L’une des différences fondamentales avec le film danois dont est tiré ce récit, est qu’ici, ce n’est pas la quadragénaire qui initie la relation. Si l’attirance est mutuelle, c’est davantage le garçon qui semble prendre les devants. Anne, habituellement en maîtrise de ses émotions, perd la raison. Elle s’abandonne à cet amour impossible, comme une adolescente. C’est probablement ce qui a le plus intéressé la cinéaste, qui se reconnaît sans doute dans le portrait de cette femme intelligente, habituée à tout contrôler dans les moindres détails, mais qui se révèle très vulnérable quand il s’agit de sentiments, prête à n’importe quelle folie, prête à se laisser manipuler.
En termes de mise en scène, Breillat garde le contrôle, en revanche. Chaque plan est maîtrisé. La cinéaste crée du contraste entre les extérieurs lumineux, baignés de lumière estivale, et les intérieurs, plus feutrés, plus froids. Elle s’amuse avec le cadre pour traduire l’enfermement des personnages dans cette passion dévorante, par exemple dans une belle scène de discussion entre Anne et Pierre, qui montre en arrière plan Théo, malheureux, comme piégé dans une cage en verre. La cinéaste filme ses acteur au plus près, pour mieux essayer de traquer leurs émotions et forcer l’identification des spectateurs. Elle est bien aidée, il est vrai, par un casting de tout premier ordre. Léa Drucker est impeccable dans ce rôle féminin fort et complexe. Olivier Rabourdin, moins présent à l’écran, montre aussi les différentes facettes de ce personnage masculin perdu, tiraillé entre sa compagne et son fils. Quant au jeune Samuel Kircher, il fait preuve d’une belle présence à l’écran et marche dans les pas de son frère aîné, Paul, vu dans Le Règne animal, à Un Certain Regard et de sa mère, la comédienne Irène Jacob.
En filmant les ébats d’Anne et Théo, Catherine Breillat revient d’une certaine façon à ses premiers films (Une vraie jeune fille, 36 fillette) et cela agit comme une vraie cure de jouvence sur son cinéma.
De la même façon, le couple de personnages qui souffre du Syndrome des amours passées, film de présenté à la Semaine de la Critique, doit renouer avec le passé pour essayer d’aller de l’avant. Sandra (Lucie Debay) et Rémy (Lazare Rousseau) tentent d’avoir un enfant sans y parvenir. Le médecin est formel, ce n’est pas un problème mécanique ou physiologique. Les analyses sont bonnes et les systèmes reproducteurs sont en état de marche. Le blocage est donc psychologique. Pour y remédier, il leur propose un traitement assez particulier. Il “suffit” à chacun de recoucher une fois avec l’intégralité de leur ex-partenaires sexuels et le blocage sera levé. Hum… Curieuse méthode, aux conséquences hasardeuses… Les premiers problèmes commencent déjà au moment de l’établissement des listes. Celle de Sandra comprend une bonne vingtaine de noms. Celle de Rémy seulement trois. Il est stupéfait de découvrir tout un pan de la vie de sa compagne qu’il ignorait totalement, et un brin inquiet par la perspective qu’elle batifole avec des surfeurs bodybuildés ou des beaux gosses chevelus. En même temps, sa propre liste s’avère également haute en surprises pour sa compagne, car parmi les filles avec qui il a couché adolescents, il y a sa demi-soeur (Nora Hamzawi). AÎe, ça prend des allures de tragédie grecque, cette affaire… Il va falloir la convaincre de recommencer l’expérience et c’est tout sauf gagné.
Mais d’autres noms de la liste s’avèrent aussi compliqués à recruter pour cette entreprise singulière. Comment faire si un ancien amant est devenu gay? Comment retrouver ce DJ casqué façon Daft Punk, connu le temps d’une nuit dans un bar miteux?
Les choses dégénère encore quand Sandra, consciente du désarroi de Rémy les soirs où elle part coucher avec ses ex, l’autorise à s’inscrire sur des applis de rencontres d’un soir. Cela le désinhibe un peu, certes, mais est-ce bien là le père qu’elle désirait pour son enfant? Sur cette base loufoque, Ann Sirot et Raphaël Balboni signent une comédie douce-amère sur la vie de couple et la sexualité, qui repose sur les performances de ses acteurs, tous deux très drôles et touchants, mais aussi sur un environnement visuel curieux, prenant souvent l’aspect d’un grand trip onirique et sensuel. ils confirment en tout cas, après l’excellent Une vie démente, qu’ils possèdent une imagination débordante et assument leur différence.
Si le couple n’arrive pas à trouver son équilibre avec cette méthode non, il doit bien se trouver une méthode japonaise pour les aider à surmonter la crise.
