Burning Days (2023) de Emin Alper

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Nouveau film du réalisateur turque Emin Alper remarqué pour son excellent "Derrière la Colline" (2012), puis ont suivi "Frenzy" (2015) et "Les Soeurs" (2019). Pour son projet il est partie d'une idée de base qui reposait sur un idéaliste solitaire en lutte contre des élites corrompues. Il précise : "On peut toujours avoir le courage et l'envie de se battre contre des politiciens corrompus et autoritaires, mais quand on voit que ces gens sont populaires et qu'ils sont réélus par le peuple encore et encore, on se sent désespéré, et isolé. Et puis, après un certain temps, on sent que l'on doit surmonter de dépression et recommencer à se battre, jusqu'au prochain échec. Ces dernières années, nous avons été pris dans un cercle vicieux de ce genre. Non seulement mon pays, mais plusieurs autres connaissent des expériences similaires. J'ai donc décidé d'écrire une histoire pour dépeindre ce cas presque universel et transmettre la solitude des gens qui sont consternés par la montée des populismes autoritaires." Le cinéaste avoue s'être aussi inspiré du livre "Un Ennemi du Peuple" (1883) de Henrik Ibsen, et qu'il a choisi comme sujet de fond la pénurie d'eau qui devient de plus en plus problématique en Turquie. A sa sortie, en Turquie, le film a fait scandale pour une partie qui suggère une relation homosexuelle, suite à quoi le ministère de la Culture a exigé le remboursement des aides accordées sous prétexte que le scénario ne mentionnait pas d'"homoérotisme"... 

Emre, un jeune procureur déterminé et incorruptible, vient d'être nommé dans une petite ville reculée. A peine arrivé il se heurte aux notables locaux qui semblent bien décidés à défendre leurs positions et leurs privilèges. Le jeune procureur va vite constaté que le ville est gangrénée par la corruption tandis que l'eau vient à manquer. Mais son travail vient à devenir secondaire quand il se retrouve mêlé à un viol... Le procureur est incarné par Selahattin Pasali remarqué dans la série TV "Love 101" (2021-...) et vu dans le film "Minuit au Pera Palace" (2022) de Emre Sahin. Citons ensuite Ekin Koc vu dans "Ali and Nino" (2016) de Asif Kapadia ou "Anatolia" (2021) de Ferit Karahan, Selin Yeninci vu dans "Olur Olur" (2016) de Kerem Cakiroglu et "Nasipse Adayiz" (2020) de Ercan Kesal, Erol Babaoglu vu surtout dans "Araf Quelque Part entre Deux" (2014) de Yesim Ustaoglu, Erdem Senocak vu essentiellement à la télévision mais vu entre autre dans "Passed by Censor" (2020) de Serhat Karaaslan, Halice Asian vue dans "Les Trois Singes" (2008) de Nuri Bilge Ceylan et "Eastern Plays" (2009) de Kamen Kalev, Eylul Ersöz surtout connu pour des séries TV turques, Ali Seckiner Alici vu dans "Parole Donnée" (2019) de Liker Catak ou "Les Chants du Coeur" (2022) de Soner Caner, Sinan Demirer vu dans "Les Promesses d'Hasan" (2022) de Semih Kaplanoglu puis l'acteur Nizam Namidar vu dans "Evet je le Veux" (2008) de Sinan Akkus et "Shahada" (2010) de Burhan Qurbani... Un thriller politique dont l'ambition est à saluer, autant sur la forme que sur le fond avec ce jeune procureur qu'on lance dans un secteur reculé de la Turquie bien loin de son quotidien de bourgeois citadin. Le jeune magistrat est ambitieux, professionnel et se veut donc incorruptible et honnête mais c'est sans compter le poids des traditions provinciales et du pouvoir des notables dont l'éloignement des institutions gouvernementales permet une certaine autonomie.

Clairement, le film lorgne sur le président Erdogan et sa politique discutable, et dénonce par là même la corruption des élites. Le premier quart d'heure instaure une atmosphère pesante et inquiétante voir même malsaine où le procureur tente d'imposer son style et ses intentions dans des décors digne d'un western, entre la ville et les paysages désertiques tourné dans le secteur du mont Erciyes et de la ville de Kayseri. La grande affaire de la ville concerne des éboulements et la pénurie d'eau sur fond d'élection politique mais pourtant le réalisateur va préférer se focaliser sur une autre intrigue de viol. Le film devient alors un thriller assez classique sur l'enquête du viol reléguant la dimension politico-sociale en second plan. La césure, le rebondissement est une scène de repas qui est à la fois l'une des plus réussies du film et celle qui paraît un peu plausible. Niveau malaise, inquiétude, cette scène impose un climax qui nous dit que rien ne sera anodin durant ce dîner qui s'éternise. Mais le procureur nous est montré plutôt comme un homme droit, solide et professionnel ce qui ne correspond en rien à ce qu'on voit de lui dès le début de ce repas. Pas très cohérent. C'est à partir de ce passage que le récit va se focaliser sur l'affaire du viol, le procureur va s'y atteler tandis que les éboulements, ou la pénurie d'eau devient complètement accessoire. Dommage. Ainsi la métaphore anti-politique d'Ergogan perd de sa puissance et de son acuité. Mais a contrario, la dimension Film Noir et thriller est diablement efficace jusqu'à cette fin allégorique. Malgré un côté bancal (équilibre entre politique et crime), ça reste un film prenant, qui monte en tension de façon méthodique et un récit très efficace. 

Note :                 

14/20