Nouveau long métrage de la franco-syrienne Soudade Kaadan après "Le Jour où j'ai perdu mon Ombre" (2018), particulièrement remarqué sur des festivals dont la Mostra de Venise où la réalisatrice a reçu le Lion du Futur Luigi de Laurentiis du meilleur premier long métrage ; étonnant quand on sait qu'elle a réalisé d'autres films dont "Obscure" (2017). Néanmoins, cette reconnaissance a sans nul doute ouvert d'autres ambitions. La réalisatrice-scénariste explique son projet : "La plupart des films qui montrent des réfugiés syriens ont tendance à nous présenter soit comme des victimes, soit comme des héros, de façon très manichéenne. Alors que, bien évidemment, nous ne sommes ni l'un ni l'autre, comme tous les êtres humains. Avec Nezouh, j'ai essayé de montrer aux spectateurs que les réfugiés syriens sont comme eux. La famille pourrait être n'importe quelle famille à travers le monde confrontée à un dilemme en temps de guerre : faut-il rester ou tout abandonner ? Pour moi, plus une histoire est plongée dans une réalité locale particulière, plus elle en devient universelle. Les symboles et une approche teintée d'imaginaire élèvent et transcendent une réalité locale, et peuvent toucher tout le monde. C'est pourquoi j'ai choisi la simple métaphore d'une maison familiale qui traverse des épreuves à Damas. Dans cette ville, les maison sont généralement fermées : des rideaux protègent l'intérieur du regard des voisins. Mais les bombardements ont pour la première fois éventré des toits, laissant des trous béants comme autant de fenêtres ouvertes sur le ciel et les étoiles. J'ai voulu montrer que les maisons n'étaient pas les seules à changer à Damas, mais que les dynamiques familiales évoluent également lorsque les femmes commencent à prendre les choses en main." La réalisatrice est également monteuse et productrice de son film en co-production avec notamment le français Marc Bordure qui était derrière des films comme "My Sweet Pepper Land" (2014) de Hiner Saleem, l'oeuvre singulière "Cornélius, le Meunier Hurlant" (2018) de Yann Le Quellec, et plusieurs Robert Guéduguian dont "Gloria Mundi" (2019)...
Au coeur du conflit syrien, une famille est une des dernières de leur quartier ravagé de Damas à rester. Les parents Hala et Motaz survivent avec leurs enfants dont Zeina une ado de 14 ans. Quand un missile détruit une partie de la maison, l'idée de partir ressurgit mais pour le père Motaz il n'en est pas question, mais surtout cet obus crée un trou béant dans le toit, au-dessus de la chambre de Zeina. Soudain, ce trou ouvre des perspectives nouvelles pour l'ado qui découvre que dormir à la belle étoile ouvre des possibilités inimaginables. Alors que le père s'obstine à rester, la mère doit prendre une décision, Zeina doit aussi réfléchir... Le casting est composé d'amateurs ou de non-professionnels, seuls les parents sont joués par des acteurs connus, essentiellement dans le monde arabe. Ainsi les parents sont incarnés par Kinda Alloush vue dans de nombreuses séries TV dont "Al Ahd : Al Kalam Al Mubah" (2015), et dans quelques films dont "Once Again" (2010) de Joud Saeed, "Wahed Sahih" (2011) de Hadi El Bagouri ou "Les Nageuses" (2022) de Sally El Hosaini, tandis que le père est incarné par Samer Al Masri lui aussi surtout populaire grâce à la télévision avec notamment les séries TV "Khalid Ibn Al-Walid" (2006) ou "Bab Al Haara" (2006-2017), niveau grand écran citons les films "The Worthy" (2016) de Ali F. Mostafa ou le film américain "The Misfits" (2021) de Renny Harlin. L'ado Zeina est interprétée par la jeune syrienne Hala Zein pour son premier rôle, comme bon nombre de ses partenaires dont on peut citer Nizar Alani, Darina Aljoundi, Nabil Abousalih ou Samer Sayyid Ali... L'horreur de la guerre, une famille, tenter de survivre avec un peu d'onirisme et de bonheur, on pense un peu au magnifique "La Vie est Belle" (1998) de et avec Roberto Begnini, à l'exception notable que la guerre n'est pas du tout la même. Ce film est également scindé en trois parties (sans être chapitré) pour lesquelles la réalisatrice opère des changements sensibles dans sa mise en scène.
Le début est une immersion dans un quotidien qui a déjà sa routine, la famille vit cloîtrée et cachée dans leur appartement et on devine que ça dure déjà depuis un moment. La caméra reste en mode circulaire pour accentuer le huis clos. Puis arrive le bombardement qui transforme le logement en gruyère, c'est poussiéreux et le vent s'engouffre de partout mais c'est aussi un pas vers une liberté inattendue. Ainsi il y a enfin une point de vue vers l'extérieur, il y a la lumière du soleil qui est plus forte, et surtout la Lune et ses étoiles qui offrent de nouvelles perspective pour la jeune ado. La caméra suit alors des mouvements plus verticales, de la rue vers le ciel. Puis arrive la fuite, l'exil forcé, la découverte d'une ville en ruine, le désert, et l'inconnue au loin. Cette fois la caméra offre des prise de vue qui colle avec la ligne d'horizon. Cette mise en scène est subtile, cohérente et maline. Par contre on reste plus frustré sur la dimension onirique. Quelques jolies séquences mais qui restent très limitées et similaires. La magie demeure timorée et trop parcimonieuse surtout dans la partie deux où la nuit ou le ciel aurait dû jouer un rôle plus important. On reste sur notre faim sur ce point. Mais c'est un peu compensé par des personnages admirablement écrits, une ado seule qui tente de ne pas s'ennuyer, une père aimant têtu particulièrement touchant, et une femme a priori soumise et obéissante voire effacée mais qui va s'avérer la force vitale de sa famille et de son époux. Un joli film, peut-être un peu trop sage, mais qui reste une fable moderne intelligemment mise en image. Un joli moment.
Note :