Premier film d'une trilogie thématique réalisée par le polonais Krzyszrof Kieslowski, à qui on doit des films "Le Personnel" (1975), "Une Courte Journée de Travail" (1981) ou "La Double Vie de Véronique" (1991). Le cinéaste a construit son projet autour des trois couleurs du drapeau français qu'il renvoie à la devise "Liberté, Egalité, Fraternité". Ainsi, le premier film "Trois Couleurs : Bleu" pour Liberté, "Trois Couleurs" : Blanc" pour Egalité et "Trois Couleurs : Rouge" pour Fraternité. Le cinéaste avait déjà créée une oeuvre à la construction similaire avec les 10 Commandements en 10 téléfilms avec "Le Décalogue" (1988) où il abordait ses sujets/ commandements avec ambiguité et ironie. Les trois films sont indépendants les uns des autres mais certains détails créent un lien intangible. Le réalisateur-scénariste co-signe le scénario des trois films avec Krzysztof Piesiewicz avec qui il collabore sur tous ses films depuis "Sans Fin" (1985), et sur ce premier film de la trilogie ils travaillent avec la collaboration de Agnieszka Holland, réalisatrice de "Europa Europa" (1990) et plus tard de "Rimbaud Verlaine" (1995) et "Washington Square" (1997), Edward Zebrowski qui a signé "Les Possédés" (1988) de Andrzej Wajda, puis Slawomir Idziak collaborateur régulier de Kieslowski depuis "La Cicatrice" (1976) mais essentiellement sous sa casquette de Directeur Photo et logiquement sur "Trois Couleurs : Bleu". Le film reçoit un accueil chaleureux et est le premier succès international du réalisateur avec en prime un Lion d'Or à la Mostra de Venise... Julie a perdu son enfant et son mari, un grand compositeur, dans un accident de voiture. Depuis elle continue sa vie mais dans une solitude anonyme et indépendante. Pourtant Olivier, assistant de son époux et amoureux d'elle, tente de la sortir de son isolement, tandis qu'il termine le Concerto pour l'Europe, oeuvre inachevé du mari défunt...
La veuve Julie est incarnée par Juliette Binoche vue juste avant dans "Les Amants du Pont-Neuf" (1991) de Leos Carax et "Fatale" (1992) de Louis Malle. Olivier est interprété par Benoît Régent vu entre autre dans "Stella" (1983) de Laurent Heyneman ou "La Bande des Quatre" (1988) de Jacques Rivette. Citons Florence Pernel vue dans "Allons Z'Enfants" (1981) de Yves Boisset ou "Il y a des Jours... et des Lunes" (1990) de Claude Lelouch, Emmanuelle Riva révélée par les films "Hiroshima mon Amour" (1959) de Alain Resnais, "Kapo" (1961) de Gillo Pontecorvo et "Léon Morin Prêtre" (1961) de Jean-Pierre Melville, Charlotte Véry vue dans "L'Union Sacrée" (1989) de Alexandre Arcady et "Conte d'Hiver" (1992) de Eric Rohmer, Hélène Vincent vue dans "La Vie est un Long Fleuve Tranquille" (1987) de Etienne Chatiliez ou "J'Embrasse Pas" (1991) de André Téchiné et elle retrouvera plus tard dans "Quelques Heures de Printemps" (2012) de Stephane Brizé sa partenaire Florence Vignon qui sera une actrice récurrente chez ce réalisateur dès "Le Bleu des Villes" (1999), Isabelle Sadoyan vue par exemple dans "Monsieur Klein" (1975) de Joseph Losey ou "Le Retour de Martin Guerre" (1981) de Daniel Vigne, mais aussi "Subway" (1984) de Luc Besson après lequel il retrouve Benoît Régent, puis retrouve également après "L'Adolescente" (1978) de Jeanne Moreau l'acteur Hugues Quester vu aussi dans "Je t'Aime, Moi non Plus" (1975) de Serge Gainsbourg ou "Conte de Printemps" (1989) de Eric Rohmer, Zbigniew Zamachowski acteur polonais star en son pays qui retrouvera dans le film suivant "Trois Couleurs : Blanc" (2004) sa partenaire Julie Delpy