[Un Certain Regard]
De quoi ça parle ?
D’un combat de chien qui tourne mal et entraîne une querelle entre gangs rivaux de Casablanca.
Et d’une journée et d’une nuit difficiles pour Hassan (Abdellatif Masstouri) et son fils Issam (Ayoub Elaid), embarqués malgré eux dans cette sombre affaire. Pour gagner les quelques dirhams nécessaires à leur survie, ils rendent souvent de menus services à Dib, un des principaux leaders de la pègre du quartier. Cette fois-ci, il les a chargés d’aller kidnapper un homme de main du gang rival. Ils s’exécutent et parviennent difficilement à caser le colis dans le coffre d’une voiture prêtée pour l’occasion. Quand ils arrivent à destination, ils constatent que l’homme est mort, sans doute victime d’une crise cardiaque ou d’un coup de chaud. Dib, après les avoir sermonnés vertement, leur impose de trouver un moyen de faire disparaître le corps avant l’aube, sans éveiller les soupçons. Mais la tâche ne va pas s’avérer des plus simples, entre une voiture capricieuse et des contacts pas très coopératifs…
Pourquoi on donne la patte ?
Pour son passage au long métrage, Kamal Lazraq signe ce qui ressemble de prime abord à un film noir assez implacable, baignant dans une ambiance nocturne très sombre qui semble se refermer sur les protagonistes comme un piège fatal. Difficile de ne pas penser à Mean Streets de Martin Scorsese ou à d’autres polars américains similaires, ayant pour cadre les bas-fonds des villes, la nuit. Mais ici, le cadre est différent et les motivations des personnages également Nous sommes à Casablanca, dans une cité marquée par la pauvreté et un fossé grandissant entre les élites de la société et les gens les plus pauvres, obligés de faire n’importe quoi pour essayer de survive. Hassan n’aspire pas à devenir gangster, mais il n’a pas d’autre choix que de travailler pour Dib. Il a à charge son fils, dont les perspectives professionnelles sont nulles, et sa mère, avec qui il partage une minuscule maison. Chaque jour, il doit effectuer quelques bricoles qui lui rapportent une pièce ou deux, suffisamment pour s’acheter quelques abats à cuisiner, soit probablement moins que ce que mangent les chiens de combats de son patron au quotidien. C’est aussi une ville où la religion occupe une place importante, même si ce n’est pas forcément compatible avec le mode de vie des gangsters. Au cours de leur périple Hassan et Issam sont confrontés à un type étrange qui se met à prier au milieu de la nuit. Plus tard, un ivrogne dont ils sollicitent l’aide leur demande si le défunt a bien été lavé et purifié selon les rites funéraires musulmans. Ceci fait l’effet d’une révélation sur Hassan, qui commence à se demander si cette descente aux enfers n’est pas une épreuve imposée par Allah pour le faire réfléchir sur les conséquences de ses actes.
Ce qui est intéressant, c’est que cela correspond à un point de bascule dans le récit, puisque c’est le moment où Issam, jusqu’alors simple suiveur, embarqué dans cette galère contre son gré, prend les choses en main, avec guère plus de réussite que son père. Le jeune homme, au début du film, est une figure positive. Il n’est pas au service d’un gang et même s’il semble éprouver une sorte de fascination pour l’argent “facile” promis par les truands, il se contente de petits boulots très mal payés. Hassan l’entraîne avec lui car il n’a pas le choix. Il a besoin de quelqu’un de confiance pour réussir le kidnapping. Issam désapprouve les “services” que son père rend à Dib et est choqué par la mort du type qu’ils ont kidnappé. Il propose même à son père d’aller se dénoncer à la police, pour que cesse tout ce périple insensé. Quelque part, il est encore “pur” et a encore une chance de s’en sortir, contrairement à Hassan qui semble définitivement empêtré dans ce système sans foi ni loi. Mais les choses évoluent peu à peu. Hassan voit en la religion un moyen de sauver son âme noircie, si cela est encore possible, tandis que Issam perd toute illusion et s’abandonne à son tour au côté obscur. Cela permet à Kamal Lazraq de montrer combien il est difficile, dans une société aussi misérable, aux horizons incertains, d’échapper à sa condition et à une forme de malédiction héréditaire.
On pense également à Scorsese, mais plutôt à celui de After hours autre récit de périple nocturne tournant au cauchemar, dans la façon qu’à le cinéaste marocain de construire un récit constamment surprenant, émaillé de rencontres étranges, de péripéties inquiétantes ou drolatiques. Ceci donne au film une autre dimension qu’une banale histoire de descente aux enfers, comme on en a vu des dizaines. Ici, la poésie vient s’opposer aux ténèbres, le côté profondément humain des personnages leur offre, peut-être, un mince espoir de rédemption. Pour que cela soit possible, il fallait aussi que le cinéaste puisse s’appuyer sur des acteurs solides, puisqu’ils sont de quasiment tous les plans du film. Abdellatif Masstouri et Ayoub Elaid sont absolument épatants, alors qu’ils ne sont pas du tout des acteurs professionnels. Peut-être, justement, incarnent-ils des personnages proches de ce qu’ils sont au quotidien, mais cela n’enlève rien à leur mérite dans ce film, car ils rendent très crédible la relation père-fils entre Hassan et Issam. Les autres comédiens du film, amateurs comme professionnels, sont tout aussi impeccables et participent à la réussite de l’oeuvre.
Pour un premier film, c’est une très belle entrée en matière, d’ailleurs saluée par le jury de Un Certain Regard, qui lui a attribué le “Prix du Jury”. Peut-être, finalement, qu’un véhicule rouge n’est pas un signe de porte-poisse. On souhaite que Les Meutes, auréolé de son prix et de son accueil chaleureux sur la Croisette s’assure un paisible périple jusqu’à nos salles obscures, sans toussotements de moteur.
Contrepoints critiques
”On découvre avec la caméra de Kamal Lazraq une écriture originale, un souci de la mise en scène, et avec lui, une flopée de comédiens très talentueux.”
(Laurent Cambon – A voir à lire)
”Sans être doté du scénario le plus original du monde, ce polar reste en tête du fait de sa peinture sociale et de quelques traits particuliers.”
( Geoffrey Nabavian – Toute la culture)
Crédits photos : Copyright Barney Production – Mont Fleuri Production – Beluga Tree – images fournies par le Festival de Cannes