Après "Avant de t'Aimer" (1949), sa première réalisation après avoir remplacé au pied levé Elmer Clifton réalisateur mort prématurément, Ida Lupino a pris goût et enchaîne aussitôt avec une autre histoire et avec une partie de son équipe précédente. Désormais productrice-réalisatrice-scénariste elle choisit une nouvelle fois un sujet singulier et rare, à savoir la poliomyélite. Un sujet qui lui tient particulièrement à coeur puisque l'artiste en a souffert en 1934 et s'est servie de son expérience pour écrire son scénario en collaboration avec son époux Collier Young. Film d'auteur et indépendant, le couple réunit un budget de 151 000 dollars sans l'aide de grands studios et en gardant toute son indépendance artistique. L'idée de raconter son histoire a sans doute été éveillée par un article du magazine Variety qui rappelait un record de cas de polio jamais atteint en cette même année 1949. Outre la polio, Ida Lupino se cassera la cheville durant le tournage, l'obligeant à poursuivre en fauteuil roulant... Carol est une jeune danseuse qui rêve de faire arrière aux côtés de son partenaire et fiancé. Mais soudain elle fait une crise de poliomyélite qui la déstabilise complètement. Elle doit renoncer à son métier et passion, mais surtout elle se sent infirme et inutile et fait tout pour que son fiancé Guy poursuive en tant que danseur, et donc sans elle...
Dans les deux rôles principaux, Ida Lupino retrouve ses deux acteurs de son film précédent "Avant de t'Aimer" (1949), Sally Forrest qui a entre temps tourné "Le Mystérieux Docteur Korvo" (1949) de Otto Preminger et "Chanson dans la Nuit" (1949) de Irving Reis dans des apparitions non créditées comme à ses débuts, elle retrouve donc son partenaire Keefe Brasselle qui tournera ensuite "Le Droit de Tuer" (1951) de Richard Thorpe et "Une Place au Soleil" (1951) de George Stevens. Les deux acteurs retrouvent aussi la soeur de leur réalisatrice, Rita Lupino, ainsi que Lawrence Dobkin qui était aussi dans "Le Mystérieux Docteur Korvo" (1949) et "Un Homme de Fer" (1949) de Henry King. Citons ensuite Hugh O'Brian vu dans "Captif en Mer" (1948) de William Beaudine, puis ensuite dans de nombreux westerns jusqu'à "Le Dernier des Géants" (1976) de Don Siegel en passant par "La Vallée de la Vengeance" (1952) de Richard Thorpe ou "La Lance Brisée" (1954) de Edward Dmytryk, Eve Miller vue dans "Embrassons-Nous" (1947) de Lloyd Bacon, "La Garce" (1949) de King Vidor et "La Vallée des Géants" (1952) de Felix Feist, Herbert Butterfield à ses débuts avant de jouer dans "La Maison sur la Colline" (1951) de Robert Wise ou "Le Bouclier du Crime" (1954) de Howard W. Kock et Edmond O'Brien, et enfin John Franco qui ne tournera qu'un second film avec le très bon "Traquenard" (1958) de Nicholas Ray... Avec ce film la réalisatrice-scénariste accentue nettement le côté naturaliste de son style. L'ouverture composée d'un spectacle de danse permet de percevoir que Carol /Forrest est au sommet de sa beauté et de son art qui permet une fracture forte avec sa crise de polio. On suit donc deux paramètres en parallèle dans la maladie, le parcours "physique" de soin, d'exercice, de rééducation pour tenter de retrouver l'usage de ses jambes, puis le parcours "psychologique" où l'ex-danseuse doit apprendre à vivre avec sa maladie, à s'accepter et à accepter l'amour et/ou le soutien des autres.
Ida Lupino a mis toute son expérience personnelle pour écrire son personnage de Carol. La cinéaste pousse le réalisme jusqu'à tourner dans un vrai centre médical avec des figurants assurés qui sont de vrais patients. Avec ce film Ida Lupino fait montre une fois de plus d'une modernité unique, d'abord par son sujet mais aussi en montrant des choses inédites comme les séances de rééducations, la danse en fauteuil roulant sans compter les réflexions sur l'handicap et l'acceptation de soi. Sur tous ces points le film est clairement en avance sur son temps. Le réalité des soins et la justesse des émotions dans le parcours de Carol/Forrest est d'une qualité certaine, et surtout sans tomber dans le pathos facile, sans édulcorer également les conséquences physiques mais aussi vis à vis de son entourage. Avec ce film Ida Lupino affine son style, et façonne ce qui va être une des carrières les plus cohérentes et les plus atypiques des années 50.
Note :
15/20