80ème Mostra d’Arte Cinematografica – La Biennale Cinema – Venise (Italie)
– du 30 août au 9 septembre 2023 –
Cara Mostra,
Tu t’apprêtes à fêter tes 80 ans, confortant ainsi ton statut fort respectable de doyenne des manifestations dédiées au 7ème art. Née en 1932, tu as enchanté plusieurs générations de cinéphiles italiens ou venus du monde entier pour découvrir les oeuvres de grands cinéastes, tout en profitant de la beauté de la Cité des Doges qui te sert d’écrin.
Je ne sais pas quel est ton secret, mais les années ne semblent pas avoir de prise sur toi. Sans doute les bienfaits de la “dolce vita” et de la vie insulaire. En tout cas, malgré ton grand âge, tu sembles toujours aussi en forme, vivante et dynamique, ouverte sur le monde et ses différentes cultures, possédant suffisamment de maturité pour transmettre les chefs d’oeuvres passés aux jeunes spectateurs, grâce à ta programmation de films classiques, et capable de regarder vers l’avenir de la production audiovisuelle, avec ta programmation Venice Immersive, dédiée aux expériences en réalité virtuelle.
Après le lifting opéré ces dernières années, avec le réaménagement des jardins et l’ouverture de salles supplémentaires, te voilà prête à aborder une nouvelle décennie pleine de bonheurs cinématographiques.
Evidemment, le passage à une nouvelle décennie, ça se célèbre! On peut compter sur Alberto Barbera et ses équipes pour avoir organisé un évènement à la mesure de cet anniversaire particulier, et, à en juger de la programmation annoncée, cela devrait effectivement être une fête mémorable.
Les noms des réalisateurs en lice pour le Lion d’Or donne le vertige : Sofia Coppola (Priscilla, un biopic sur Priscilla Presley), Ava Duvernay (Origin), Agnieszka Holland (The Green border), David Fincher (The Killer), Michel Franco (Memory), Ryûsuke Hamaguchi (Evil does not exist), Yorgos Lanthimos (Poor things), Pablo Larrain (El Conde), Michael Mann (Ferrari) ou Bradley Cooper (Maestro). D’autres, moins connus, sont prêts à créer la surprise et remporter le précieux trophée, comme Tim Kröger (The theory of everything), Fien Troch (Holly) ou le duo Malgorzata Szumowska/Michal Englert (Woman of).
Comme souvent, le cinéma français sera bien représenté puisque Luc Besson (Dogman), Bertrand Bonello (La Bête) et Stéphane Brizé (Hors-saison) défendront leurs chances au cours de la quinzaine. Le cinéma italien, sur ses terres, ne sera évidemment pas en reste avec la venue de Sergio Castellito (Enea), Saverio Costanzo (Finalemente L’Alba), Giorgio Diritti (Lubo), Matteo Garrone (Io Capitano) et Stefano Sollima (Adagio) sur le Lido.
On peut ajouter à cette liste Comandante d’Edoardo De Angelis, qui fera l’ouverture du festival, après l’annulation de la projection du nouveau film de Luca Guadagnino, Challengers. Celle-ci est consécutive au mouvement de grève des acteurs, scénaristes et artistes audiovisuels américains. Ceux-ci réclament une revalorisation de leurs droits d’auteurs, réduits suite à l’apparition des plateformes de streaming, et quelques garanties quant à l’utilisation de l’intelligence artificielle, dont les progrès laissent à penser qu’elle pourrait remplacer aussi bien les auteurs que les acteurs des oeuvres audiovisuelles. Ils ont entamé un bras de fer avec les représentants des studios et des plateformes de streaming et, outre la mise en stand-by de tous les projets artistiques en cours, ont décrété une grève illimitée de la promotion des films. Cela signifie que la plupart des artistes américains ne feront pas le déplacement sur le Lido, pas plus qu’à Toronto ou à Deauville, quelques jours plus tard.
C’est dommage, car outre les films en compétition, de nombreux films hors-compétition, tout aussi prestigieux, devraient être impactés.
On pense à The Wonderful Story of Henry Sugar, le court-métrage de Wes Anderson, Aggro Dr1ft de Harmony Korine ou Hit Man de Richard Linklater. Hélas, William Friedkin ne viendra pas puisqu’il est décédé juste avant la fête, mais les spectateurs pourront découvrir son nouveau film, The Caine mutiny Court martial. Woody Allen, lui devrait faire le déplacement puisque le cinquantième film de sa carrière, Coup de chance est un film français, tourné en France et dans la langue de Molière.
Evidemment, on s’attend aux cris d’orfraies de certaines personnes, offusquées de voir figurer dans la sélection Woody Allen, Roman Polanski (The Palace) et Luc Besson, qui ont tous été accusés d’agressions sexuelles par certaines femmes. Libre à ces personnes de boycotter les oeuvres si elles le souhaitent. On rappellera juste que les accusations concernant Woody Allen et Luc Besson ont été classées sans suite et qu’ils ont donc été reconnus innocents des charges pesant sur eux. D’un point de vue judiciaire, ils sont donc innocents. Seul Roman Polanski a été condamné pour des faits datant de plus de cinquante ans et il a purgé une peine de prison pour cela, avant qu’un juge ne vienne remettre en cause l’accord passé avec la plaignante et incite le cinéaste à fuir les Etats-Unis. Aucune des accusations portées contre lui depuis n’a été jugée recevable et la plaignante a publiquement souhaité tourner la page de cette affaire. Donc, puisque nous ne sommes ni juges, ni jurés, on pourrait peut-être considérer les affaires closes et les cinéastes libre d’exercer leur métier, non?
