Premier long métrage pour le réalisateur-scénariste Guillaume Bureau des années après son court-métrage "Sylvain Rivière" (2011). Et son retour si longtemps après n'est pas dénué d'ambition puisqu'il aborde le sujet tragique des survivants de la Grande Guerre, et alors que le plus souvent il s'agit des estropiés et des gueules cassées le cinéaste a choisi la dimension psychologique en racontant le retour d'un soldat indemne (presque) mais devenu complètement amnésique. Le cinéaste avoue s'être inspiré principalement de deux histoires vraies, celle dite de l'Amnésique de Collegno où en Italie deux femmes se sont battues pour un homme qui était donc soit un professeur respectable soit un typographe adultère, puis celle en France d'un soldat retrouvé sur un quai de gare, Anthelme Mangin (tout savoir ICI !) et dont la photo dans la presse a rameuté plusieurs épouses et familles...
Julien Delaunay a disparu sur un champ de bataille durant la Grande Guerre. Son épouse Julie n'y croit pas et espère toujours son retour. Quand la presse publie la photo d'un soldat devenu amnésique elle le reconnaît avec certitude. Ils se retrouvent, et si Julien est encore très perturbé, Julie croit en leur amour et ils tentent ainsi de reprendre une vie normale. Mais le bonheur n'a pas le temps de s'étoffer car une autre femme se présente comme son épouse et réclame son homme dont le nom ne serait donc pas Julien Delaunay... Le soldat amnésique est incarné par Karim Leklou vu récemment dans "Pour la France" (2022) de Rachid Hami et "Goutte d'Or" (2023) de Clément Cogitore, puis retrouve après "Un Prophète" (2009) de Jacques Audiard, "La Source des Femmes" (2011) de Radu Mihaileanu et "La Troisième Guerre" (2021) de Giovanni Aloi sa partenaire Leïla Bekhti alias son épouse "officielle" vue tout récemment dans "Je verrai Toujours vos Visages" (2023) de Jeanne Herry, tandis que la seconde épouse est jouée par Louise Bourgoin vue dans "L'Enfant Rêvé" (2021) de Raphaël Jacoulot et "la Montagne" (2022) de Thomas Salvador. Citons ensuite Jean-Charles Clichet vu dans "Un Peuple et son Roi" (2017) de Pierre Schoeller, "Présidents" (2021) de Anne Fontaine et "Les Amours d'Anaïs" (2021) de Charline Bourgeois-Tacquet... On ne peut s'imaginer les drames inhérents à la Grande Guerre, indirectement sur les années suivantes pour les familles. Rappelons qu'il y a eu rien qu'en France environ 300000 soldats disparus, autant de familles qui n'ont pu faire leur deuil, qui espèrent aussi sans doute un miracle, sans compter le poids des ans et du temps sur les souvenirs même des membres des familles restés à l'arrière du front. Le retour d'un amnésique pouvait aisément ouvrir des dossiers difficiles empreint d'espoir. En cela le film ne se place pas du côté des escroquerie à l'identité comme par exemple "Le Retour de Martin Guerre" (1982) de Daniel Vigne, ici les épouses sont certaines et sincères.
La première partie sonne comme un nouveau départ, Julie Delaunay/Bekhti est heureuse et prête à tout pour que son époux retrouve la mémoire tandis que lui se laisse peu à peu apprivoiser et même adopter. Le film prend son temps au début, on comprend les aléas administratifs mais aussi et surtout médicaux pour être sûr que le vétéran puisse retrouver son passé et sa vie d'avant. Quand la seconde épouse, Rose-Marie Brunet/Bourgoin effectue sa demande on comprend évidemment la détresse de Julie mais aussi toute la complexité autour des choix et diagnostics du médecin. On est touché par le vétéran, Julien ou Victor, le pauvre est forcément encore plus perdu qu'avant. Mais le scénario n'est pas assez flou ou ambigu... ATTENTION SPOILER !... les preuves de Rose-Marie paraissent beaucoup plus probantes et ainsi le jugement judiciaire paraît logique et attendu... FIN SPOILER !... mais par contre, on est plus déçu par la direction d'acteur ou l'écriture des personnages. Car si Julie/Bekhti est crédible, aimante et émouvante au point qu'on se dit que les sentiments ne peuvent pas mentir, Rose-Marie/Bourgoin paraît trop détaché, jamais vraiment amoureuse alors que ca ne semble pas vraiment la volonté du réalisateur. Dommage car ça retire trop d'ambiguité et donc trop de tension ou de suspense. Par contre le film montre bien que les preuves se focalisent sur la science ou l'enquête de police classique tout en occultant peut-être trop les sentiments ou ce qu'on nomme l'"intime conviction". Ce qui manque réellement au film c'est l'ampleur et la densité des enquêtes, car comment se fait-il que personne ne vient visiter le vétéran, infirmer ou confirmer les choix des deux épouses, où sont les proches, amis, familles qui l'ont connu avant ?! Cette absence de vie mondaine ou en communauté n'est pas vraisemblable et retire autant de dramaturgie que de crédibilité au récit. Heureusement, le sujet est passionnant, psychologiquement intéressant et la douceur, la détresse de Julie/Bekhti sauve le film de l'ennui. Note indulgente.
Note :
12/20