Sentimentalement vôtre

Par Platinoch @Platinoch

Un grand merci à Éléphant Films pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Sentimentalement vôtre » de Carol Reed.

« L’amour pour moi c’est avant tout de savoir que l’être aimé existe. Et cela fait naitre l’immense désir de lui dire qu’on l’aime et qu’on l’admire »

Belinda est mariée depuis plusieurs années à Charles, un conseiller fiscal. La jeune femme ne goute que très peu aux sorties que lui propose son mari. Celui-ci la soupçonne d’entretenir une liaison extra-conjugale. Il engage un fantasque détective grec pour la prendre en filature et découvrir la vérité…

« Tu ne t’attendais quand même pas à ce que je te fasse la cour toute ta vie ! »

Grand nom du cinéma britannique de l’après-guerre, Carol Reed s’illustre d’abord par ses films de guerre (« L’héroïque parade », « La vraie gloire » qui obtient l’Oscar du meilleur documentaire en 1945) avant de s’imposer dans le registre du thriller d’espionnage, toujours ancré dans la réalité sociopolitique de son époque (Seconde Guerre mondiale, Guerre froide). Outre « L’homme de Berlin » (1953), on retiendra surtout ses adaptations des romans de Graham Greene – « Première désillusion » (1948), « Le troisième homme » (1949) et « Notre agent à La Havane » (1959) – qui lui valent notamment deux nominations à l’Oscar du meilleur réalisateur ainsi qu’un Grand Prix au Festival de Cannes. Mais au milieu des années 50, il cède aux sirènes hollywoodiennes dont il gardera un sentiment mitigé : après « Trapèze » (1956), il connait une expérience difficile sur « Les mutinés du Bounty » (1962) duquel il est remercié et finalement remplacé par Lewis Milestone, puis signe le décevant « L’extase et l’agonie » (1965) avant d’être finalement oscarisé pour la comédie musicale « Oliver ! » (1968) d’après le roman de Charles Dickens. Après un dernier projet décevant (« L’indien », 1970), il rentre dans son Angleterre natale pour y réaliser un ultime film, « Sentimentalement vôtre » (1972), qui marquera la fin de sa carrière.

« Je voudrais vous suivre sans être payé pour le faire pendant longtemps encore »

Adaptation de la pièce de théâtre « The public eye » de Peter Shaffer (célèbre dramaturge anglais dont les écrits donneront encore lieu aux films « Equus » de Sidney Lumet et, surtout, « Amadeus » de Milos Forman), « Sentimentalement vôtre » semble de prime abord construit à la manière d’un vaudeville fantaisiste : un conseiller fiscal qui soupçonne sa jeune épouse de tromperie engage un détective privé pour la suivre et l’espionner. Avant que ce dernier ne tombe lui-même amoureux de l’objet de sa filature. Mais en dépit de la légèreté apparente de ses premières scènes, le film se livre assez vite, en filigrane, à la radioscopie amère d’un couple dysfonctionnel, composé de deux êtres antagonistes en tous points et qui représentent chacun une conception différente du monde. Charles est ainsi un aristocrate anglais guindé, engoncé dans des principes rigides et conservateurs, tandis que Belinda est une jeune américaine aux mœurs progressistes et à la culture plutôt hippie. Deux conceptions de la vie, de l’amour et du couple en quasi-totale opposition. L’arrivée du fantasque détective ne fera que prendre conscience à l’époux du faussé qui le sépare de son aimée. Et instillera de fait, progressivement, une certaine gravité. A l’évidence, Carol Reed se risque ici à faire une comédie très « sixties », un peu à la manière de celles de Stanley Donen (on pense à « Charade » et à ses improbables filatures, ou encore à « Voyage à deux » pour ce qui est de l’étude de couple). Et force est de constater que le réalisateur signe là un film délicat sur la complexité des relations amoureuses et sur la fragilité du couple, en jouant notamment sur de jolies idées de mise en scène (l’opposition entre la relation bavarde des mariés qui ne se comprennent pourtant pas et le jeu de séduction mutique, tout en échange de sourires, entre Belinda et le détective). Pour Reed, l'amour n'est jamais acquis et doit donc être constamment entretenu. Il appartiendra ainsi au héros de rallumer la flamme dans une fin malicieusement ouverte. Pour autant, « Sentimentalement vôtre » reste aussi un film déroutant, qui ne va jamais là où l’attend, et qui repose sur un casting très hétéroclite dominé par le fantasque Topol qui vampirise totalement ses (ternes) comparses Mia Farrow et Michael Jayston. Un film touchant, en dépit de ses maladresses.  

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Le blu-ray : Le film est présenté dans un nouveau Master restauré HD et proposé en version originale anglaise (2.0) ainsi qu’en version française (2.0). Des sous-titres français sont également disponibles.

Côté bonus, le film est accompagné d’une présentation par Samuel Blumenfeld (2022, 15 min.) ainsi que d’une Bande-annonce d’époque (3 min., VOST).

Édité par Éléphant Films, « Sentimentalement vôtre » est disponible en combo blu-ray + DVD ainsi qu’en édition DVD depuis le 14 mars 2023.

Le site Internet d’Éléphant Films est ici. Sa page Facebook est ici.