Les Cheyennes (1964) de John Ford

Dernier western du maître du genre, John Ford qui est alors en fin de carrière puisque ne suivrons plus que "Le Jeune Cassidy" (1965) et "Frontière Chinoise" (1966). Mais surtout le réalisateur rescordman du nombre d'Oscars du meilleur réalisateur semble depuis quelques années déjà dans un déclin "psychologique" ou un pessimisme marque ses films depuis "Les Deux Cavaliers" (1961) surtout que son acteur fétiche et ami Ward Bond est mort sur le tournage. De plus en plus alcoolique sa santé décline et confirme une sorte de nostalgie et de mélancolie avec ses derniers films, le chef d 'oeuvre "L'Homme qui tua Liberty Valance" (1962) ou "La Taverne de l'Irlandais" (1963), mais aussi le cinéaste semble vouloir remettre certaines pendules à l'heure, après le procès dans "Le Sergent Noir" (1960) il décide alors d'aborder la "grande marche" des Cheyennes (Tout savoir ICI !) : "J'ai voulu montrer ici le point de vue des indiens, pour une fois. Soyons juste. Nous les avons matraités. C'est une véritable tache dans notre histoire. Nous les avons roulés, volés, tués, assassinés, massacrés et, si parfois, ils tuaient un homme blanc, on leur expédiait l'armée." Pour raconter cette histoire le cinéaste a choisi d'adapter le roman "Cheyenne Autumn" (1953) de Mari Sandoz, autrice passionnée et militante par et pour les amérindiens. Le scénario est signé de James R. Webb auquel on doit notamment "Bronco Apache" (1954) et "Vera Cruz" (1954) tous deux de Robert Aldrich, "Les Grands Espaces" (1958) de William Wyler ou "La Conquête de l'Ouest" (1962) sur lequel d'ailleurs Ford avait signé le segment de la Guerre de Sécession. Le tournage a été émaillé des soucis de santé du réalisateur, pourtant enthousiaste il a dû laissé certains passages sous la direction de son assistant Ray Kellogg... 1878, cela fait un an que la nation cheyenne a été défaite et contrainte de quitter leurs plaines pour une réserve désertique à 2000km plus au sud. Mais les promesses des blancs n'ont une nouvelle fois pas été tenues. De mille cheyennes, moins de 400 ont survécu en un an, mais la petite centaine de guerriers sont près à mourir pour retourner chez eux et de tout tenter pour que leurs familles survivent. Les cheyennes quittent donc leur réserve et partent pour le plus grand exode de leur vie avec bientôt plus de 10000 soldats à leur trousse...