Et puis, faire le procès de la Mostra pour cela, n’est-ce pas un peu injuste? Le festival met chaque année en lumière des films du monde entier louant le combat des femmes pour davantage de parité et d’émancipation. Il récompense fréquemment des femmes cinéastes en leur donnant l’opportunité de poursuivre leur carrière dans les meilleures conditions. Difficile d’accuser les organisateurs de sexisme…
Bref, ceux qui veulent boycotter boycotteront. Les autres seront libres d’apprécier les films de ces auteurs majeurs du 7ème Art…
Au programme également, les festivaliers découvriront L’Ordine Del Tempo de Liliana Cavani, qui se verra honorée d’un Lion d’Or pour sa carrière, Vivants” d’Alix Delaporte, qui retrouve enfin le chemin des écrans depuis Le Dernier coup de marteau, présenté ici il y a neuf ans, mais aussi Welcome to Paradise de l’excellent Leonardo di Constanzo, Daaaaaali! de Quentin Dupieux, qui commence à adopter un rythme de tournage stakhanoviste à faire pâlir d’envie un Takashi Miike de la grande époque, ou encore Making of de Cédric Kahn, lui aussi en pleine frénésie créatrice après l’excellent Procès Goldman, projeté à la Quinzaine des réalisateurs en mai dernier.
Juan Antonio Bayona clôturera le festival avec Society of the Snow. Connaissant le talent du réalisateur, on s’attend à un final grandiose.
Les festivaliers pourront aussi découvrir l’intégralité de la série de Xavier Giannoli et Fredéric Planchon, D’Argent et de Sang, ainsi que deux épisodes de I know Your Soul de Jasmine Zbanic et Damir Ibrahimovic.
Un festival ouvert sur le monde propose évidemment des documentaires de qualité et cette année, les spectateurs pourront découvrir, entre autres, Frente a Guernica d’Ervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi, Menus Plaisirs – Les Troisgros de Frederik Wiseman ou Hollywoodgate d’Ibrahim Nash’at.
Le festival proposera également ses traditionnelles sections parallèles : Orizzonti, Giornate degli Autori, La Semana della critica et Bienale College. Dans ces sections, on ne trouve pas forcément de cinéastes confirmés mais de jeunes talents qui ne demandent qu’à imposer leur style et trouver leur place dans la cour des grands. C’est toujours un plaisir que de découvrir ces oeuvres et d’assister, parfois, à l’éclosion d’un nouveau grand maître du 7ème Art.
Mais il n’y a pas que des jeunes pousses, loin de là. On retrouvera par exemple Shinya Tsukamoto, qui présentera Hokage, Guillermo Arriaga, dont le nouveau scénario, A Cielo abierto, sera projeté dans le cadre de Orizzonti, Mohamed Ben Attia (Behind the mountains), les Ross Brothers (Gasoline rainbow). Elise Girard présentera son nouveau long-métrage, Sidonie au Japon, dans la section Giornate degli autori, tandis que Céline Sciamma proposera un court-métrage, This is how a child becomes a poet.
Dans la section Orizzonti extras, on découvrira Bota Jonë, le premier film de Luàna Bajrami, jeune actrice remarquée, justement, dans Portrait de la jeune fille en feu, Felicita de Micaela Ramazzoti et le premier film d’Olmo Schnabel en tant que réalisateur.
Ajoutons à cela une belle sélection de classiques, rendant hommage à William Friedkin, Agnès Varda ou Carlos Saura, et proposant quelques films intrigants comme Le Film pro-nazi d’Hitchcock, qui analyse Lifeboat sous un angle différent ou Dario Argento panico, plus une large sélection de films en VR et les pépites de Bienale College.
Mostra, tu nous gâtes pour ton 80ème anniversaire ! Mais Baptiste Etchegaray et Giuseppe Bucchi ont aussi une surprise pour toi : La part du Lion, une histoire de la Mostra sera projeté en Sala Grande et reviendra sur les moments forts de tes précédentes éditions, en se souvenant des nombreuses stars qui ont foulé ton tapis rouge.
Enfin, comme tu n’es pas du genre à attirer toute la lumière sur toi, tu as aussi décidé d’honorer des artistes comme Liliana Cavani, Tony Leung Chiu-Wai, Wes Anderson et Tonino Zera. Tu auras aussi une attention particulière pour les cinéastes iraniens opprimés par le régime en place et les cinéastes ukrainiens qui ont malheureusement d’autres préoccupations que le cinéma depuis plus d’un an.
Je te souhaite un très bon anniversaire. Scusi, tanti auguri !
Plus d’informations : www.https://www.labiennale.org/it/cinema/2023