Nouveau long métrage du chinois Li Ruijun réalisateur entre autre de "The Summer Solstice" (2007), "Fly with the Crane" (2012) ou "River Road" (2015). Le cinéaste voulait filmer un monde et un mode de vie voué à disparaître : "Je voulais conserver une trace de ces existences rurales et simples, rendre hommage à cette terre qui nourri mon âme et reste ma principale source d'inspiration." Le titre en chinois est "Yin Ru Chen Yan" qui signifie "Caché dans le pays des Cendres et de la Fumée", le cinéaste précise à ce sujet : "Cela signifie que les époques passées, les vies passées, ne sont pas disparues. Elles sont simplement enfouies dans les cendres. Ce que nous ne voyons plus ne cesse pas pour autant d'exister. Ce titre compliqué a un sens bien plus simple qu'il n'y paraît." Au vu des restrictions, Li Ruijun a dû assumer plusieurs fonction, il est donc sur son film Réalisateur-Scénariste-Directeur artistique-Monteur. Malgré les excellentes critiques du film, avec en prime une sélection au Festival de Berlin 2022 le film est en fait remonté par la censure chinoise notamment et surtout la fin qui est "inversée" et donc plus politiquement correcte (le film montre deux êtres qui sont dans une pauvreté extrême, au moment où le Parti Communiste Chinois annonçait fièrement la fin de cette pauvreté absolue dans leur pays). Ce qui n'empêchera pas le succès du film, engrangeant sur son sol pas moins de 100 millions de Yuans pour seulement 2 millions de budget avant d'être retiré de l'affiche par le Censure. Le réalisateur est ensuite assigné à résidence. Le film est pourtant primé dans plusieurs festivals dont Valladolid et Lisbonne...
2011 en Chine, dans la province de Gansu, deux êtres marginalisés et plus ou moins méprisés, un homme et une femme sont unis par un mariage arrangé par leur famille respective. Le couple ne se connaît pas, et leur relation fait place avant tout à leur timidité. Mais petit à petit, ils se rejoignent dans le travail qui est issue d'une vie ancestrale et finalement la timidité laisse place à l'affection et la tendresse alors que la modernisation et ses vices envahissent leur univers... La femme est incarnée par Hai Qing vue notamment dans "Sacrifice" (2010) de Chen Kaige, "L'Amour n'est pas Aveugle" (2011) de Teng Wuatao ou "Opération Red Sea" (2018) de Dante Lam. L'homme est joué par Wu Renlin qui retrouve son réalisateur après "Fly with the Crane" (2012) à l'instar des autres acteurs du film, tous étant des fidèles du réalisateurs. Ainsi Wang Callan était dans "Fly with the Crane" (2012) et "One Day" (2014), Li Shengfu était aussi dans "Fly with the Crane" et dans "River Road" (2015), à l'instar de son partenaire Wu Yunzhi, les acteurs Yang Gangrui et Caixia Xu étaient quant à eux dans "Walking Past the Future" (2017), et enfin n'oublions pas Min Zhang qui a joué dans tous les longs métrages du réalisateur depuis "The Summer Solstice" (2007)... Notons que la musique est signée de l'iranien Peyman Yazdanian, compositeur de quelques grands films comme "Sang et Or" (2003) de Jafar Panahi, "La Fête du Feu" (2006) de Asghar Farahdi, ou pus récemment "La Loi de Téhéran" (2021) de Saeed Roustayi et "Balloon" (2021) de Pema Tseden... Ce film se situe dans toute la vague du cinéma chinois de ces dernières 20 années qui témoignent de l'explosion économique du pays, qui se modernise si vite qu'il crée des disparités énormes, des gouffres entre la modernité galopante des villes et la pauvreté (sur tous les plans) des campagnes. C'est sûr que le gouvernement chinois, qui tente de cacher cette misère, n'a pas du apprécier ce film empreint d'humanité, d'amour et de délicatesse. Pourtant, le film démarre avec une violence insidieuse qu'on devine omniprésente depuis toujours, à savoir deux êtres rejetés par leur propre famille. L'une a été battue toute sa vie par ceux qui sont censés l'aimer, l'autre est juste un vilain petit canard isolé, mais l'âge avançant, ils deviennent plus ou moins des fardeaux que les deux familles respectives vont marier sans que l'avis ou les décisions des deux principaux intéressés soient une option.
Quand on devine leur passé on est déchiré de compassion et même de pitié, quand on voit comment on les unit on est ému de tant de détachement par les familles et tant de fatalisme par les deux nouveaux mariés. Précisons que la ferme en construction dans le film l'a réellement été, durant un tournage étalé en cinq parties sur plusieurs mois pour cause de pandémie mais qui a aussi permis de tourné au rythme des saisons, puis précisons que plusieurs protagonistes (dont l'acteur principal) sont des membres de la famille du réalisateur, père, frère ou oncle, qui ont tous mis la main à la pâte pour construire la ferme, préparer les élevages et les cultures. Outre leur mariage, les deux époux restent pourtant à la merci des autres, trop gentils ou trop soumis depuis trop longtemps, ils acceptent ou plutôt ils obéïssent aux autres comme pour donner son sang malgré sa santé ou l'appartement plutôt que leur maison, toujours pour des avantages qui ne seront pas pour eux. Mais le couple va apprendre à se connaître, à s'apprécier d'abord avec d'abord beaucoup d'attention pour l'autre, de respect, de tendresse ensuite, même si parfois le labeur du quotidien pousse à quelques blessures, plus à l'âme qu'au corps. Le labeur du quotidien avec la misère comme seul expédient n'empêche pas les efforts pour créer un peu de bonheur avec si peu, un thé qui attend sous la pluie, un pique-nique sur une dune, un fou rire sou un déluge destructeur, quelques petits riens qui compensent les aléas du quotidien où il reste soumis aux décisions qui ne sont pas les siennes, où elle reste si fragile qu'elle semble prête à recevoir d'autres coups. Contemplatif mais nullement long, cette histoire est d'un pessimisme forcément irritant pour un gouvernement chinois qui affirme avoir éradiqué la pauvreté, mais c'est aussi une merveilleuse histoire d'amour, qui repose sur la tendresse, le respect et la bienveillance. Un très joli film à voir et à conseiller.
Note :
17/20