réalisatrices comme moi qui ont envie d'explorer effectivement une esthétique particulière et donc on peut expérimenter, se planter, se faire connaître aussi pour pas trop d'argent foutu par les fenêtres (rires).
Il est sans doute tôt pour poser cette question au vu du début de carrière de Marée Haute mais as-tu déjà d'autres projets en travaux ?
J'en ai plein mais ils sont évidemment à des étapes différentes. Je suis sur trois longs en même temps en ce moment. Là, il y en a un qui a été écrit et qui est dans les tiroirs parce qu'il cherche un producteur mais on a une bourse d'aide à l'écriture de la Fédération. Le deuxième, on a une autre bourse pour faire un traitement donc là, il va falloir commencer à démarcher. Et puis j'en ai un qui est pour l'instant en écriture et production qui devrait sortir le premier et qui, j'espère de tout mon cœur, sera tourné en 2024 ou 2025.
Propos recueillis par Liam Debruel.Merci à Noha Choukrallah pour cet entretien ainsi qu'à toute l'équipe du Love International Film Festival de Mons, en particulier Perle Terrana et Anne Saint-Moulin.