Le Bleu du Caftan (2023) de Maryam Touzani

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Second long métrage en tant que réalisatrice pour la marocaine Maryam Touzani après "Adam" (2019), co-écrit avec son conjoint Nabil Ayouch, réalisateur lui-même avec qui elle a co-écrit le remarqué "Much Loved" (2015) et jouée dans "Razzia" (2017). Rappelons que Nabil Ayouch est aussi le réalisateur de "Ali Zaoua Prince de la Rue" (2000) et "Les Chevaux de Dieu" (2012). Ce nouveau projet est né lors des repérages pour son précédent film où elle a rencontré un homme dans la médina de Salé qui tenait un salon de coiffure pour dame : "J'ai ressenti quelque chose de l'ordre du non-dit dans sa vie, quelque chose d'étouffé par rapport à qui il était dans son for intérieur, et qui il essayait d'être face au monde, dans un milieu très conservateur. Je me suis retrouvée à imaginer sa vie, car je n'ai jamais osé lui poser des questions personnelles, cela aurait été trop intime. Mais j'ai passé beaucoup de temps avec lui et il m'a profondément marquée." Le couple collabore donc pour la troisième fois, elle en tant que réalisatrice-scénariste et lui co-scénariste et producteur...

Halim est marié depuis des années à Mina, ils tiennent tous les deux une boutique traditionnelle de caftans dans la médina de Salé au Maroc. Le couple vit toujours dans secret de l'homosexualité de Halim, ce qui n'empêche pas un amour sincère entre eux deux. L'arrivée d'un jeune apprenti va réveiller de désirs enfouis alors que Mina va tomber malade. Le couple va voir leur vie bouleverser après tant d'années à se taire... Le couple est incarné par Saleh Bakri vu dans "Le Temps qu'il Reste" (2009° de Elia Suleiman, "La Source des Femmes" (2011) de Radu Mihaileanu, "My Zoe" (2019) de Julie Delpy ou "Costa Brava, Lebanon" (2021) de Mounia Aki, puis Lubna Azabal superbe actrice qui retrouve sa réalisatrice de "Adam" (2019) et vue entre autres dans "Viva Laldjérie" (2004) de Nadir Moknèche, "Incendies" (2010) de Denis Villeneuve, "Rebel" (2022) de Adil El Arbi et Bilall Fallah et "Simone, le Voyage du Siècle" (2022) de Olivier Dahan. Le jeune apprenti est joué par Ayoub Missioui dans sa première apparition à l'écran. Citons ensuite Abdelhamid Zoughi qui retrouve le couple cinéaste après "Razzia" (2017), puis enfin citons Zakaria Atifi qui retrouve Nabil Ayouch après "Mektoub" (1997), qui retrouve aussi Lubna Azabal après "Mensonges d'Etat" (2008) de Ridley Scott et vu dernièrement dans "Apatride" (2018) de Narjiss Nejjar... Notons que le tournage fût particulièrement éprouvant pour l'actrice Lubna Azabal, car alors que Mina son personnage est mourant elle perdait son père qui est mort le dernier jour du tournage... On remarque dès les premières minutes que la réalisatrice veut prendre le temps de son histoire, le rythme se fait lancinant avec une caméra qui aime les plans rapprochés pour tenter de faire ressentir les tissus, les matières mais aussi les couleurs. Le film se veut ainsi sensoriel (le toucher surtout) et le contemplatif (les couleurs les reliefs). Par moment on pense à l'anti-thèse de "Phantom Thread" (2018) de Paul Thomas Anderson, à la sophistication britannique on a la sensualité maghrébine, aux convenances d'une couple classique sans amour on a un couple singulier mais plein d'amour et de respect, à un homme public et adulé on a un homme dans le secret au risque d'être maudit.

On est particulièrement touché par cet amour conjugal empreint de respect qui vit dans un secret digne huis clos feutré. Mais entre la caméra qui s'attarde sur les détails de l'art du caftan et les amours clandestines de la maison on peut regretter que la ville de bord de mer soit si occultée, comme si l'autarcie pouvait suffir mais ça manque alors un peu de vie en société pour comprendre et ressentir le malaise ou les non-dits de façon plus pregnante. On y pense surtout quand la maladie de Mina/Azabal prend beaucoup d'importance, voir trop ou plutôt on se dit que peut-être le récit aurait pu être autrement. En effet, le cancer vampirise un peu l'histoire avec un pathos appuyé, un trop plein larmoyant qu'on accepte aussi grâce à la performance de Lubna Azabal. Par contre on aime ce parallèle à contre-courant, alors que la mort s'invite, le trio forme une relation bientôt apaisée qui se matérialise par le travail sur la lumière, le film se retrouvant de plus en plus lumineux comme un message d'espoir. Le cancer est un élément trop dramatique, trop total pour accompagner l'histoire de Halim/Bakri, dont le secret méritait sans doute une place plus centrale. Néanmoins, ça reste un très joli film, tendre, émouvant, humain avec un visuel  qui ne manque pas de poésie. 

Note :      

14/20