[CRITIQUE] : Amel et les fauves

[CRITIQUE] : Amel et les fauves
Réalisateur : Mehdi Hmili
Avec : Afef Ben Mahmoud, Zeineb Sawen, Iheb Bouyahia, …
Distributeur : La Vingt Cinquième Heure
Budget : -
Genre : Drame, Thriller
Nationalité : Tunisien, Luxembourgeois, Français
Durée : 2h02min
Synopsis :
Amel est ouvrière dans une usine à Tunis. Son patron la met en relation avec un homme d’affaires qui peut permettre à son fils d'intégrer le club de foot local. Profitant de la situation, l'homme tente d’abuser d’elle. La police les surprend mais c'est Amel qui est finalement déclarée coupable d’attentat à la pudeur et d’adultère. A sa sortie de prison, elle part à la recherche de son fils dans les soirées underground de Tunis, peuplées de prédateurs et d’une jeunesse en quête de liberté.
Critique :

Si sombre qu’il bascule presque dans le thriller, #AmelEtLesFauves souffre parfois de sa lourdeur narrative. Reste une impeccable Afef Ben Mahmoud, pilier du film grâce à son regard où se niche toute la puissance et les tourments de son personnage. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/F1oMb7NxcL

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) April 22, 2023

En Tunisie, l’adultère est puni par la loi et prévoit cinq ans d’emprisonnement, six mois si le ou la conjoint⋅e abandonne toutes charges. Sur le papier, cela concerne homme et femme mais il semblerait que la loi soit devenue un outil de plus dans la domination patriarcale. C’est ce que nous montrait déjà Noura Rêve réalisé par Hind Boujemaa et sorti dans nos salles en 2019. Dans le nouveau film de Mehdi Hmili, Amel et les fauves, le réalisateur fait un portrait sans détour de la Tunisie post révolution du jasmin, entre corruption policière, misogynie, crise économique et crise morale. Drame social, le film est aussi un drame intimiste, en partie autobiographique. Un carton en début de film nous l’apprend : « Avec ma mère, nous avons vécu dans la honte et souffert dans la peur. Mais plus jamais maintenant. Ce film, c'est notre histoire ».

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Copyright La Vingt Cinquième Heure


Streams, son titre original, évoque une sorte de torrent que rien ne pourrait arrêter. C’est ce qui arrive à Amel et sa famille imparfaite, à l’équilibre fragile. Si le père est quasi absent, rentre souvent saoul et perd son argent dans des paris sportifs, la mère et le fils s’entraident, s’aiment. En quelques plans, Mehdi Hmili caractérise ses personnages et implante leur environnement. Amel et le travail domestique. Le père et ses manquements dans son rôle de chef de famille. Moumen et son rêve. Devenir footballeur professionnel pourrait le propulser loin de sa condition actuelle. Une chose qu’Amel souhaiterait offrir à son fils, coûte que coûte. Les trois pôles de la famille nucléaire, père, mère, fils, volent en éclat le jour où Amel est arrêtée par la police en compagnie d’un ami de son patron. Celui-ci, en position de pouvoir, a essayé de profiter de la situation pour abuser sexuellement d’Amel alors qu’elle lui demandait d’intégrer Moumen dans un club de foot. Grâce à quelques mensonges et son statut d’homme d'affaires riche, il s’en sort indemne. Amel, quant à elle, est emprisonnée pour attentat à la pudeur et pis encore, pour adultère. Le pilier familial parti (Amel), Moumen et son père dérivent (continuons avec la métaphore du torrent). Le premier quitte la maison, quitte le foot et intègre la jeunesse de la rue, queer et laissée pour compte. Le père, lui, disparaît.
Quand Amel revient, six mois plus tard, il lui faut tout reconstruire. Hélas, peu de solutions s'offrent à elle. Soit rentrer dans le giron familial et perdre ainsi sa liberté, soit faire face aux jugements d’une société réfractaire à aider une femme jugée pour mœurs. Amel et les fauves creuse le système corrompu par l’hypocrisie à propos des femmes et de leur sexualité. Mehdi Hmili ne fait pas dans la dentelle. Tout est sombre, sale. La mise en scène ne tient pas en place. Le cadre est toujours en mouvement grâce à la caméra portée au plus proche d’eux pour mieux sentir leur désarroi et nous emporter dans un drame pur jus.

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Dans cette sensation de lourdeur continuelle, quelques séquences viennent illuminer le récit, comme une scène de danse sensuelle où Amel et son amie jouent de leur corps en faisant fi des regards masculins. Un rare moment de liberté où le corps d’Amel lui appartient de nouveau, où elle laisse libre court à son désir de plaire, son désir de se mouvoir, où elle ne doit pas jouer le jeu des hommes. Car les fauves du titre sont bel et bien les hommes. Que se soit pour Amel ou pour Moumen, qui se prostitue, les personnages sont les premières victimes des hommes, qui sont le cœur d’une société fracturée par les manquements sociaux. Les promesses lors de la (jeune) révolution hantent le film lorsque la violence referme ses griffes sur les personnages. Le milieu interlope de la nuit, censée être le terreau d’une liberté marginale face aux carcans sociaux, n'est qu’une nouvelle façon d’enfermer les corps et les esprits. Bien qu’il fasse la fête, bien qu’il se drogue à l’envie, Moumen n’est pas libre. C’est peut-être cette illusion qui lui est fatale.
Si sombre qu’il bascule presque dans le thriller, Amel et les fauves souffre parfois de sa lourdeur narrative. Les personnages s’enfoncent dans la violence, presque sans espoir de retour. Reste une impeccable Afef Ben Mahmoud, pilier du film grâce à son regard où se niche toute la puissance et les tourments de son personnage.
Laura Enjolvy
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