Fin des années 80, le producteur Claude Berri voudrait adapter un roman de Alexandre Dumas, "Les Trois Mousquetaires" (1844), et propose le projet à Patrice Chéreau réalisateur entre autre de "La Chair de l'Orchidée" (1974) ou "Hôtel de France" (1987). Mais un projet concurrent développé par Jean Becker amène à y renoncer mais finalement le cinéaste s'entend avec Berri pour adapter un autre roman émblématique du romancier, "La Reine Margot" (1845), déjà porté à l'écran avec les versions (1910) de Camille de Motlhon, (1914) de Henri Desfontaines et (1954) de Jean Dréville. C'est d'autant plus logique que Chéreau avait mis en scène pour le théâtre la pièce "Massacre at Paris" (1593) de Christopher Marlowe. D'ailleurs le réalisateur-scénariste prend la pièce comme une inspiration supplémentaire mais ce qui décide réellement le cinéaste reste le sujet en lui-même, soit les Guerres de Religion surtout qu'au fil de l'écriture, les années 89-93 l'actualité est édifiante avec entre les manifestations de Tian'anmen, la guerre du Golfe, la guerre vivile yougoslave... Des événements qui vont nourrir le scénario de Chéreau et de Danièle Thompson qu'il a sollicité. Rappelons qu'elle est la fille de Gérard Oury avec qui elle est appris et travaillé depuis "La Grande Vadrouille" (1966). Chéreau avoue des influences, dont une plutôt inattendue : "Il y a eu évidemment les cinéastes que j'admire, Welles, et surtout Scorcese, Coppola, dans la mesure où par moments, pour chasser certaines images périlleuses, trop historiques ou trop téléfilm que j'avais de Catherine de Médicis, de ses frères, de l'histoire de France, j'essayais de me demander, dans Le Parrain, quelle était la situation correspondante, par exemple. Cela me permettait de rajouter une scène où les personnages mangeaient tous autour d'une table, comme dans Le Parrain et Dumas mélangés. En fait si Dumas existait (encore), il écrirait peut-être des scénarios pour Coppola..." Le film devient un des films français le plus cher de l'Histoire loin derrière "Pirates" (1986) de Roman Polanski et "La Révolution Française" (1989) de Robert Enrico mais tout de même avec un budget de 140 millions de francs ce qui oblige à une performance en salles qui n'arrivera malheureusement pas. Le film amasse "seulement" 2 millions d'entrées France ce qui est un échec comparé au prestige du casting et des moyens engagés. Malgré tout, le film reste le plus gros succès de Chéreau, et surtout il reçoit un accueil chaleureux au Festival de Cannes avec le Prix du Jury et le prix d'interprétation féminine, et en prime 12 nominations aux Césars pour 5 statuettes, meilleure actrice, meilleur second rôle masculin et féminin, meilleure photographie et meilleurs costumes. Le film dure officiellement 2h40 lors de sa présentation à Cannes, mais le réalisateur accepte de raccourcir le film de 20mn pour sa sortie internationale. Le film se voit interdit au moins de 12 ans avant une réévaluation à un public averti ; précisons que l'interdiction initiale n'est pas choquante...