Prenez Hirayama (Kōji Hashimoto), le personnage du nouveau film de Wim Wenders, Perfect days. Il fait un travail que peu de personnes aimeraient faire : nettoyer les toilettes publiques. Pourtant, chaque jour, il accomplit sa tâche avec enthousiasme et efficacité. Il se satisfait de rendre les lieux parfaitement propres pour tous les utilisateurs, même quand ce sont des ingrats qui ne le remarquent même pas. Et s’il est probable que certains visiteurs doivent laisser les lieux dans un état déplorable, à l’écran, rien ne transparaît. On est loin des (pires) toilettes (d’Ecosse) dans le Trainspotting de Danny Boyle. Mieux, on a l’impression, ici, que chaque emplacement des toilettes publiques tokyoïtes est une petite merveille d’architecture ou d’art moderne.
Comme il travaille vite et bien, Hirayama peut se garder un peu de temps pour quelques plaisirs annexes, comme prendre des photos de la ville, lire un peu ou ramasser des pousses de plantes dont il s’occupera jour après jour, ou encore admirer la lumière se reflétant sur les gratte-ciels de la ville. Il mène une vie simple, humble, routinière et assez solitaire. En bref, quasi-monastique. D’ailleurs il semblerait presque avoir fait voeu de silence, car même quand il travaille en binôme avec son collègue Takashi, il ne lui adresse quasiment pas la parole, sauf pour exprimer sa désapprobation face à ses retards et sa nonchalance au travail. Pour autant, ce n’est pas un ours asocial. Il n’est pas bavard, mais ne fuit pas le contact avec les autres. Il sait se montrer compatissant, prêt à dépanner, aider, soutenir les uns ou les autres, et généralement, les personnes qui l’entourent apprécient sa compagnie sereine. Donc, s’il reste un peu à l’écart, c’est par choix personnel. Évidemment cette solitude dissimule quelques failles, une histoire personnelle que l’on devine douloureuse et que le cinéaste dévoilera en partie un peu plus tard, le temps d’un bref échange entre Hirayama et sa soeur.
Mais c’est justement pour ne pas penser au passé et par crainte d’un futur incertain que le quinquagénaire entend profiter de l’instant présent, considérant chaque jour comme un “perfect day” (la chanson de Lou Reed qui donne son titre au film).
Au départ, c’était une simple commande pour mettre en valeur le système de toilettes publiques de Tokyo, mais Wim Wenders a revu ses ambitions à la hausse en réalisant un film totalement épuré et zen, faisant l’éloge de la simplicité, à la façon du maître japonais Yasujiro Ozu auquel il avait déjà rendu hommage dans le documentaire Tokyo-Ga. L’absence d’enjeux dramatiques décontenancera peut-être certains spectateurs, mais c’est aussi cette différence, cette volonté de privilégier la poésie à la lourdeur, la beauté à la laideur, la douceur à la violence qui permettra, peut-être, à Perfect days d’être primé samedi soir sur la scène du Grand Théâtre Lumière. Pour nous, c’est un grand film en tout cas.
Puisqu’on citait la Semaine de la Critique, ses organisateurs vont pouvoir profiter de l’instant présent en toute sérénité puisque la section a officiellement fermé ses portes aujourd’hui. Le jury présidé par Audrey Diwann a choisi de remettre son Grand Prix à Tiger stripes de la réalisatrice malaisienne Amanda Neil Eu. Paloma Sermon-Daï a également été récompensée pour Il pleut dans la maison qui remporte le prix French Touch. Jovan Ginic, acteur du film serbe Lost Country repart avec le prix Fondation Louis Roederer de la Révélation. Enfin, le Prix de la Fondation GAN a été attribué à Inchallah un fils, du jordanien Amjad Al Rasheed tandis que le Prix SACD revient à Iris Kaltenbäck pour Le Ravissement.
La Cinéfondation a aussi rendu son verdict. Le jury d’Ildikó Enyedi a récompensé Marlene Emilie Lyngstad, de la Den Danske Filmskole au Danemark pour Norwegian Offspring (1er prix), la sud-coréenne Hwang Hyein pour Hole (2ème prix) et le marocain Zineb Wakrim pour Ayyur (3ème prix).
Demain, les autres sections parallèles livreront aussi leur palmarès. Un Certain Regard proposera en clôture le nouveau film d’Alex Lutz, Un soir. La Quinzaine des Cinéastes s’appuiera de son côté sur le dernier Hong Sang-soo, In our day. En attendant, et puisque l’idée est de profiter du festival jour après jour, il y a avait encore plein de films et d’évènements à découvrir, comme la carte blanche à Quentin Tarantino, qui a donné une master class aux festivaliers de la Quinzaine des Cinéastes avant de redécouvrir avec eux l’un des films qu’il avait adoré, plus jeune, Légitime violence, ou la projection du nouveau Kim Jee-woon, Cobweb.
Il reste encore une journée de projections et une de reprises avant le grand final, samedi soir, avec l’annonce du palmarès officiel.
A demain pour la suite de ces chroniques cannoises.
Crédits photos : Photo © Jack Garofalo/Paris Match/Scoop – Création graphique © Hartland Villa – Visuels fournis par le service presse du Festival de Cannes