[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #142. Double Team

Par Fuckcinephiles

© 1997 - Columbia Pictures / Mandalay Entertainment


Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !



#142. Double Team de Tsui Hark (1997)
Si aujourd'hui, la bienpensante culture populaire francophone s'amuse injustement - et le mot est faible -, à faire du karateka belge un bouffon usant avec justesse aussi bien d'un franglais férocement approximatif, que d'une philosophie de contoir empoudré à la péruvienne (même s'il n'y touche plus vraiment depuis des années), gageons qu'au tout début des 90's, JCVD était un héros du cinéma d'action, un vrai, un grand bonhomme dont on fumait les VHS avec un enthousiasme et une passion jamais feinte.
Un ami de la famille, que l'on admirait sans réserve et que l'on défendait coûte que coûte, même dans des péloches qui ne méritait justement pas, une quelconque défense de la part de cinéphiles en herbes.

© 1997 - Columbia Pictures / Mandalay Entertainment


Si c'est sensiblement à l'aube de la seconde moitié de la décennie que les choses ont commencés à se gâter - aussi bien sur qu'en dehors des plateaux -, toutes ses péloches post-Bloodsport/Kickboxer ont une saveur toute particulière, de celles d'un acteur totalement conscient qu'il devrait enchaîner les coups de tatanes, pour marquer les esprits et perdurer dans un business qui a bouffé plus talentueux que lui sans le moindre remords.
Pas forcément fait de ce bois, à la différence d'un Timecop où d'un Cavale sans Issue, Double Team, pour lequel il a rameuté ce bon vieux Tsui Hark de l'autre côté de l'Atlantique, est de ces petites pépites déglinguées comme on en fait plus tant elle s'amuse savamment à ne jamais suivre la voie conventionnelle et familière de l'actionner/buddy movie US, en jouant la carte d'un gros délire déglingué et décomplexé entre le mélodrame soap-esque, le thriller d'espionnage et la folie pure HK, comme si le cinéaste profitait de son passage à Hollywood pour totalement lâcher la rambarde et tout donner - à tous les niveaux - tout en faisant exactement ce pourquoi il est devenu l'un des meilleurs cinéastes de son temps : déconstruires les codes des genres pour mieux se les réapproprier dans un chaos (dés)organisé souvent mémorable.
Après tout, pas aidé par un JCVD aux narines déjà bien poudrées ni par un Dennis Rodman en mode fashion victim férocement excessif et n'ayant aucun talent d'acteur (sans oublier un Mickey Rourke abîmé par la boxe), le bonhomme n'a aucune raison de ne pas s'éclater comme un gamin dans une sorte de relecture barrée du Prisonnier, une put*** de bisserie devergondée où le karatéka belge se fait un agent Bondien qui dessoude du vilain comme son ombre autant qu'il se tape - littéralement - sa baignoire pour s'entraîner.

© 1997 - Columbia Pictures / Mandalay Entertainment


On y suit les atermoiements de Jack Quinn, un super-agent anti-terroriste de la CIA chargé d'éliminer le diabolique terroriste Stavros, que l'on peut voir comme le double " maléfique " de Quinn.
Mais alors qu'il est en passe de mettre la main dessus dans un parc d'attraction en Allemagne, les choses tournent mal et le petit garçon de Stavros est tué dans la bataille (un parallèle troublant avec le Volte/Face de Woo, sorti la même année et jouant plus franchement avec la notion de double/dualité).
Laissé pour mort et en guise de punition, Quinn se retrouve emprisonné à The Colony, une sorte de Club Med pour ex-agents secrets qui ne peuvent plus rester sur le terrain, mais dont le savoir reste encore trop utile pour être tués.
Là-bas, lui et d'autres agents présumés morts aident les dirigeants mondiaux à faire face à l'équilibre (in)constant des pouvoirs depuis la chute du bloc communiste.
Mais pas vraiment à l'aise dans ses pantoufles dorées, il s'échappera in fine très vite du complexe, se liera d'amitié avec le revendeur d'armes Yaz et pourchassera à nouveau Stavros, qui a kidnappé sa femme enceinte pendant son absence, et est bien décidé à en garder son futur gamin...
En déconstruisant à la fois les codes du film d'espionnage (avec un espionnage totalement désincarné et totalement informatisé, où toute notion de patrie/nationalisme est annihilée) et du buddy movie testostéroné, Hark tutoie la grâce du WTF-esque jusqu'ici inégalée en terres occidentales, entre punchlines savoureusement débiles et éculées, scènes d'action survoltées et cadrées avec soin (de la castagne fluide et qui envoie, même si quelques explosions puent un peu trop les SFX cheap) et une pluie d'insertions dingues (les curetons du sud de la France accro à la technologie, tu l'as vu venir toi ?) culminant à un final qui verra Hark mettre les arènes d’Arles en pièce dans un simili-duel de gladiateurs, avant que JCVD, son bébé et Rodman ne se sauvent avec le placement de produit le plus outrancier de l'histoire (les distributeurs de Coca sauvent des vies), après que Rourke se soit - presque - fait bouffer par un tigre.

© 1997 - Columbia Pictures / Mandalay Entertainment


Si le cinéaste a eu tendance à le renier un brin avec le temps (on peut le comprendre), vu la frustration intense qu'il incarne à ses yeux (de ses idées tuées dans l'œuf à son montage final bien loin du matériau d'origine, qui a subit moult réécritures), difficile pourtant de bouder son plaisir devant une Vraie expérience hybride à la fois enthousiasmante et déglingué, un chaos volontairement maîtrisé et halluciné par un cinéaste qui pourtant bridé dans l'effort.
Que plus personne ne le traite de nanar...

Jonathan Chevrier