[INSTANT LITTÉRATURE] : #12. Blackwater (Michael McDowell)

Par Fuckcinephiles

" Quoi, un site centré sur le cinéma qui papote littérature, mais quelle hérésie ! ".Voilà une manière polie de dire " qu'est-ce qu'on est en train de foutre ", mais à une heure ou la littérature n'a jamais autant été liée au septième art (ah, Hollywood et son manque d'originalité...), nous avons trouvé de bon ton, en temps que media, de voir un petit peu plus loin que le bout de notre plume, et d'élargir notre prisme de partage culturel en papotant littérature donc, sans pour autant que cela soit lié au cinéma - même si cela arrivera certainement souvent.
Armez-vous de vos lunettes, d'un marque-page et d'un potentiel chèque-cadeau FNAC pour faire vos emplettes, et lisez un brin nos recommandations littéraires pleines d'amour, au coeur de notre nouvelle section : Instant Littérature !


#12. Blackwater de Michael McDowell


Décédé en 1999 d'une maladie liée au Sida, Michael McDowell est, selon Stephen King le « meilleur auteur de livres de poche à ce jour ». Au-delà d'une belle carrière littéraire, McDowell a également été le co-scénariste de deux films cultes : Beetlejuice de Tim Burton et L'Etrange Noël de Mr Jack de Henry Selick. Nous avons (re)découvert son travail grâce à la maison d'édition Monsieur Toussaint Louverture qui a publié la saga Blackwater (qui aurait été source d'inspiration pour La Ligne verte de Stephen King), restée jusqu'en 2022 inédite en France. Sortie initialement en 1983, cette saga familiale est composée de six (courts) romans : La Crue, La Digue, La Maison, La Guerre, La Fortune et La Pluie.

On ne va pas tourner autour du pot : on prend un véritable plaisir à suivre ces romans-feuilletons qui mériteraient un jour d'être adaptés pour le cinéma ou (surtout) pour la télévision. Durant notre lecture, on pense tout de suite à la question de l'adaptation non pas parce que le ¾ des films et des livres sont issus d'adaptations littéraires mais parce qu'on remarque très rapidement une écriture très cinématographique qui nous permet d'être captivés assez rapidement par le récit. Certes, la saga est parfois imparfaite dans les derniers épisodes (en particulier pour l'épisode 5 qui met trop - trop - de temps à démarrer) mais elle est terriblement addictive. Il faut dire que Michael McDowell sait cultiver et maintenir le mystère autour d'Elinor, une jeune femme énigmatique qui prendra une grande place dans la famille Caskey pendant cinquante ans.

On va évidemment éviter dans cette chronique de révéler les secrets autour des personnages et de l'intrigue. On ira juste droit au but. Dans un premier temps, Blackwater séduit par son dimension fantastique. Un doute dira-t-on concernant certains éléments phares du récit sans cesse maintenu, peut-être même parfois un peu trop, pour le lecteur et les protagonistes (même si on les trouve parfois un peu trop aveugles sur les événements se déroulant autour d'eux). En tant que lecteur, on comprend assez vite que des éléments surnaturels se sont invités à Perdido à partir de 1919 jusqu'en 1969. Mais, ce qui fonctionne dans la première partie de la saga, c'est qu'on ne parvient pas à « mettre le doigt » sur ce qui cloche au cœur de cette famille depuis l'arrivée d'Elinor.

L'auteur prend le temps d'installer le décor (on a même droit à chaque tome à un plan de la ville). On visualise aisément cette petite ville boueuse, à côté des forêts et des flots sombres, où tout le monde semble se connaître. La famille Caskey, à la tête de la scierie, est le clan de riches propriétaires terriens le plus important de Perdido. A chaque tome, un arbre généalogique de la famille y est présenté, avec ses quelques mises à jour. Difficile de ne pas être indifférent face à cette tribu ! On s'attache à certains membres, on en rejette d'autres. Et puis parfois notre opinion autour de certains personnages évolue car, justement, ils évoluent. Par ailleurs, on retiendra évidemment l'opposition entre la matriarche Mary-Love (clairvoyante sur les intentions de sa belle-fille mais toxique à souhait) et Elinor (toujours aussi insaisissable).

Michael McDowell évoque les liens familiaux, autant dans sa beauté que dans sa cruauté. Peut-on tous réellement aimer identiquement ses enfants ? Peut-on tous créer du lien avec son enfant biologique ? Et au fond, comment aimer sa progéniture ? L'auteur s'attaque à des questions sociétales profondément tabous. De plus, la place des femmes dans cette micro-société qu'est Perdido fait partie des enjeux essentiels de cette saga. Ce sont les personnages féminins qui dirigent Perdido, qui font tout pour que la ville et ses habitants se développent et s'enrichissent. Si la rivalité entre femmes est au cœur de l'intrigue, la sororité trouve également sa place parmi les personnages féminins secondaires, face aux violences masculines. Enfin, la domination sociale est également abordée à travers les relations entre les maîtres et les domestiques dans une Alabama ségrégationniste.

Malgré une petite baisse de régime (heureusement, son final très émouvant efface ces quelques égarements), Blackwater est une saga captivante sur l'ascension sociale et économique d'une famille et d'une ville qui allie habilement divertissement fantastique voire même horrifique (certaines scènes provoquent leur petit effet) et réflexions sociétales (qui peuvent sembler, pour certaines d'entre elles, assez modernes pour des textes publiés au début des années 80). 

Tinalakiller