La Fille d'Albino Rodrigue (2023) de Christine Dory

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Nouveau et 5ème film de Christine Dory après "Cendrillon 90" (1991), "Bruno n'a pas d'Argent" (1999), "Blonde et Brune" (2004) et "Les Inséparables" (2008) sans compter son travail de scénariste pour les autres avec notamment "La Chose Publique" (2003) de Mathieu Amalric ou "La Grande Vie" (2009) de Emmanuel Salinger. La cinéaste a pensé à cette histoire après être tombé dessus dans un documentaire sur des faits divers dont elle est addicte, soit une affaire concernant une jeune femme de 27 ans qui racontait une histoire qui lui était arrivée alors qu'elle était adolescente : "Cette fille très simple avait un regard incroyable et une vivacité d'esprit extraordinaire. C'est à cause d'elle et de ce regard que je me suis penchée sur ce fait divers, que j'ai ensuite été happée par la dimension tragique de la mère et du frère. (...) Dans le fait divers, il y avait deux crimes entremêlés, deux mères toxiques. Et l'histoire se déroulait sur huit ans. J'ai tout réinventé pour faire émerger les lignes de force qui m'intéressaient." Elle co-écrit son scénario avec Lise Macheboeuf, scénariste fidèle du réalisateur Raphaël Jacoulot avec les films "Barrage" (2005), "Avant l'Aube" (2011) ou "Coup de Chaud" (2015). La réalisatrice-scénariste précise que ses références sont Paul Verhoeven et Maurice Pialat... Rosemay, 16 ans, vit en famille d'accueil et ne rejoint les siens que pour les vacances. Mais un jour, son père biologique n'est pas présent pour l'accueillir, seule reste sa belle-mère. Après quelques temps le père semble avoir disparu. Alors que personne ne répond clairement ou honnement à ses questions Rosemay ne peut se fier qu'à son intuition... 

L'ado est incarnée par Galatea Bellugi vue dans "Tralala" (2021) des frères Larrieu et tout récemment dans "Chien de la Casse" (2023) de Jean-Baptiste Durand. Sa belle-mère est jouée par Emilie Dequenne vue dans "Les Choses qu'on dit, les Choses qu'on fait" (2020) de Emmanuel Mouret et le déchirant "Close" (2022) de Lukas Dhont. Citons Philippe Duquesne vu récemment dans "Alibi.Com 2" (2023) de et avec Philippe Lacheau et "Pour l'Honneur" (2023) de Philippe Guillard, Samir Guesmi vu dans "Une Mère" (2022) de Sylvie Audcoeur, "Nos Frangins" (2022) de Rachid Bouchareb ou "Pour la France" (2022) de Rachid Hami, Romane Bohringer vue dans "L'Histoire de ma Femme" (2021) de Ildiko Enyedi et "Petites" (2023) de Julie Lerat-Gersant, Matthieu Lucci vu dans "L'Atelier" (2017) de Laurent Cantet, "Selon la Police" (2022) de Frédéric Videau et "L'Eté l'Eternité" (2022) de Emilie Aussel, Joël Clabault aperçu dans "Les Estivants" (2019) de et avec Valeria Bruni-Tedeschi et "Vortex" (2022) de Gaspard Noé, puis enfin la toute jeune Elsa Hyvaert remarquée dans le téléfilm "La Maladroite" (2019) de Eléonore Faucher après lequel elle retrouve sa partenaire Emilie Dequenne... Effectivement, dès les premières minutes on pense au style direct et naturaliste de Pialat entre "L'Enfance Nue" (1968) et "À nos Amours" (1983) ; on est justement frappé par le lien presque filiale entre Sandrine Bonnaire de ce dernier avec Rosemay/Bellugi. On suit donc Rosemay, en famille d'accueil qui part passer ses vacances chez ses véritables parents comme d'habitude. 

Dès son arrivée chez elle, ou plutôt dès ses retrouvailles avec sa famille on sait et on devine le drame, voir même les tenants et aboutissants. C'est un peu dommageable tant la réalisatrice n'a pas daigné le moindre effort sur un minimum de suspens ou d'instaurer un minimum de doutes. La cinéaste explique : "Tout est à l'écran. Moi-même, j'aimerais couper court aux élucubrations psychologiques parce que je n'y ai pas eu recours. J'espère avoir fait un film d'action." C'est à la fois une audace qui permet une épure judicieuse et un parti pris sévère qui freine l'émotion. Une épure qui évite toute hystérie, des sentiments distillés comme des points de détails plein de justesse, mais c'est aussi un peu froid, âpre et austère et on a du mal à comprendre la froideur et la distanciation de Rosemay/Bellugi malgré le drame qui se dessine. Mais on se laisse happé par cette histoire tragique et cette jeune femme qui semble un peu "limitée" intellectuellement, fragile aussi autant elle est lucide, courageuse, mature et perspicace. L'évolution du récit suit surtout l'évolution de cette petite héroïne dont l'amour est brisé ou partagé et qui doit faire quoi qu'il arrive des choix fatidiques. Le climax est pesant, on souffre pour cette ado qui va passer un cap de vie finalement d'une banalité terrifiante. Un film d'une justesse infinie malgré quelques instants pas toujours compréhensibles servit par deux actrices remarquables (Dequenne et Bellugi). 

Note :                 

14/20