1572, pour mettre fin aux guerres de religion qui endeuillent la France depuis des années, le camp des Protestants et des Catholiques tentent une paix via le mariage entre le prince Protestant Henri de Navarre et la princesse catholique Marguerite de Valois. Mais les machinations et les tractations parasitent les coulisses du pouvoir jusqu'à la tragédie du massacre de la Saint-Barthélémy seulement six jours après les noces. Durant le massacre, le Protestant La Mole trouve refuge chez Marguerite de Valois qui le sauve. Malgré sa famille et sa foi, elle va tenter d'éviter le pire à La Mole comme à son époux... Le rôle titre est incarné par la star Isabelle Adjani alors au sommet de sa gloire et de sa beauté après des films comme "L'Eté Meurtrier" (1983) de Jean Becker ou "Camille Claudel" (1988) de Bruno Nuytten mais déjà dans une volonté de moins tourner voulant profiter de son compagnon Daniel Day Lewis. Elle retrouve après "Clara et les Chics Types" (1981) de Jacques Monnet son partenaire Daniel Auteuil alias Henri de Navarre, l'acteur ayant un statut bien différent qu'en 81 après avoir entre autre prouvé son talent avec "Jean de Florette" (1986) et "Manon des Sources" (1986) tous deux de Claude Berri, elle retrouve aussi après "Subway" (1985) de Luc Besson l'acteur Jean-Hugues Anglade vu dans "37°2 le Matin" (1986) de Jean-Jacques Beineix et "Nikita" (1990) de Besson et retrouve Chéreau après "L'Homme Blessé" (1983). N'oublions pas la reine mère, l'italienne Virna Lisi qui connaît déjà la France avec notamment les films "Eva" (1962) de Joseph Losey, "La Tulipe Noire" (1964) de Christian-Jaque ou "Le Serpent" (1973) de Henri Verneuil. Citons ensuite Pascal Greggory qui retrouve Isabelle Adjani après "Les Soeurs Brontë" (1979) de André Téchiné, vu plus tard dans "Pauline à la Plage" (1983) de Eric Rohmer et "La Soif de l'Or" (1993) de Gérard Oury, Dominique Blanc vue dans "Milou en Mai" (1990) de Louis Malle et "Indochine" (1992) de Régis Wargnier retrouvant Vincent Perez alias La Mole vu dans "Cyrano de Bergerac" (1990) de Jean-Paul Rappeneau et qui fait partie de la troupe des Amandiers qui ont tourné pour Chéreau dans "Hôtel de France" (1987) à l'instar de ses camarades Marc Citti vu cette même année dans "Regarde les Hommes tomber" (1994) de Jacques Audiard, et Bruno Todeschini qui retrouve aussi après "La Sentinelle" (1992) de Arnaud Desplechin son partenaire Emmanuel Salinger. Citons ensuite Bernard Verley remarqué encore récemment dans "Grâce à Dieu" (2018) de François Ozon, mais qui fût un acteur fidèle de Luis Bunuel notamment dans "Le Fantôme de la Liberté" (1974) retrouvant ainsi l'acteur Jean-Claude Brialy qui, de son côté, retrouve Adjani après "Mortelle Randonnée" (1983) de Claude Miller et il retrouve après "L'Effrontée" (1985) du même réalisateur son partenaire Jean-Philippe Ecoffey vu dans "Henry and June" (1990) de Philip Kaufman ou "Mina Tannenbaum" (1994) de Martine Dugowson, Claudio Amendola vu dans "La Vénitienne" (1986) de Mauro Bolognini et juste après dans "Le Hussard sur le Toit" (1995) de Jean-Paul Rappeneau, Miguel Bosé vu dans "Talons Aiguilles" (1991) de Pedro Almodovar et "Suspiria" (1977) de Dario Argento, Asia Argento fille de ce dernier pour qui elle tourna plusieurs fois dont "Trauma" (1993), Julien Rassam fils de Claude Berri ayant débuté avec son père dans "Sex-Shop" (1972) et "Le Mâle du Siècle" (1974), Thomas Kretschmann vu dans "Une Lueur dans la Nuit" (1992) de David Seltzer et "Stalingrad" (1992) de Joseph Vilsmaier mais qui connaîtra une reconnaissance mondiale avec le succès de "Le Pianiste" (2002) de Roman Polanski, Johan Leysen vu dans "Je vous Salue Marie" (1985) de Jean-Luc Godard ou "Le Maître de Musique" (1988) de Gérard Corbiau, et enfin Grégoire Colin récemment nommé au césar du meilleur espoir pour "Olivier, Olivier" (1992) de Agnieszka Holland, et qui retrouvera Daniel Auteuil dans "Sade" (2000) de Benoît Jacquot...
