Le Marchand de Sable (2023) de Steve Achiepo

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Premier long métrage de Steve Achiepo, ex-agent immobilier qui a tout plaqué à 23 ans pour tenter sa chance au cinéma. En 2004 et après quelques petits rôles il se lance à la réalisation avec le court métrage "En Equipe" (2012) suivi de "A la Source" (2014) et "French Touch : Girls on Fire" (2019) qui obtiennent de très bons accueils critiques dans divers festivals. Son projet est né d'un souvenir, d'une expérience malaisante pour lui quand il a fallu qu'il loue un appartement d'une propriétaire qui ne voulait pas de noir : "J'étais un peu satisfait et j'avais du mal à comprendre. J'en ai parlé à mon patron qui était extrêmement mal à l'aise avec cette situation. Il m'a dit qu'il comprendrait que je ne veuille pas m'occuper de ce bien, tout en me précisant que l'affaire me rapporterait de l'argent. J'habitais en banlieue à l'époque et j'étais dans une situation précaire. J'avais besoin de cet argent. Du coup j'ai accepté l'offre de mon client. Pendant des années, ça m'a beaucoup travaillé. J'avais participé à ce racisme systématique, ce racisme au logement. Quand des années plus tard, j'ai commencé à travailler dans le cinéma, ce sentiment de culpabilité, cette problématique morale sur une question très personnelle ont été l'étincelle pour un film sur la question du logement en France." Auparavant le cinéaste a débuté comme acteur, une apparition dans "Paris" (2008) de Cédric Klapisch, et surtout un rôle central dans "Tout, tout de Suite" (2016) de Richard Berry. Il passe à la réalisation avec les courts métrages "En Equipe" (2012), "A la Source" (2014) et "Haut les Pulls" (2019) qui sont remarqués dans plusieurs festivals. Il co-signe le scénario avec Romy Coccia Di Ferro connu pour son court métrage "Empty Crib" (2020). Le réalisateur-scénariste a situé son histoire en 2010-2011 durant la crise ivoirienne Gbagbo-Ouatarra : "Je me suis beaucoup entretenu avec des gens qui ont connu ce conflit-là pour savoir comment ils avaient vécu dans leur chair cet exil d'Abidjan jusqu'en France. Je suis d'origine ivoirienne du côté de mon père. Il y avait quelque chose de naturel à ce que je parle de cette communauté." Le film a reçu le soutien de la Fondation Abbé Pierre...