Les Cheyennes (1964) de John Ford

Parmi les cheyennes, la plupart sont joués par des Navajos et quelques hispaniques, la cause étant qu'il n'existait alors que très peu de cheyennes. Les quatre acteurs principaux incarnant des cheyennes sont joués par trois acteurs mexicains et un acteur américain d'origine italienne ; il s'agit de Ricardo Montalban vu dans "Au-Delà du Missouri" (1951) de William A. Wellman ou "Sayonara" (1957) de Joshua Logan mais qui sera surtout populaire grâce au succès de la série TV "L'Île Fantastique" (1978-1984), Gilbert Roland vu entre autre dans "Capitaine Kidd" (1945) de Rowland V. Lee ou "Les Ensorcelés" (1952) de Vincente Minnelli, le jeune italien Sal Mineo connu comme partenaire de James Dean dans "la Fureur de Vivre" (1955) de Nicholas Ray et "Géant" (1956) de George Stevens, puis la sublime Dolorès Del Rio star avec "Au Service de la Gloire" (1926) de Raoul Walsh ou "L'Oiseau de Paradis" (1932) de King Vidor, qui retrouve Ford après "Dieu est Mort" (1947) et depuis sur le déclin. Du côté "Blancs", les premiers rôles sont tenus par Richard Widmark qui connaît déjà bien John Ford après "Alamo" (1960) de et avec John Wayne (assisté par Ford), "Les Deux Cavaliers" (1961), et qui retrouve après "la Conquête de l'Ouest" (1962) dont un segment est signé de John Ford, sa partenaire Carroll Baker qui retrouve Sal Mineo après "Géant" (1956), et surtout révélée dans "Baby Doll" (1956) de Elia Kazan après lequel elle retrouve ainsi que dans "la Conquête de l'Ouest" (1962) l'acteur Karl Malden déjà un fidèle de Elia Kazan avec "Un Tramway nommé Désir" (1951) et "Sur les Quais" (1954). Mais la plupart des autres rôles sont dévolus à des fidèles du réalisateur, la plupart s'étant déjà croisés sur les meilleurs films de John Ford, de sa trilogie sur la cavalerie "Le Massacre de Fort- Apache" (1948), "La Charge Héroïque" (1949) et "Rio Grande" (1950), ou ses plus grands chefs d'oeuvres avec "La Prisonnière du Désert" (1956) ou "L'Homme qui tua Liberty Valance" (1962). Citons Mae Marsh star du Muet au plus de 200 rôles depuis "Ramona" (1910) de D.W. Griffith et avec une quinzaine de films avec Ford sans doute la plus fidèle, suivent les acteurs à une dizaine de films avec le cinéaste comme John Carradine (10), John Qualen (10), son gendre Ken Curtis (10), Willis Bouchey (9), Harry Carey Jr. (9), George O'Brien (8), William Henry (7), le fils de son acteur fétiche Patrick Wayne (6), Ben Johnson (5), Carleton Young (5), puis plus dans les derniers films du maître Denver Pyle (4) qui sera surtout populaire avec la série TV "Shérif Fais-Moi Peur !" (1979-1985), James Flavin (4) acteur au plus de 500 rôles entre "Les Chasses du Comte Zaroff" (1932) de Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel à "De Sang Froid" (1967) de Richard Brooks, Mike Mazurki (3), Judson Pratt (3), Sean McClory (3), Rudy Bowman (2) et n'oublions pas la star James Stewart (3) qui incarne la légende de l'Ouest Wyatt Earp aux côtés de Arthur Kennedy alias Doc Holliday acteur remarqué chez Raoul Walsh dans "La Grande Evasion" (1941), "La Charge Fantastique" (1941) et plus amusant dans "Cheyenne" (1947) où il jouait une autre légende Sundance Kid. Citons encore Edward G. Robinson vu notamment dans "les Révoltés" (1930) de Tod Browning, "Assurance sur la Mort" (1944) de Billy Wilder ou "Les 10 Commandements" (1956) de Cecil B. De Mille, Victor Jory vu dans "Autant en Emporte le Vent" (1939) de Victor Fleming ou "L'Homme à la Peau de Serpent" (1960) de Sidney Lumet, Walter Baldwyn vu dans "L'Emprise du Crime" (1946)  de Lewis Milestone et "Vaquero" (1953) de John Farrow, Joe Brooks vu dans "A l'Est d'Eden" (1955) de Elia Kazan ou "Le Bal des Maudits" (1958) de Edward Dmytryk, Philo McCullough surtout connu pour son rôle récurrent dans la série TV "Rintintin" (1954-1959), Bing Russell surtout vu dans des westerns dont "Réglement de Compte à OK Corral" (1957), "Le Dernier Train de Gun Hill" (1959) et "Les Sept Mercenaires" (1960) tous trois de John Sturges... Notons la musique qui allie lyrisme et épique de façon idéale, signée du compositeur Alex North qui venait de signer les B.O. des chefs d'oeuvres "Spartacus" (1960) de Stanley Kubrick, "Les Désaxés" (1961) de John Huston et "Cléopâtre" (1963) de J.L. Mankiewicz... Le film débute avec une voix off chaleureuse et un peu solennel, qui explique le drame du génocide des amérindiens et plus particulièrement des cheyennes et pourquoi un sursaut d'orgueil et surtout de l'instinct de survie va pousser les derniers survivants à tenter un dernier voyage. En quelques minutes John Ford pose les bases, des cheyennes qui meurent de faim mais qui restent fiers et dignes, des blancs qui ne savent plus comment gérer, le tout dans les paysages certes désertiques mais si majestueux ; néanmoins, John Ford a choisi Monument Valley pour sa mythologie et la beauté époustouflante du Plateau du Colorado, mais ça ne correspond pas au trajet effectif des cheyennes dont la réserve était en Oklahoma et dont le périple allait vers le Nord.

Les Cheyennes (1964) de John Ford

La beauté des paysages est à mettre en parallèle avec la sublime photographie signée de William H. Clothier, qui travailla surtout pour William A. Wellman et encore plus ensuite avec ou pour John Wayne dont "Les Cavaliers" (1959), "Alamo" (1960), "L'Homme qui tua Liberty Valance" (1962) et "La Taverne de l'Irlandais" (1963) tous également avec John Ford. On suit donc les cheyennes dans  leur périple, où ils montrent tout leur courage et leur art de la guerre 1 contre 100, mais aussi leur détermination et leur sens du sacrifice. Les grands événements (le départ, le passage de la ligne de chemin de fer, l'évasion du fort Robinson...) qui semèrent leur route sur ces quelques mois sont bien intégrés au récit, avec deux sous intrigues fictives qui ajoutent une dimension plus "intime" au sein des cheyennes, et une qui permet une dose de légèreté avec la partie à Dodge City (où était alors réellement Wyatt Earp mais pas Doc Holliday) où pointe une quelques minutes de comédie bienvenues dans cette tragédie. On sera juste un peu déçu par la fin qui est par contre trop éloignée des faits et offre un trop facile "Happy End", et ce, même si on se doute que le réalisateur a voulu par cette fin envoyer une sorte de message optimiste pour l'avenir. On constate que les rôles principaux sont bel et bien les cheyennes, un choix aussi salvateur et judicieux. Par exemple la capitaine joué par Richard Widmark est surtout symbolique, l'acteur fait le job mais n'est pas essentiel, Karl Malden assume un rôle court mais important et intéressant, ce sont bien les chefs cheyennes qui s'imposent, leurs charismes servent merveilleusement ces personnages historiques majeurs. John Ford réussit à insuffler le lyrisme d'une épopée tout en restant mesuré et presque intimiste, sans abuser des séquences d'action (les cheyennes n'étaient pas assez nombreux pour chercher la confrontation directe). Ce dernier western de Ford est aussi le plus bel hommage à la nation cheyenne, à leur courage et à leur fierté. Un grand film, cohérent et digne sur une "grande marche" méconnue. A voir, à revoir et à conseiller.

Note :  

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19/20