Après une petite scène qui paraît anodine le film débute réellement avec une séquence à l'austérité puissante, où la tension palpable n'a d'égal que la solennité de l'événement : un mariage princier arrangé et condamné par avance. La séquence est esthétiquement absolument sublimissime. Néanmoins, en ce début de film on constate que ce mariage a lieu dans une cathédrale alors qu'ne réalité le mariage a eu lieu sur le parvis pour éviter que les Protestants n'entrent dans une église catholique. Mais c'est là aussi qu'il faut insister pour rappeler que le film n'est pas une biographie historique mais l'adaptation d'un roman historiographique et fictionnel, comme l'est par ailleurs le roman "Les Trois Mousquetaires" à la différence près que "La Reine Margot" reste plutôt cohérent et relativement fidèle aux faits dans les grandes lignes. Vite fait, le plus choquant reste l'âge des protagonistes, Margot et Henri de Navarre avaient en effet que 19 ans, loin donc des 39 et 44 ans de leurs interprètes respectifs, on peut aussi noter que Charlotte de Sauve/Argento vit jusqu'en 1617, que la liaison entre La Mole et Margot tient plus de la légende jusqu'à son issue, que l'inceste familial chez les Valois est tout autant fantasmé, et rappelons que le futur Henri IV n'était certainement pas aussi pleutre... etc... D'ailleurs Chéreau a toujours insisté sur le fait qu'il se moque de la réalité historique : "J'ai donc eu peur du film historique et je me suis interdit au tournage de faire des choses qu'on ne ferait pas dans un film contemporain, ou qu'on rajouterait parce que ce serait un film historique. Par exemple montrer les rues, s'attarder sur la description, sur la vie quotidienne à l'époque. J'ai donc tout éliminé, j'ai voulu qu'on rentre très très vite dans la narration, que ce soit presque comme un film policier, un film d'aventures ou (...) un film de mafia." Pourtant le soin apporté à la reconstitution d'époque est impressionnant, jusque dans certains passages intimistes qui témoignent du quotidien, en témoigne par exemple la séquence chez la maîtresse du roi, les convenances comme la chasse royale.
Les décors et costumes sont magnifiquement placés dans un écrin idéalement mis en photo par Philippe Rousselot, Directeur photo français ayant désormais une renommé internationale notamment grâce à son travail sur les films "Les Liaisons Dangereuses" (1989) de Stephen Frears ou "Et au Milieu coule une Rivière" (1992) de Robert Redford. On aime aussi la B.O. signée de Goran Bregovic compositeur de Emir Kusturica sur les films "Le Temps des Gitans" (1988), "Arizona Dream" (1993) et plus tard de "Underground" (1995), la musique est parfaite, elle souligne l'action et l'émotion tout en sachant se faire oublier, sans être pompeuse. Mais la grande réussite du film, la belle idée de Chéreau est d'avoir su apporter autre chose qui le démarque du roman, à savoir d'avoir enrichit le personnage de la Reine Margot, de la rendre à la fois plus complexe et plus humaine loin des clichés habituels, à l'instar d'ailleurs de la Reine mère. En effet, le succès du roman a occulté la réalité des choses dans l'inconscient collectif, le roman ayant contribué à la légende noire de Catherine de Médicis en reine implacable et vénéneuse, puis à la réputation de simple catin de Margot. Sans être historiquement parfait, Chéreau ajoute de l'ambiguité à ces deux femmes hors normes, Catherine est certe sans pitié mais elle agit en croyant devoir faire son devoir, elle reste une mère aimante et une femme d'état expérimentée qui cimente sa famille et qui tente de faire de même pour la France, tandis que Margot devient une femme arrogante, égoïste qui se croit libre de toute contrainte mais qui va devenir une femme amoureuse et courageuse, qui doit se battre malgré une position fatalement inconfortable et dangereuse. Le film est une succession de scènes incroyables, dans une narration fluide et cohérente le récit relate les faits marquants des années 1972-1974, l'assassinat de Coligny marque les esprits, comme toute la partie du massacre de la Saint-Barthélémy, tragique et sanglante, où on sent et ressent le sang et la sueur, la panique et la haine, comme dans les couloirs du Louvre où chaque recoin peut-être un coupe-gorge. Patrice Chéreau signe bel et bien un film historique, avec des libertés certes mais pour mieux nous imprégner d'une période trouble et funeste de notre Histoire de France. Un grand film à voir, à revoir et à conseiller.
Note :
19/20