Premier long métrage de fiction pour Anissa Bonnefont qui a tout de même choisi un projet qui reste dans une approche qu'elle connaît bien puisqu'elle a auparavant signé les documentaires "Wonder Boy, Olivier Rousteing, né sous X" (2019) sur le destin du directeur artistique de Balmain et "Nadia" (2019) migrante afghane orpheline de père tué par les Talibans et qui est devenue footballeuse professionnelle. À l'origine c'est un dîner avec le producteur Clément Miserez qui lui propose d'adapter un livre pour le grand écran : "La Maison" (2019) de Emma Becker, journaliste qui est devenue prostituée dans les maisons closes allemandes durant deux années. La cinéaste précise : "Or, plusieurs réalisateurs -uniquement des hommes - étaient déjà sur les rangs pour signer l'adaptation et, malheureusement pour moi, l'un d'entre eux avaient convaincu Emma Becker de lui céder les droits. J'étais extrêmement déçue mais j'avais la sensation intime que l'histoire n'allait pas s'arrêter là ! Six mois plus tard, grâce à mon agent Christelle Graillot, j'ai appris que les droits de La Maison étaient à nouveau libres. Et Emma a voulu que ce soit moi. Et le fait que ce soit un regard de femme réalisatrice, qui plus est documentariste avec, de ce fait, un rapport privilégié au réel a été déterminant dans son choix." La réalisatrice-scénariste co-écrit le scénario avec Diastème, réalisateur entre autre de "Juillet Août" (2016) et "Le Monde d'Hier" (2022). Elle explique : "Nous avons écrit une dizaine de versions du scénario, mais la première était une traduction trop littérale du livre. Je me suis rendu compte peu à peu qu'il fallait s'en éloigner car l'ouvrage n'a pas de structure dramaturgie à proprement parler." La cinéaste, outre le livre, s'est aussi beaucoup documenté, entre visite de maisons closes berlinoises, séance SM et discussion avec le STRASS le Syndicat du Travail Sexuel...
Emma, déjà autrice de deux romans, décide après une rupture amoureuse de partir à Berlin puis décide d'infiltrer le milieu de la prostitution en maison close pour nourrir son prochain roman. Pour comprendre tous les aspects elle décide de devenir elle-même prostituée d'abord pour une année, puis elle comprend que ce travail en apprend beaucoup sur elle-même, puis c'est aussi "un super compromis puisque j'étais payée pour écrire mon prochain livre."... Emma Becker est incarnée par Ana Girardot vue récemment dans "5ème Set" (2021) de Quentin Reynaud, "Des Feux dans la Nuit" (2022) de Dominique Lienhard et "Ogre" (2022) de Arnaud Malherbe. Elle est entourée par Aure Atika vue dans "10 Jours sans Maman" (2020) de Ludovic Bernard, "Voir le Jour" (2020) de Marion Laine et "Rose" (2021) de Aurélie Saada, l'inénarrable muse de Pedro Almodovar Rossy De Palma vue aussi dans "L'Homme qui tua Don Quichotte" (2018) de Terry Gilliam, "Une Sirène à Paris" (2020) de Mathias Malzieu ou "Mystère à Saint-Tropez" (2021) de Nicolas Benichou, Gina Jimenez fille de ayant justement débuté dans Gina Jimenez "Aux Yeux de Tous" (2012) de Cédric Jimenez vue depuis dans "Fratè" (2022) de Karole Rocher et Barbara Biancardini et retrouvant l'univers de la prostitution après "Madame Claude" (2021) de Sylvie Verheyde à l'isntar de son partenaire Philippe Rebbot vu récemment dans "Trois Fois Rien" (2022) de Nadège Loiseau, "Les Goûts et les Couleurs" (2022) de Michel Leclerc et "Pétaouchnok" (2022) de Edouard Deluc. Citons encore Yannick Renier vu dans "Goliath" (2022) de Frédéric Tellier et "L'Ecole est à Nous" (2022) de Alexandre Castagnetti, Lucas Englander aperçu dans "Les Apparences" (2019) de Marc Fitoussi et "Les Animaux Fantastiques : les Secrets de Dumbledore" (2022) de David Yates, puis n'oublions pas Nikita Bellucci star porno pour sa première apparition dans un film "classique"... Rappelons que l'autrice Emma Becker a déclaré que son livre était une "autofiction de chronique documentaire qui émane d'un projet littéraire" où elle décrit le "désir masculin sous toutes ses formes avec un regard féminin sur la détresse sexuelle masculine". Une vision des choses qui n'est pas anodine puisque ça démontre que l'autrice voulait se pencher avant tout sur les hommes et leur relation au sexe plutôt que sur les prostituées elles-mêmes. Mais on constate que la réalisatrice Anissa Bonnefont inverse un tantinet cette angle de vue pour se focaliser plutôt sur le travail de péripatéticienne en maison close.
Ainsi, les hommes sont résumés à des clients plus ou moins sympathiques, regroupés en une multitude de mini-scénettes qui offrent un panel très classique des passes. À elles seules ce melting-pot des passes prennent aisément un tiers du film, comme pour combler un scénario qui manque finalement de densité. On aime que Emma soit une femme moderne et libre qui s'assume, on aime l'hommage à ses travailleuses du sexe sans tomber dans le pathos, on aime la mise en scène qui distingue subtilement le bordel du privé (steadicam dans la maison, caméra à l'épaule hors du travail), on savoure la jolie scène d'amour dans le parc mais on est aussi dans un film qui reste trop engoncé dans le glauque ce qui va à l'encontre de ce que raconte le personnage Emma, il manque un peu d'humour ou de légèreté, tandis que seule la séquence du parc offre une once de poésie. Enfin la réalisatrice a précisé : "Je pense que l'on peut montrer beaucoup, et faire passer énormément d'émotion, même à travers la sexualité, sans être obligé d'être trop crue. Il fallait répondre à la promesse sulfureuse de cette histoire en essayant de ne jamais verser dans la vulgarité..." Le soucis est que la vulgarité sera perçue par certain, et surtout que le glauque ambiant empêche souvent toute émotion. Emma travaille trop mécaniquement (alors qu'elle a plus ou moins aimé son travail), tandis qu'on ne la voit pas assez écrire et gérer sa double vie. Au final le film prend trop le contre pied du livre sur la vision de ces deux années, on sent que la cinéaste n'a pas souhaité assumer l'expérience de Emma Becker ce qui est dommageable et, surtout, il manque une finesse ou une certaine subtilité, voir un peu de joie ou d'un réel point de vue ce qui fait que ce film n'est pas à la hauteur de son sujet. Conseillons donc plutôt l'élégance de "Belle de Jour" (1967) de Luis Bunuel, l'immersion en costume de 'L'Apollonide - Souvenirs de la Maison Close" (2011) de Bertrand Bonello, le vice de "Sleeping Beauty" (2011) de Julia Leigh, la survie en milieu hostile dans "Much Loved" (2015) de Nabil Ayouch, le côté ouvrière de "Filles de Joie" (2020) de Frédéric Fonteyne et Anne Paulicevich ou du plus récent "Une Femme du Monde" (2021) de Cécile Ducrocq.
Note :
10/20