qui retrouve Juliette Binoche après "Mauvais Sang" (1986) de Leos Carax, qui retrouvera Emmanuelle Riva dans son propre film "Le Skylab" (2011) et qui retrouve après "La Passion Béatrice" (1987) de Jean-Luc Godard l'acteur Claude Duneton vu dans "37°2 le Matin" (1986) de Jean-Jacques Beineix, et qui retrouve de son côté après "La Double Vie de Véronique" (1991) le réalisateur et l'acteur Philippe Volter aperçu dans "Cyrano de Bergerac" (1990) de Jean-Paul Rappeneau, Yann Trégouët futur acteur fétiche de Robert Guédiguian de "La Ville Tranquille" (2000) à "Gloria Mundi" (2019), puis enfin n'oublions une certaine Julie Gayet, débutante et inconnue avec deux premières apparitions la même année avec "La Petite Apocalypse" (1993) de Costa Gravas... Le thème du Bleu est donc la Liberté, que le cinéaste va aborder de façon plutôt inattendue par la mort. Ainsi, le Bleu débute par le deuil, puis va amener à l'importance de la mémoire. Une jeune femme perd tout en un instant, le choc est rude mais Julie/Binoche ne va pas réagir comme la majorité des gens et va décontenancer ceux qui restent, ceux qui la croisent par une attitude presque détachée jusqu'à faire pleurer à sa place ("Pourquoi pleurez-vous ? - Je pleure parce que vous ne pleurez pas.").
La Liberté commence là, par choisir son deuil. Mais pourtant on a l'impression que c'est plutôt à l'insu de son plein gré, ce deuil "égoïste" n'est pas un choix, il s'impose de lui-même du moins au début. D'ailleurs elle semble s'en rendre compte, car elle choisit à un moment précis ce qu'elle va faire et comment elle va agir : "Maintenant j'ai compris, je ne ferai plus qu'une chose : rien. Je ne veux plus de possession, plus de souvenirs, d'amis, d'amour, ou d'attaches : tout ça sont des pièges." La jeune veuve veut effacer son passé et donc une partie de sa mémoire ce qui fait douloureusement écho à sa mère qui souffre d'Alzheimer. Mort, deuil, perte de la mémoire, et Liberté mais dont le chemin est bien sinueux symbolisé donc par le Bleu une couleur souvent associé à l'apaisement, la confiance ou la vérité. Kielowski sème son film d'une multitude de symboles finalement pas toujours très subtils, mais surtout le réalisateur y ajoute une mise en scène tout aussi inspirée, ou pas, plutôt maniérée peut-être ?! En effet, les symboles constants et omniprésents à l'image et sur le fond s'ajoute à une mise en scène très riches formellement ; on pense évidemment au plafonnier à pierres bleues et surtout ses reflets, au bleu de la piscine... bref au bleu... Mais aussi au hors champ, où comment un bruit précède l'explication en visuel, les longs plans silencieux entrecoupés d'intermèdes musicaux... Mais on constate vite que tous ces symboles, tous ces concepts se bousculent pour en faire une oeuvre trop calculée, trop sophistiquée, et finalement trop nombriliste. Le soucis c'est que ça empêche tout souffle lyrique, toute émotion ce qui est un comble vu le sujet et les thèmes abordés. La musique est sans doute le plus décevant, une musique pompeuse et simpliste ou du moins qui se résume à quelques notes redondantes. Juliette Binoche est assurément l'atout du film. Elle incarne à merveille ce deuil "détaché", qui oscille constamment entre les nuances de son personnage et donc les étapes du deuil qui ont ici une singularité perturbante. Un film boursouflé froid et donc surestimé, à vouloir trop en mettre le réalisateur a omis la chair et l'âme, ce qui n'empêche pas quelques instants de grâce, d'un propos plein d'acuité, le tout porté par l'actrice idéale.
Note :