Copyright Aidan Monaghan/AMC
Avant de devenir des cinéphiles plus ou moins en puissance, nous avons tous été biberonnés par nos chères télévisions, de loin les baby-sitter les plus fidèles que nous ayons connus (merci maman, merci papa).
Des dessins animés gentiment débiles aux mangas violents (... dixit Ségolène Royal), des teens shows cucul la praline aux dramas passionnants, en passant par les sitcoms hilarants ou encore les mini-séries occasionnelles, la Fucking Team reviendra sur tout ce qui a fait la télé pour elle, puisera dans sa nostalgie et ses souvenirs, et dégainera sa plume aussi vite que sa télécommande.
Prêts ? Zappez !!!
#31. The Terror (2018 - 2019)
Depuis la sortie de sa deuxième saison en 2019, la série d'anthologie The Terror est dans les limbes (quoi de plus approprié pour une série fantastique me direz-vous ?). Ni officiellement annulée, ni officiellement renouvelée, elle serait en attente du pitch idoine pour sa saison 3. Il faut dire que la saison 2 avait reçu un accueil déçu, après les louanges qui avaient salué la saison 1. Cette dernière adaptait le roman Terreur de Dan Simmons, lui-même inspiré de l'expédition arctique Franklin qui quitta l'Angleterre en 1845 pour ne jamais revenir. La fiction brode autour de faits historiques pour les rehausser de conflits romanesques et de menaces surnaturelles, insufflant une atmosphère paranoïaque dans laquelle - comme bien souvent dans le genre - le pire ennemi de l'homme n'est autre que lui-même.
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Sous ses airs de manifeste concernant le ton de l'œuvre, Terror est en réalité, avec Erebus, le nom de l'un des deux navires alors lancés à l'assaut du convoité passage du Nord-Ouest, qui relie l'Atlantique au Pacifique via l'Arctique. Sa traversée constituait un défi qui promettait de couronner de gloire les explorateurs qui y parviendraient les premiers... et les mène ici, par hubris, à faire fi de la prudence. Alors que l'hiver les prend de vitesse et les piège dans la glace, ils sont soumis à un terrible dilemme : tenter une longue et éreintante traversée à pied de la banquise, ou attendre l'été en espérant que sa chaleur libère les bateaux. Isolés en terre hostile en pleine nuit polaire, menacés de mutinerie, ils sont alors confrontés aux attaques d'un ours dont les proportions et la férocité n'ont rien de naturel.Il faut le dire : The Terror n'est pas des plus simples à aborder. Embarqués dans un périple maritime au XIXe siècle, nous sommes rapidement plongés dans un vocabulaire technique et toute une hiérarchie nautique que la série ne prend pas la peine d'expliciter. Ce parti pris laisse quelquefois sur la touche, mais on peut apprécier que les auteurs fassent confiance aux spectateurs pour s'imbiber de l'univers et saisir les enjeux qui se mettent en place. En définitive, cela se révèle payant en termes d'immersion, et donne même à l'œuvre des airs de Return of the Obra Dinn : un brillant jeu vidéo dont l'objectif est de reconstituer à partir de flash-backs le destin d'un équipage disparu dans de mystérieuses circonstances, et dont une bonne partie de la difficulté réside dans le fait de comprendre qui était qui à bord...
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Ce puzzle atteint néanmoins ses limites en ce qui concerne les personnages secondaires, dont certains ne font que passer une tête de loin en loin au fil des épisodes sans jamais être développés, si bien qu'il peut être difficile de les resituer dans les scènes où ils jouent un rôle-clé (le port de l'uniforme n'aidant pas !). A cet égard, on peut partiellement mettre en cause la nature d'adaptation de The Terror, le roman d'origine nourrissant une galerie de personnages sans doute un peu trop vaste pour être mise en scène efficacement dans une intrigue plus resserrée. Les capitaines des navires peuvent heureusement compter, pour qu'on les identifie rapidement, sur les visages d'acteurs connus qui savent incarner l'aura de charisme et d'autorité propre à leur fonction : Jared Harris, Ciarán Hinds et Tobias Menzies.Cependant, on peut surtout applaudir le développement du membre d'équipage qui se dessinera progressivement comme le principal antagoniste - au point que sa physionomie semble se teinter d'ignominie au fil du temps. Rarement aura-t-on vu individu devenir plus odieux, alors qu'il se mue en messie de cet immense sentiment de gâchis, inconfortable entre tous pour l'audience, lorsqu'un choix hasardeux ou, comme ici, purement mal intentionné vient mettre à bas tous les efforts accomplis en vue d'un dénouement favorable. C'est là l'un des grands thèmes de l'horreur : le surnaturel est en effet avant tout un prétexte pour faire ressortir le pire en chacun, et les obstacles qu'affrontent les protagonistes, loin d'être seulement physiques, constituent avant tout une mise à l'épreuve psychologique et morale.
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On regrette presque que la bête monstrueuse, laissée un temps de côté, revienne en force vers la fin de la série pour relancer les péripéties à l'occasion d'un deus ex machina (ou plutôt devrait-on dire un diabolus ex machina) un peu trop prévisible. Sans compter l'inévitable retombée de tension lorsqu'apparait enfin plus nettement cette créature jusqu'alors élusive, que l'on n'a pas pu s'empêcher d'attendre de voir de plus près tout en sachant pertinemment que sa révélation serait forcément déceptive. Non que les images de synthèse convoquées pour l'occasion soient déshonorantes, mais cet arc narratif n'est ni plus ni moins qu'un piège dramaturgique sans issue, qui pouvait difficilement déboucher sur une conclusion satisfaisante, et qui détone au regard de la qualité globale de l'écriture.Notons en effet que la deuxième moitié de l'œuvre, si elle peut sembler accuser une baisse de rythme, permet surtout d'explorer plus en profondeur la psyché des commandants et les thèmes qui s'y dissimulent. Il y a ainsi quelque chose d'intimement tragique chez ces hommes consumés par leur quête au péril de leur vie. Bien sûr, on peut y voir l'ego, l'orgueil, l'ivresse du prestige ; mais aussi une fêlure dans ce besoin qu'ils semblent avoir de (se) prouver leur valeur par des exploits toujours renouvelés. Habités d'un profond sens de la justice et de la fraternité forgé dans une longue adversité, ils existent dans un monde à part où la mer se fait complice de leur fuite en avant, et peut-être sur la terre ferme se sentiraient-ils comme le héros de Démineurs, incapables de retrouver leur place dans la société.
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La saison 1 de The Terror est de fait, en dépit du titre, bien moins une fable horrifique qu'un drame historique enrichi d'un ressort fantastique, et si ce dernier insuffle du rythme et permet de rendre l'ensemble moins austère, ce n'est pas en lui que paraît résider l'essence de la série. On pourrait ainsi presque mettre la créature entre parenthèses pour se concentrer sur les intrications de l'âme humaine, par lesquelles adviennent en définitive aussi bien les plus grands moments de noblesse que les pires actes d'infamie. Pour l'anecdote, il faudra attendre 1906 pour que le norvégien Roald Amundsen accomplisse la première traversée maritime du passage du Nord-Ouest, tandis que les épaves des véritables Erebus et Terror ne seront finalement retrouvées qu'en 2014, près de 170 ans après leur disparition.Lila Gleizes