Marqué par des années de prison, Djo est devenu livreur de colis et vit modestement chez sa mère avec sa fille. Un jour, une tante qui fuit le conflit ivoirien débarque sans prévenir avec ses trois enfants. Dans l'urgence il leur trouve un logement de fortune. Mais très vite sa tante fait venir d'autres réfugiés, Djo se retrouve dos au mur. Finalement, dans la perspective d'offrir une vie plus décente à sa fille, Djo bascule et devient marchand de sommeil... Djo est incarné par Moussa Mansaly vu dans "Colt 45" (2014) de Fabrice Du Welz, "Miss" (2020) de Ruben Alves, "Overdose" (2022) de Olivier Marchal ou "Pétaouchnok" (2022) de Edouard Deluc. Sa soeur est interprétée par Mariama Gueye vue dans "Amour et Turbulences" (2013) de Alexandre Castagnetti, "L'Ascension" (2017) de Ludovic Bernard ou "Les Meilleures" (2021) de Marion Desseigne-Ravel, l'ex-petite amie est jouée par Ophélie Bau révélée par les films "Mektoub my Love" (2018-2019) de Abdellatif Kechiche mais suite aux polémiques l'actrice a vu sa carrière avec entre autre de petits rôles dans "Vaurien" (2021) de Peter Dourountzis et "Des Feux dans la Nuit" (2021) de Dominique Lienhard. La tante est incarnée par Aïssa Maïga vue dans "L'Un Reste, l'Autre Part" (2004) de Claude Berri, "L'Ecume des Jours" (2013) de Michel Gondry, "Il a déjà tes Yeux" (2017) de Lucien Jean-Baptiste et récemment "Neneh Superstar" (2023) de Ramzi Ben Sliman. Citons ensuite Mamadou Minté vu dans "Un Prophète" (2009) de Jacques Audiard, "La Femme du Vème" (2011) de Pawel Pawlikowski ou "K Contraire" (2018) de Sarah Marx, Benoît Magimel qui prouve une fois de plus son éclectisme après "Incroybale mais Vrai" (2022) de Quentin Dupieux, "Revoir Paris" (2022) de Alice Winocour ou "Jack Mimoun et les Secrets de Val Verde" (2022) de Malik Benthala et Ludovic Colbeau-Justin, Pol White vu dans "Les Olympiades" (2021) de Jacques Audiard et "OSS 117 : Alerte Rouge en Afrique Noire" (2021) de Nicolas Bedos, Leanna Chea aperçue dans "14 Jours 12 Nuits" (2019) de Jean-Philippe Duval et "Astérix et Obélix : l'Empire du Milieu" (2023) de et avec Guillaume Canet, Etienne Guillou-Kervern aperçu dans "Le Chant du Loup" (2019) de Antonin Baudry et "Alice" (2019) de Josephine Mackerras, Dorea Da Rozalia aperçue dans "L'Horizon" (2022) de Emilie Carpentier puis Naky Sy Savane remarquée dans "Bal Poussière" (2003) de Henri Duparc ou "La Nuit de la Vérité" (2005) de Fanta Regina Narco... Le sujet reste particulièrement actuel bien que sans doute un peu tabou, d'où un choix un peu facile et démago pour faire passer le message, à savoir un cousin bon gars qui devient marchand de sommeil à l'insu de son plein gré. Et c'est ce point qui est un peu dommageable d'autant plus qu'il est plus ou moins naïf jusqu'au drame final. Faut pas pousser, nous faire croire que Djo/Mansaly est né de la dernière pluie au vu de son passif est un peu facile, tout en empathie il fait passer la pilule.

Dommage, Djo aurait mérité d'être un peu moins lisse, moins naïf, plus complexe ou ambigu. Néanmoins, le film montre bien le processus des arrivées des migrants et des entrées dans les logements. Les personnages sont plutôt bien écrits même si tout est trop sages, en résumé tous les migrants sont de pauvres victimes qui travaillent durs et/ou qui sont bons les uns avec les autres, tandis que même les marchands de sommeils ne sont pas si mauvais que ça. Mais ce choix permet aussi de rester focaliser sur le sujet, les problèmes du logement ce que semble confirmé le cinéaste : "Je me suis affairé à atténuer tout ce qui rappellerait les codes mafieux, même si dans la réalité, les marchands de sommeil forment une sorte de mafia plus ou moins organisée. Mais j'avais le sentiment que le genre mafia me faisait perdre de vue l'humain. Alors que plus j'allais vers le social, plus j'allais vers l'Humanité. C'était tout ce qui m'intéressait." Pourtant la sous-intrigue de l'assistance sociale pour la fille de Djo... ATTENTION SPOILERS !... est superflue dans la forme, et sur le fond n'apporte pas grand chose surtout que ça ne tient pas la route : la fillette va bien, depuis quand un père ne peut pas dormir avec sa fille ?! Et surtout le fait qu'il est le soutien de la mère séparée biaise d'emblée le processus de contrôle... FIN SPOILERS !... Justement, le mix social-mafia est plutôt judicieux, le "parrain" est juste assez présent, tandis que les scènes avec la mère et ex de Jo (magnifique Ophélie Bau) sont particulièrement émouvantes, elle est à la fois dans le système, dans la famille et hors communauté. Steve Achiepo signe un drame un peu trop consensuel mais il touche du doigt un véritable problème de société dans une histoire humaine qui reste touchante et tragique.

Note :                 

12/20