[Compétition Officielle]
De quoi ça parle?
Depuis quelques temps, Minato (Soya Surokawa), un petit garçon de dix ans, a un comportement étrange. Il semble un peu plus apathique, plus distant avec sa mère Saori (Sakura Ando), qui l’élève seule depuis la mort de son mari. La jeune femme constate bien que son enfant est en train de grandir et qu’il couve peut-être une sorte de crise d’adolescence avant l’heure. Toutefois, certains de ses agissements l’inquiètent. Minato se pose en effet des questions bizarres, signes d’un mental perturbé. Il commet aussi des actes impulsifs, comme se couper les cheveux sur un coup de tête et peut disparaître pendant des heures sans prévenir sa mère. Surtout, il semble en proie à des pulsions autodestructrices, ce qui finit par le conduire à l’hôpital. Ses examens ne laissant pas présager de problème neurologique, Saori finit par se demander si son fils ne rencontrerait pas des problèmes à l’école. Est-il harcelé par d’autres enfants?
Quand il revient avec des traces de coups et l’oreille en sang, elle décide de se plaindre à la direction de l’école et en vient à accuser l’instituteur, Hori (Eita Nagayama) d’actes de maltraitance.
Celui-ci reconnaît avoir infligé à Minato une punition, mais dément toute violence intentionnelle. Il laisse sous-entendre à Saori que, plutôt que victime de harcèlement, Minato pourrait plutôt en être l’auteur. Il pense en effet que le gamin brutalise un de ses petits camarades, Eri (Hinata Hiiragi). Même si elle refuse de croire cela de la part de son enfant, Saori se laisse peu à peu gagner par le doute.
Qui dit vrai? Qui est le monstre?
Comme souvent, la vérité sortira de la bouche des enfants…
Pourquoi le nouveau Kore-Eda nous fait un effet monstre ?
Difficile d’aller plus loin dans le scénario sans en dévoiler toutes les subtilités, mais la grande force de Monster réside avant tout en un récit particulièrement bien ficelé, qui dévoile peu à peu la vérité en adoptant des points de vue différents, un peu à la façon de Rashômon, le chef d’oeuvre d’Akira Kurosawa.
Dans la première partie, le cinéaste nous invite à adopter le point de vue de la mère, décontenancée par le comportement étrange de son fils, mais aussi par l’attitude des dirigeants de l’école, qui semblent protéger l’enseignant incriminé et faire preuve de très peu d’empathie vis à vis de Minato. La directrice de l’école, notamment, semble totalement froide et insensible à la situation.
Le climat qui en résulte est insolite, inquiétant, à la lisière du fantastique ou du récit psychanalytique. Le spectateur se retrouve aussi déconcerté que Saori, un peu perdu face à ces attitudes incompréhensibles.
La seconde partie adopte cette fois-ci le point de vue de Hori, l’instituteur. Loin d’être le tyran dépeint dans la première partie, il semble être un homme assez ordinaire, plutôt gentil avec ses élèves et ce qui nous est exposé semble plutôt donner du crédit à sa version des faits. Mais là encore, rien n’est aussi simple. Si Minato est une brute persécutant Eri, pourquoi celui-ci ne le dénonce-t-il pas? Au contraire, il semble se faire du souci pour son camarade.
La dernière partie correspond au point de vue de Minato et Eri. Elle permet enfin de reconstituer l’intégralité du puzzle, après avoir fait prendre au récit une direction totalement inattendue.
Avec ce dispositif manipulateur, Kore-Eda entend démontrer que les êtres humains ont souvent tendance à se fier aux apparences, s’abriter derrière des préjugés, des stéréotypes qui peuvent nuire à leur capacité de jugement et compliquer leur quotidien. Tout ce que nous voyons dans les deux premières parties est tronqué, biaisé par des préjugés, des attentes particulières par rapport à une situation donnée, l’utilisation de certaines images comme un leurre. Si on pense, comme Saori, que Minato a des pulsions suicidaires, c’est que l’enchaînement des séquences, le choix de certaines phrases, certains angles de caméra, viennent nous préparer à cette conclusion. Dès la scène d’introduction, quand le gamin se penche un peu trop fort sur le balcon pour observer l’incendie ravageant l’immeuble d’en face, on pense déjà au pire. L’ambiance plutôt sombre, mortifère, du récit finit de nous persuader que tout cela ne peut que finir d’une façon tragique.
De la même façon, la seconde partie du récit emprunte certains éléments au thriller et au récit horrifique. On se laisse guider par des réflexes de spectateur habitué à des archétypes narratifs.
En changeant la perspective et en adoptant la vision des enfants, on peut découvrir un autre récit, plus lumineux, qui se boucle de façon apaisée. A moins que ce ne soit encore un leurre induit par l’image et la tonalité imposée par le cinéaste… A chaque spectateur le soin de se faire son opinion.
En tout cas, les questionnements autour de la vérité et le mensonge semblent beaucoup travailler le cinéaste japonais ces derniers temps. The Third murder était un film de procès entièrement construit autour de versions différentes soutenues par l’accusé, seul détenteur de la vérité. Dans Une affaire de famille, Palme d’Or en 2018, Kore-Eda jouait sur des retournements de situation surprenants pour mieux saisir la seule chose authentique de son scénario, la nature des sentiments unissant les personnages composant cette famille factice. Et dans le bien nommé La Vérité, il s’intéressait aussi à la notion de vérité et de mensonge, en mettant en exergue le métier de comédien.
Ce nouveau long-métrage s’inscrit donc parfaitement dans cette thématique et, plus globalement, dans l’oeuvre de Kore-Eda, qui s’est souvent intéressé à l’enfance, aux liens familiaux et à la difficulté d’exprimer ses sentiments.
La vérité, la nôtre, c’est qu’on adore quand le cinéaste parvient à nous mener ainsi en bateau et sublimer, in fine, les sentiments les plus complexes.
On ne pouvait rêver mieux pour commencer cette 76ème compétition cannoise.
Contrepoints critiques :
”Monster is not a major Kore-eda entry, no doubt withholding too much to work completely, but for admirers of the director’s films, there are pleasures to be found”
(David Rooney – The Hollywood Reporter)
”Monster multiplie les points de vue et les temporalités à en perdre la raison. D’abord raconté par le regard de la mère, il passe à celui du professeur, puis de l’enfant, les trois s’interférant plus ou moins tout le long du film. Des scènes sont laissées en suspens sans que l’on en connaisse la conclusion, comme lors de la recherche des enfants par les parents sous la pluie diluvienne. Si Kore-eda demande la participation du spectateur pour créer le lien entre elles, la cohérence du récit échappe et le film privilégie des interprétations ouvertes, un peu trop sans doute.”
(Jacky Bornet – France Télévisions)
Crédits photos : Copyright 2023 Monster Film Committee – Images fournies par le Festival de Cannes