La Nuit du Verre d'Eau (2023) de Carlos Chahine

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Des années après son court métrage  "La Route du Nord" (2008) le réalisateur libanais Carlos Chahine signe enfin son premier long métrage après avoir fait l'acteur pour les autres, notamment sur les films "La Vallée" (2016) de Ghassan Salhab ou "Le Traducteur" (2021) de Rana Kazkaz et Anas Khalaf. Le cinéaste s'inspire avant tout de sa vie et de ses souvenirs alors qu'il a quitté le Liban en 1975 à cause de la guerre : "J'avais un sentiment de frustration permanente, jusqu'au jour où je suis retourné au Liban. J'ai redécouvert ma terre natale et j'ai compris que si je n'avais pas complètement trouvé ma place en France, c'était à cause de cette sensation d'exil qui bouillait en moi, et que je n'avais jamais identifiée auparavant. Je ne me rendais pas compte de la puissance de ce mot : exil. Seul le cinéma m'a permis de raconter cela, de délivrer ma version de ce que c'est que d'appartenir à une autre région du monde que celle où l'on vit." Le titre fait référence à un souvenir d'enfance quand il appelait sa mère en pleine nuit parce qu'il avait soif, mais précise : "... c'est un rappel de ces univers ritualisés, cette société féodale libanaise, et tout ce qui en découle : la place des femmes, et la façon dont rien ne semble jamais changer." Carlos Chahine co-signe son scénario avec Tristan Benoît à qui on doit notamment "Le Monde de Kaleb" (2022) de Vasken Toranian... 

Eté 1958 au Liban, trois soeurs de la bonne société chrétienne sont en villégiature en montagne. Bientôt la vie tranquille du village est bousculée par les échos d'une révolution en provenance de Beyrouth. Alors que les tensions sont de plus en plus fortes Layla, l'aînée de soeurs, mère et épouse modèle commence à ouvrir les yeux sur la société patriarchale alors que le Liban entier rêve d'un nouveau destin... La soeur aînée est incarnée par Marilyne Naaman actrice méconnue aperçue dans quelques séries TV et dans le film "Follower" (2021) de Marcel Ghosn. Parmi les autres protagonistes libanais citons Ahmad Kaabour vu dans "Carlos" (2010) de Olivier Assayas retrouvant ainsi l'acteur Talal Jurdi vu dans "L'Insulte" (2018) de Ziad Doueiri après lequel il retrouve également sa partenaire Christine Choueiri, citons encore Joy Hallak vu surtout dans des séries TV et quelques courts métrages et un long avec "Karona" (2021) de Shady Hanna, puis Antoine Merheb Harb dans son premier rôle. N'oublions pas les deux rôles de français tenus pat la star Nathalie Baye vue dernièrement dans "Haute Couture" (2021) de Sylvie Ohayon, "Downton Abbay 2 : une Nouvelle Ere" (2022) de Simon Curtis et "Alibi.Com 2" (2023) de et avec Philippe Lacheau, puis Pierre Rochefort (fils de Nicole Garcia et Jean Rochefort) vu dans quelques films de sa mère, mais aussi dans "Les Adieux à la Reine" (2012) de Benoît Jacquot, "Nos Futurs" (2015) de Rémi Bezançon ou "Entre Deux Trains" (2019) de Pierre Filmon... Le film est avant tout une chronique familiale et orientale avec toutes les conditions inhérentes à une société patriarchale du Moyen-Orient, mais placé dans un contexte géo-politique très particulier inhérent à la position singulière du Liban. En résumé express, les trois communautés principales, chrétiens, musulmans et druzes se livrent une lutte en quasi guerre civile durant quelques mois pour choisi rune politique pro ou anti-occidentale. Durant cette période donc une famille chrétienne aisée s'est réfugiée dans leur propriété éloignée des grandes villes, au sein d'un vallée. Une vallée que le réalisateur connaît bien : "Quand j'étais enfant, j'y passais mes été. C'est un endroit qui m'attirait et me terrorisait en même temps. Il résonnait comme une gigantesque faille dans les entrailles de la terre, une faille où il n'y a pas d'issue. C'est un peu comme l'origine du monde, le sexe d'une femme dont on ne pourrait s'extraire. C'est un piège avec toutes ses superstitions, sa cruauté, et sa beauté."

Dans cette famille bourgeoise, privilégiée on se retrouve dans une sorte de société médiévale, les seigneurs propiétaires terriens qui louent aux pauvres serfs leur terrain et leur maison, et tandis que les hommes décident de tout les femmes "se vendent" avec les traditions autour de la dot et des convenances. Une famille riches mais typiques de la haute société chrétienne libanaise des années 50 au sein de laquelle les filles du patriarche doivent s'apprêter pour leur futur époux... ATTENTION SPOILERS !... L'aînée est d'ailleurs mariée et mère, et si elle est la seule à conduire elle reste femme au foyer et soumise à un époux aimant mais sans réciprocité, tandis que les deux cadettes tentent de s'émanciper des traditions ancestrales qui font des femmes des soumises, des mères ou des trophées... FIN SPOILERS !... La merveilleuse idée du film est justement de confronter une crise géo-politique puis militaire qui reste donc l'apanage des hommes face à de jeunes femmes qui voient le monde autrement. Le cinéaste précise très judicieusement : "On est sorti de cette révolution de 58 en pensant que le Liban allait devenir le plus beau pays du monde. Je voulais que le film se passe à ce moment-là précisément, pour cristalliser les émotions de mes personnages..." Derrière le bonheur apparent de cette famille riche et a priori comblée se cache donc les rêves d'une nouvelle génération de femmes, alors que les hommes continuent à vouloir diriger la société qui les entoure. Le réalisateur signe un drame subtilement féministe, sans être moralisateur ou donneur de leçon, avec aussi un regard d'enfant comme témoin malgré lui de chamboulements qu'il ne comprend pas. Un film intelligent sur le fond, d'une beauté naturelle dans la forme avec en prime la révélation magnifique Marilyne Naaman. Un très joli moment aussi fataliste que déchirant sans jamais tomber dans la facilité du pathos. A voir et à conseiller.

Note :      

15/20